4.2 De l’incitation à la charité à l’application du droit à l’éducation pour tous

Quand on parle d’une « école pour tous » en milieu scolaire, on assiste généralement à une admiration de la théorie et à des doutes concernant la pratique. Cette école inclusive serait-elle un idéal ? Une utopie inaccessible ? Pourquoi existe-t-il un scepticisme quant à sa réalisation dans la pratique ?

Un héritage culturel de plusieurs siècles ne se défait pas aussi facilement et rapidement. Nombreux sont les facteurs intra et extra -scolaires qui influencent la réussite de l’élève. La propre logique compétitive de la société exerce une pression sur l’école et prépare les étudiants à la compréhension de la valeur des « meilleurs » et des « pires ». Comment créer une réalité scolaire contraire au contexte social ? Cette contradiction explique en partie le scepticisme face à la matérialisation d’une école pour tous. Jusqu’où l’école peut-elle agir afin d’offrir les mêmes chances à tous ses élèves ?

L’idée de l’éducation comme droit fondamental de tout être humain s’est renforcée peu à peu au cours des derniers siècles. Déjà au temps de la Révolution française, en 1793, Danton affirmait :

‘"Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple.". 324

La primauté de l’éducation est affirmée dès les origines de la pensée pédagogique, mais aussi anthropologique, psychologique, morale, économique, politique et juridique, c’est une priorité qui a des impacts sur toutes les sphères de la vie de l’individu et de la société. Comme le souligne Agostinho dos Reis Monteiro. 325

Parmi les droits individuels de l’homme, le droit à l’éducation est le plus important, à l’exception du droit à la vie. Il s’agit d’une condition préalable à la jouissance de presque tous les droits de l’homme par la personne.

Malgré cette reconnaissance du droit de toute personne à l’éducation, quelque soit sa condition socio-économique, son origine, etc…, il existe un compromis social qui privilégie des groupes dont les droits ont historiquement été bafoués. Aux côtés des personnes à BES et autres groupes minoritaires, sont privilégiés :

  • L’enfant, qui est l’être- étant éduqué par excellence, au vu de l’intensité de son éducabilité et de la résonance personnelle et sociale de l’éducation de l’enfance, principalement de la petite enfance.
  • Les petites filles, au vu des discriminations dont elles continuent à être victimes et au vu de la répercussion de l’éducation des mères sur les enfants et sur la société en général.
  • Les personnes illettrées, diminuées dans leur capacité à « être personne » comme aimait à le dire Paulo Freire. 326

Le droit à l’éducation, comme le souligne Monteiro, n’est pas uniquement un droit à la disponibilité et à l’accessibilité d’une éducation quelconque. Il s’agit du droit à une éducation de qualité, à une éducation ayant une qualité ético-juridique, et donc à une éducation qui offre les conditions nécessaires pour que le sujet exerce sa totale citoyenneté.

En somme, comme le dit Monteiro :

‘« Le paradigme du droit à l’éducation est une nouvelle rationalité éthico-juridique pour la rupture politico-pédagogique du cercle vicieux d’auto-reproduction historique et psychologique des maux séculaires de l’éducation. » 327

La reconnaissance de l’éducation de l’enfant à BES en tant que droit et non en tant qu’action « caritative », comme cela a été fait jusqu’à aujourd’hui, consiste en une rupture que doit être promue par l’école et par toute la société.

Il est évident que l’école, d’elle-même, est incapable d’effectuer cette nécessaire transformation dans sa totalité. Il est fondamental de comprendre, dans ce cas-là, ses limites. Elle entretient une relation de complexité avec la société, étant produit et productrice de cette réalité. Cependant, cela ne la dispense pas de son rôle de transformateur. Il est extrêmement important de réaffirmer les pouvoirs de l’action de l’école et des personnes dans cette transformation sociale. C’est le message repris par Freire contre les effets pervers des théories déterministes et fatalistes du reproductivisme. L’objectif de l’école doit justement être de promouvoir l’émergence de sujets actifs au sein de cette transformation.

Les lois qui encouragent l’inclusion ne transforment pas seules la réalité, mais constituent un premier pas d’importance et doivent être valorisées. Il revient à la société et donc à l’école de mettre en pratique ce qui a été acquis dans la sphère législative. Le fait de constater la distance qui existe entre les textes légaux et la pratique, ne doit pas décourager, mais plutôt représenter une aide pour orienter cette transformation.

Passer d’une logique caritative à une logique des droits de l’homme, concernant les personnes à BES, revient à matérialiser, dans la pratique, les textes légaux. L’éducation pour tous est avant tout un droit et non pas simplement un idéal libéral. En ce sens, l’exclusion constitue une violation des droits de l’homme. Une approche « caritative » de l’inclusion de l’élève à BES ne contribue qu’à renforcer cette exclusion dans la mesure où elle ne reconnaît pas les droits de la personne.

Toutes les actions qui ne contribuent pas à l’inclusion de forme systématique et conséquente : - une information superficielle au lieu d’une formation professionnalisante, le choix empirique du professeur « missionnaire » pour l’inclusion au lieu d’une distribution juste et programmée d’élèves à BES entre les professeurs, la permanence de l’élève à BES dans une classe régulière à tout prix au lieu de la construction d’un projet éducatif adapté à ses singularités, etc… représentent des violations des droits fondamentaux de l’être humain.

D’où la nécessité d’une planification de chaque école sur son positionnement et ses stratégies afin de rendre effective l’inclusion, non pas comme une mode éducative mais comme la reconnaissance de la matérialisation d’un des principaux droits de l’homme.

Notes
324.

MONTEIRO, (A.R.), «O pão do direito à educação.» Educação & Sociedade.vol. 24, n. 84, 2003, pp. 763-789. Disponible sur <http://www.scielo.br/pdf/es/v24n84/a03v2484.pdf>

325.

MONTEIRO, (A.R.), op.cit.

326.

MONTEIRO, (A.R.), Op.Cit.

327.

Ibid.