4.1 D’une représentation de l’inclusion au seul bénéfice de l’enfant en situation de handicap à une conception d’une inclusion au bénéfice de tous

La conception selon laquelle le principal bénéficiaire de l’inclusion scolaire est l’élève à BES prédomine encore aujourd’hui. Si cette affirmation ne peut être considérée comme incorrecte, elle est sans l’ombre d’un doute, incomplète. L’inclusion scolaire, qui constitue le premier pas vers l’inclusion sociale, appartient à une nouvelle logique, à une nouvelle manière de penser l’école et la société.

Freire, en travaillant sur l’alphabétisation des personnes qui étaient en marge, a amorcé un questionnement plus large sur les relations sociales. Pour lui, la libération part de l’opprimé, de sa prise de conscience en relation à sa condition. De la même manière si il y a, comme nous l’avons déjà dit, une emprise de la norme sur la margem, c’est cette dernière qui gêne, perturbe et enfin questionne la norme. La margem questionne la « moyenne » invitant à une reflexion du groupe dans son ensemble. Il s’agit ici non d’un préjudice mais d’un bénéfice, d’un gain, non pas uniquement pour qui est à l’intérieur ou en dehors de la norme établie mais aussi pour tout le groupe. Dans la sphère scolaire, cependant, c’est l’école dans son ensemble qui sort gagnante du mouvement inclusif. Comme le dit Gardou :

‘« Ce sont les marges et les échecs qui ont toujours invité et invite toujours à reconsidérer la réflexion et les actions éducatives. (…) Les enfants qui s’éloignent du genre scolaire moyen, ne mettent en danger ni le pédagogue ni la forme scolaire mais ouvrent au contraire de nouvelles voies d’éducation. » 322

La richesse pédagogique nécessaire à l’école inclusive bénéficie à tous les élèves, aussi bien d’un point de vue pédagogique que relationnel et civique. De nouvelles pratiques pédagogiques qui favorisent l’apprentissage d’un plus grand nombre d’élèves sont explorées. Une nouvelle culture pédagogique ancrée dans l’exploration de nouveaux modes de savoir et d’une autre manière de penser l’humain dans sa diversité s’est amorcée. Le pédagogue, dans ce contexte, est confronté à la multiplicité de ses élèves, ce qui enrichit sa pratique pédagogique. La diversité, avant de constituer un obstacle, devient source de richesse pédagogique et relationnelle.

Les préjugés contre les groupes historiquement exclus tendent à diminuer dans la mesure où la diversité est valorisée. Tout en respectant les droits de chacun, indépendamment de ses singularités, le civisme des élèves est également renforcé.

L’école possède l’obligation de promouvoir l’éducation et non de la restreindre. L’élève à BES doit être la cible de grandes expectatives pédagogiques. La croyance selon laquelle l’élève peut aller toujours plus loin doit faire partie du quotidien de tout professeur.

‘« Comment amener l’autre à évoluer sans une dimension utopique, sans un horizon imaginaire ? Imaginer que toute chose est possible pour la rendre possible. C’est ainsi qu’est tout projet d’émancipation de l’autre. » 323

Helen Keller ne serait jamais arrivée si loin sans la croyance de sa préceptrice dans son potentiel. Cet exemple comme tant d’autres doit être davantage diffusé afin que l’on rompe avec le préjugé concernant les possibilités cognitives de l’enfant à BES.

Lev Vygotsky a démontré que le développement se nourrit de l’apprentissage. Sa notion de zone « proximale » de développement, légitime ce point de vue. Si l’apprentissage précède le développement, il revient au professeur de créer et de mettre en place, en classe, des situations qui stimulent le développement des élèves et non pas attendre passivement le développement de telle ou telle fonction biologique ou psychologique.

Freire intitule un de ses livres Pédagogie de l’espoir, faisant allusion aux pouvoirs transformateurs et créateurs de l’éducation. C’est cet esprit qui doit animer l’école inclusive. Non plus une pédagogie de l’échec mais une pédagogie de la réussite, du dépassement et de la découverte. Cette dernière en particulier constitue un élément important dans l’éducation inclusive.

Ainsi, de nombreux professeurs ne savent pas comment agir face à des élèves qui sortent de la prévisibilité éducative. En réalité, on sait très peu de choses sur les problèmes d’attention, d’hyper - activité, de difficulté d’apprentissage, ou tout autre type de BES. Que sait-on de l’autisme ? Des bouleversements de comportement ? Dans l’impossibilité de s’appuyer sur des théories solides, on cherche à inventer des médicaments pour des problèmes qu’on connaît mal ou auxquels on n’y connaît rien. Dans ces cas-là, le savoir ne peut pas toujours précéder l’action. La réponse doit ici être créée, pas à pas, avec chaque élève, au quotidien, à l’école.

‘« Imaginer que toute chose est possible pour la rendre possible » signifie un refus des déterminismes. ’

Notes
322.

GARDOU, (Ch.), “Normativité et échec”, in Reliance, n°9, Lyon : CRHES, jan. 2003. pp. 4-5

323.

DEVELAY, (M.); GARDOU, (Ch.), “Ce que les situations de handicap, l’adaptation et l’intégratin scolaires ‘disent’ aux sciences de l’éducation.” In Revue Française de Pedagogie : Situations de Handicaps et institution scolaire. n°134, Paris : INRP, jan-mar 2001. pp. 15-24