3.3 Du stéréotype de l’ « enseignant résistant » à la compréhension de son besoin de soutien

Après la famille, le professeur est l’acteur principal de l’éducation de l’enfant et a également besoin de soutien, devant le défi que représente son quotidien professionnel. L’inclusion scolaire de l’enfant à BES est la responsabilité de tous les acteurs au sein d’une école et cependant, les responsabilités doivent être partagées de manière à ce qu’aucun de ces acteurs ne soit surchargé.

Bien que la majorité des professeurs s’accordent sur le fait que l’accueil des élèves à BES modifie et enrichit leur pratique pédagogique, comme nous l’avons vu au cours de cette recherche, ils sont également unanimes à exprimer leurs angoisses et difficultés face au défi de l’inclusion.

‘«(...) Mais je me dis que je ne me sens pas prête, parce que parfois tu te retrouves face à un élève qui a une certaine difficulté et tu….. tu penses – «  Mon Dieu ! Je ne sais plus quoi faire de cet élève ! » On a suggéré cette année, au cours de la première rencontre avec le personnel du Secrétariat, que les entretiens soient également formateurs pour nous. Pour notre propre estime. On a besoin de ça. Souvent on dit « l’élève a une faible estime de soi ». Mais nous aussi. Alors je pense que si on avait une formation. Pas seulement une formation pédagogique et didactique mais personnelle aussi. Je pense que ça nous aiderait à surmonter ces difficultés et à travailler cette diversité en classe. » 317

Il y a une rupture très claire entre le profil du professeur de l’école traditionnelle excluante et celui de l’école inclusive. Le professeur ne peut plus aujourd’hui se contenter de faire passer certains élèves et d’en faire redoubler d’autres comme si c’était quelque chose de naturel. Si aujourd’hui l’école, et par conséquent le professeur, adapte sa pédagogie à ses élèves, cela ne se fera pas d’un coup de baguette magique.

L’identité professionnelle toute entière du professeur est remise en question. S’ajoute à cela le fait que tous les acteurs scolaires ne « mûrissent » pas ou n’assimilent pas leurs nouveaux rôles de la même manière ni au même rythme. Au sein d’un même espace scolaire, certains ont déjà intégré leur nouveau rôle de professeurs en accord avec l’inclusion, d’autres en sont à leur première expérience et d’autres encore ne prétendent pas suivre ce chemin. D’où l’énorme difficulté, parfois, à collaborer et à se comprendre.

Le manque de ressources matérielles mais également l’absence d’une formation conséquente accentuent les sentiments de peur face au défi et beaucoup adoptent des attitudes défensives. Les résistances au mouvement inclusif sont généralement davantage émotionnelles que rationnelle. Nous avons montré, dans ce travail, comment, malgré des discours en faveur de l’inclusion, de nombreux professeurs doutent de leur réussite dans la pratique.

D’autres acteurs, qui se consacrent à l’étude de l’évolution des représentations des professeurs concernant l’élève à BES, affirment que l’anxiété et les préjugés sont présents chez la majorité des professeurs quant il s’agit d’accueillir un nouvel élève ayant une déficience. Parmi les diverses angoisses citées, les professeurs évoquent la peur :

Selon cette étude, les professeurs ont fréquemment en tête, l’image d’un enfant aux facultés d’expression, de compréhension et d’apprentissage limitées, renfermé sur un monde qui lui est propre.

Une grande partie de ces professeurs a affirmé que l’appréhension s’était dissipée après avoir connu l’enfant. Nombre d’entre eux se sont déclarés surpris des perspectives réelles d’apprentissage et de combien ces enfants leur paraissaient « normaux » par la suite. 319

Bien que les peurs disparaissent et les angoisses diminuent après contact avec l’enfant à BES, la réalité du quotidien des écoles brésiliennes qui accueillent 40 à 50 élèves en moyenne exige des mesures spécifiques. On ne peut ignorer que la tâche imposée à un unique professeur, dans ces cas-là, est irréalisable et met en danger la réussite de toute la classe. C’est aux coordinateurs pédagogiques, aux directeurs d’école et aux secrétaires d’éducation de créer des dispositifs de soutien au professeur au sein d’une école inclusive.

Dans les écoles populaires étudiées, le collectif scolaire s’engage dans ce travail, apportant une aide au professeur :

‘« On recherche des contenus qui aient du sens, qui répondent à ce dont l’enfant a besoin. Ce n’est pas facile. Si tu ne t’efforces pas, tu finis par faire la même chose que dans une école traditionnelle. Mais ce collectif d’éducation populaire ne te laisse pas désemparé, angoissé. Je pense que le collectif aide à soulager ce poids.» 320

Dans la mesure où l’école toute entière se propose de collaborer à la matérialisation de l’inclusion, les professeurs diminuent leur résistance et se sentent motivés quant aux défis pédagogiques. Dans les écoles étudiées, les professeurs comptent sur la plage horaire hebdomadaire de planification pour extérioriser leurs doutes et leurs éventuelles appréhensions. Si le professeur sent que l’élève est dépassé ou que cet élève-ci ou celui-là présente des difficultés qu’il n’arrive pas à surmonter, il a la possibilité de partager son cas avec le collectif scolaire et de trouver des solutions de manière collective au problème.

A partir du moment où le professeur n’est plus perçu comme un missionnaire, il est fondamental que toute l’école soit attentive à ses besoins et à ses demandes, trouve et partage des solutions.

Ce ne sont pas uniquement les questions pédagogiques mais également le côté émotionnel du professeur qui est en cause. Nombre d’entre eux encouragent leurs élèves, vibrent de leur succès et souffrent de leurs difficultés. Il existe une implication des professeurs aux côtés de leurs élèves qui demande de l’attention et des actions de soutien. Dans le récit ci-dessous, l’enseignante ne cache pas sa joie devant les progrès de l’élève :

‘« Je pense qu’ici, on a un groupe spécial qui est la crème de la crème. Quand Claudio a appris à sauter à la corde, j’ai pris sa mère dans mes bras, on était tellement contente ! Les autres devaient penser : Ah quelle bétasse ! Mais pour nous c’est formidable ! » 321

Dans le quotidien du professeur, il y a des moments de joie mais aussi beaucoup d’incertitudes et de doutes concernant la méthode pédagogique utilisée. Beaucoup se replient dans le désespoir et le discrédit de l’inclusion à cause du manque d’appui. Il est cependant nécessaire de passer d’une attitude de jugement et d’exigence irréels à la compréhension et à l’appui au processus d’adaptation du professeur à son nouveau rôle et à son quotidien scolaire.

Le profil, le rôle et la professionnalisation de l’éducateur au sein de l’école inclusive doivent être repensés. Il est nécessaire que la formation initiale tout comme la formation continue, mais aussi les actions de l’école se concentrent sur ce travail de re-signification du professeur au sein de l’école inclusive.

Notes
317.

PC2, ANNEXES pp. 06-169

318.

LANTIER, (N.); VERRILLON, (A.); AUBLÉ, (J-P.); BELMONT, (B.); WAYSAND, (E.), Enfants handicapés à l´école : Des instituteurs parlent de leurs pratiques. L’Harmattan, INRP, Collection CRESAS n°11, Langres, 1994. pp. 194-196

319.

LANTIER, (N.); VERRILLON, (A.); AUBLÉ, (J-P.); BELMONT, (B.), Op. Cit. p. 199-200

320.

PC3, ANNEXES pp. 06-169

321.

PEC2, Ibid.