Conclusion

Nous revenons, pour conclure, au point de départ de cette recherche, soit : les défis de l’école brésilienne actuelle, confrontée à son engagement en faveur de l’inclusion, notamment après la Déclaration Mondiale sur l’Education Pour Tous, en 1990.

La loi n. 9.394 des directives et des bases, approuvée en décembre 1996, propose certains changements significatifs dans le domaine de l’éducation brésilienne. Dans le chapitre V, elle définit l’éducation spéciale comme une modalité de l’éducation scolaire, offerte de préférence par le réseau traditionnel d’enseignement pour les élèves à Besoin Educatif Spécialisé.

Le rapport n° 17/2001, approuvé en juillet 2001, contient les actuelles Directives Nationales pour l’Education Spéciale dans l’Enseignement de Base. C’est à cette date que, d’un point de vue législatif, le Brésil adopte un positionnement visant à combattre toutes les formes d’exclusion éducative et sociale.

Le concept d’inclusion semble en rupture avec l’intégration, si nous ne considérons pas le problème du point de vue de l’individu dans la société et de l’élève à l’école. Le problème n’est plus alors de savoir quels sont les élèves qui peuvent s’adapter à l’école traditionnelle mais plutôt de savoir comment modifier l’école et par conséquent la société pour qu’elle soit capable d’accueillir tous les élèves sans exception.

Les principaux points conceptuels qui sont à la base de l’inclusion sont :

Toutefois dans la pratique, l’inclusion ne se réalise pas facilement. La simple transposition des élèves provenant des écoles spéciales vers l’école traditionnelle, destinée à tous, est souvent comprise comme étant l’inclusion. Cependant, l’inclusion implique une restructuration des cultures, des politiques et des pratiques scolaires afin que ces dernières prennent en compte la diversité des élèves. Elle découle ainsi de questions davantage politiques sur la nature de la société.

Le Brésil éprouve de grandes difficultés, malgré les différentes mesures prises en faveur de la construction d’une école et d’une société inclusives : les programmes contre l’analphabétisme, la faim, la formation des professeurs, l’amélioration des ressources et de l’accessibilité au système éducatif. Les difficultés persistent, principalement pour ce qui touche aux enfants à BES, historiquement exclus du système traditionnel d’enseignement. Malgré l’engagement en faveur de l’inclusion, les actions sont désorganisées et manquent d’un référentqui favoriserait le processus de construction de l’école inclusive.

Dans ce contexte, nous nous sommes tournée vers Paulo Freire, philosophe et pédagogue, internationalement reconnu pour sa lutte contre l’exclusion des opprimés. Jusqu’où sa pensée et son œuvre peuvent-ils constituer des référents pour penser et agir l’inclusion des enfants à BES au sein de l’actuelle école brésilienne ? Partant de ce questionnement, nous avons avancé que la notion d’  « école populaire », telle qu’il la concevait, apporte les ruptures nécessaires au passage de pratiques éducatives et pédagogiques « excluantes » à des pratiques ouvertes à la diversité, en particulier pour les enfants atteints d’une déficience qui présentent des besoins éducatifs spécifiques.

Nous avons tentéune analyse de la pensée freirienne, à la lumière des fondements inclusifs afin de montrer, tout d’abord sous un aspect théorique, ses convergences et ses contributions.

Pour Freire, l’« être plus » est la vocation ontologique de l’homme, et tout se qui empêche cette réalisation est une déshumanisation. D’où sa lutte contre les relations d’oppression. Il valorise les relations qui favorisent l’émergence de sujets libres, tout en insistant sur la dimension collective de tout être.

Pour lui, l’homme n’est pas simplement présent dans le monde, il fait activement partie de ce dernier et c’est à travers son action dans le monde qu’il s’humanise. Son éthique de la praxis récuse la manipulation de l’homme et la manipulation découlant des modelages et des normes instituées qui cherchent à l’adapter au système, empêchant son action libre et créatrice.

L’éthique de Paulo Freire est une éthique des relations, du dialogue, de la praxis, mais avant tout une éthique de la libération. A partir de la situation vécue par l’opprimé, Freire démontre l’importance d’une pensée critique pour modifier la situation. Cette pensée est la condition fondamentale de la liberté de l’homme.

Faire émerger une conscience critique chez les apprenants est son objectif fondamental. L’élève n’est pas uniquement un enfant mais aussi un adulte, en particulier un opprimé, un exclu, une personne à BES, tous victimes du regard dévalorisant et de pratiques d’assistance, dans une culture qui valorise la norme et le « normal ».

La lutte de Freire contre l’oppression et l’exclusion sous toutes leurs formes, la valorisation de la diversité humaine, son affirmation du droit de la personne à la reconnaissance de sa singularité, nous amènent à le reconnaître comme un référent philosophique pour l’éducation inclusive.

Il est cependant aisé de comprendre les réticences des acteurs et des institutions face à cette « révolution éducative » qui conteste radicalement la culture de la domination et ses effets de marginalisation et d’exclusion. En effet, l’école populaire proposée par Freire exige une rupture avec la logique du pouvoir qui a force de loi dans la majorité des établissements scolaires, afin de repenser, de manière dynamique, participative et démocratique, les relations entre professeurs, élèves et savoir. Aussi défend-il une pédagogie critique, la seule capable, selon lui, de construire une société plus juste.

Dans ses travaux éducatifs, les relations horizontales se substituent aux relations verticales et hiérarchisées. L’éducation libératrice s’appuie sur une relation démocratique et solidaire entre professeurs et élèves, sur une relation entre deux sujets actifs dans la construction du savoir et non pas sur une relation de domination. Contrairement aux théories du déterminisme social, il développe une pensée pédagogique pleine d’optimisme et d’espoir. Pour lui, le futur est un phénomène en construction et l’histoire une leçon, non un déterminisme.

A ses yeux, l’éducation libère dans la mesure où elle forme des esprits plus lucides, des sujets actifs, non des objets passifs et vulnérablessusceptibles d’être dominés par un autre groupe social. Il lance le défi d’une révolution pédagogique vers un dialogue qui sous-tend une modification du paradigme éducatif.

En insistant sur le dialogue, il défend la communication contre l’information unilatérale provenant uniquement du professeur. Une véritable communication entre le professeur et l’élève suppose que le premier connaisse l’universe culturel du second, c’est-à-dire que le professeur comprenne la situation reèlle de vie de ses élèves.

Les écoles populaires peuvent se définir par leur autonomie dans la conception de projets pédagogiques, en fonction des contextes locaux. Les relations interpersonnelles, plus précisément la relation enseignant-élève dans la classe, s’inscrivent dans un processus de dialogue, celui-là même qui guide l’élaboration du projet politique pédagogique. Ce processus représente une forme de résistance et une alternative aux processus autoritaires, bureaucratiques, centralisés et hiérarchiques.

Construit grâce à la participation de tous, le projet politique pédagogique constitue la pierre angulaire de l’école populaire freirienne assurant ainsi une école ouverte.Dans cette perspective, le curriculum est conçu comme le pivot de l’action transformatrice de l’école, englobant toutes les actions et les relations internes ou externes : c’est une construction qui ne s’achève pas, liée au collectif de l’école de manière socialisée, ascendante et démocratique. Cette conception du curriculum intègre en même temps la construction de savoirs et la prise de conscience, prenant en compte la culture dite universelle, la culture de l’élève et de la communauté ou la culture populaire.

Le thème générateur est un chemin pour atteindre le savoir, comprendre et intervenir de manière critique sur une réalité déterminée. Il présuppose une méthodologie qui ait foi dans la progression des sujets à travers le travail collectif, la discussion, la problématisation, le questionnement, le conflit et la participation pour l’appropriation, la construction et la reconstruction du savoir. C’est en lui que se retrouve de forme interdisciplinaire toutes les sphères du savoir.

Il est important de souligner qu’il ne s’agit pas d’une simple méthodologie de construction interdisciplinaire du curriculum où les frontières rigides entre les disciplines seraient restreintes. Si cela arrive, c’est davantage comme une conséquence de la recherche d’une perspective critique dans la manière dans laquelle se produit le savoir au sein de la société. Un processus qui se traduit par la production de nouveaux savoirs mais aussi par la possibilité de transformation sociale.

Les expériences innovantesdes écoles populaires sont encore l’objet de nombreuses controverses entre les acteurs éducatifs car elles sous-entendent des défis significatifs impliquant une transformation de la culture de l’école brésilienne ou les problèmes semblent cristallisés.

Nous voyons, cependant, dans notre recherche, les changements de pratiques que ces projets esquissent : entre autres, la non-imposition de séquences de contenus en un temps prédéterminé ; l’engagement des enseignants dans leur formation et dans le domaine de la recherche ; la place donnée aux activités artistiques et culturelles ; le rôle donné au travail collectif ; la socialisation des savoirs ; la démocratisation des décisions…

Cherchant à vérifier si les voies tracées par Paulo Freire, que nous qualifions d’inclusives, résistent à l’épreuve de la réalité, nous avons choisi, comme terrain de recherche, deux écoles populaires, de la ville de Chapecó, dans l’Etat du Santa Catarina, qui accueillent des élèves à BES : l’école Municipale São Cristóvão et l’école Primaire Municipale CAIC. Nous avons fait deux séjours : d’abord en 2003, durant deux semaines, au cours desquelles nous avons recueilli des informations et de la documentation ; puis, en 2004 pour réaliser 51 entretiens avec divers acteurs éducatifs travaillant directement ou indirectement avec ces écoles. Nous avons opté pour l’entretien compréhensif reposant sur la notion de construction sociale de la réalité, qui renvoie à une dialectique et non à une séparation entre objectif et subjectif, individu et société, dans le but d’appréhender le caractère complexe et contradictoire de l’être humain dans la société.Les données ainsi collectées ont donc été analysées par thèmes qui correspondent aux sept fondements de l’inclusion, décrits dans la première partie de notre thèse.

Les résultats confirment le fait que les écoles étudiées valorisent la diversité et respectent la singularité de chaque élève, non seulement dans la théorie mais aussi dans leurs pratiques. Ils montrent également que la lutte contre l’oppression et l’exclusion fait effectivement partie de leur réalité. Concernant l’accès à l’éducation, les réponses indiquentque l’école populaire ouverte à tous est encore un projet en cours de réalisation, qui se construit pas à pas. On remarque la réelle préoccupation des écoles à accueillir et favoriser l’accès au savoir, malgré les obstacles à surmonter au quotidien. On constate aussi que la participation, l’autonomie et la collaboration entre les professeurs sont stimulées dans les écoles concernées.

La collaboration entre les parents et l’école n’a pas été confirmée, de même que la systématisation de l’évaluation du dialogue. Nos analyses montrent que l’évaluation s’accompagne de davantage de dialogue mais qu’elle est souvent réalisée par le seul professeur. Même si l’évaluation du dialogue demeure encore en cours de réalisation, il est confirmé que ces écoles adaptent leur pédagogie aux besoins spécifiques des élèves.

Les réponses révèlent également que les acteurs ont rompu avec la vision traditionnelle de l’enfant à BES, qui, croit-on encore, n’apprendrait rien ou présenterait de telles difficultés d’apprentissage qui ne lui permettrait de profiter à l’école que d’une socialisation. Les interviewés défendent clairement l’idée que les savoirs scolaires sont nécessaires à l’éducation de l’élève à BES afin de l’inclure dans la vie professionnelle et la société en général. Leurs réponses nous permettent de conclure qu’une rupture s’est opérée par rapport à la croyance que l’élève est la seule cause de la difficulté d’apprentissage.

Enfin, les réponses ne laissent aucun doute concernant le fait que l’école populaire favorise le développement professionnel de l’enseignant. Si, d’une part, les enseignants affirment ne pas recevoir de formation spécifique pour travailler avec les élèves à BES, d’autre part, ils font partie d’une école où l’enseignant apprend beaucoup dans le quotidien de sa pratique pédagogique, à travers la recherche constante et les pratiques interdisciplinaires.

En résumé, notre hypothèse de recherche est globalement confirmée. Notre thèse montre que les écoles populaires, basées sur la théorie et la pratique de Paulo Freire peuvent être considérées comme inclusives sous divers aspects. L’analyse des entretiens prouve que des changements radicaux ont eu lieu dans ces écoles concernant les idées, l’organisation et la pratique pédagogique. La pensée freirienne, susceptible de constituer un référent , invite à des ruptures et par conséquent à des mutations culturelles qui permettent à leur tour de penser à d’agir à l’inclusion scolaire des enfants à BES.

A partir de ces résultats, énumérons les principales ruptures culturelles facilitées par l’œuvre de Paulo Freire, nécessaires à la construction de l’école inclusive. Le premier type de ruptures renvoie à une autre manière de considérer l’élève à BES. Diverses transformations doivent être réalisées pour qu’un nouveau regard concernant la position de l’enfant à BES dans la société se crée. Au sein de ce thème nous soulignons quelques ruptures spécifiques :

  • Passer d’une culture où les catégorisations prédominent à une reconnaissance des singularités de chaque élève.

Toute catégorisation de l’élève à BES représente une violence car aucune catégorie n’est suffisante à définir l’enfant dans sa singularité. Les acteurs scolaires et la société de manière générale éprouvent de grandes difficultés à surmonter la logique des étiquettes. Soit ils accentuent trop la « normalité » de l’enfant à BES en effaçant ses spécificités soit ils accentuent trop ces spécificités et renforcent l’exclusion. Il s’agit d’une difficulté à surmonter la logique binaire du normal / anormal.

Freire montre que pour surmonter la contradiction oppresseur / opprimé, il est nécessaire de comprendre que le système ignore la personne dans son intégrité. La solution qu’il donne pour résoudre le problème est le dialogue. A travers lui, les deux personnes peuvent exister pleinement.

Nous avons vérifié le fait que la pratique des Ecoles Populaires inclusives étudiées cherche effectivement à se concentrer sur la singularité de chaque enfant. Les thèmes générateurs constituent un de ces pratiques du dialogue. Ils permettent de mieux connaître les élèves, et chaque élève en particulier, puisqu’ils exigent que l’enseignant soit attentif à ce qu’ils disent, à leur réalité. Ils poussent le professeur à s’intéresser à ce que l’élève a à dire, faisant de cela un matériel de construction curriculaire.

La valorisation de l’élève, de sa culture, de sa situation réelle favorise cette transformation culturelle. A partir du moment où il est réellement pris en compte, il fait activement partie de la société.

Cependant, passer d’un modèle de catégorisations à la valorisation de la singularité exige une transformation antérieure : il est nécessaire que se développe une culture du dialogue comme le propose Freire, créant ainsi un espace pour la transformation culturelle.

Cet espace représente l’ouverture à l’autre et permet que l’élève passe du statut d’objet à celui de sujet, favorisant ainsi l’émergence de l’école inclusive.

  • Passer d’une vision négative, qui se concentre sur ce qu’il manque, à une vision que se concentre sur les richesses et le potentiel de l’élève.

Parler de valorisation de la diversité et maintenir les mêmes mécanismes disciplinaires et d’organisation scolaire débouche seulement sur des actions superficielles. La véritable valorisation de la singularité n’est pas quelque chose de marginal mais plutôt quelque chose qui étend la « normalité » à toute la diversité humaine. Les mécanismes de « domination de la norme » intériorisés dans tous les aspects du monde scolaire contribuent à ce que la différence soit vue de manière négative, compromettant ainsi les attentes éducatives de l’enfant à BES.

Dans les écoles étudiées, tout le travail scolaire se concentre sur la singularité de chaque enfant. La vision des élèves à BES à partir de ce nouvel angle de vue n’est plus dépréciative. A partir de la réalité, de la diversité de ces enfants, tous sont sur un pied d’égalité pour étudier et se développer de différentes manières. La conséquence première de cette transformation culturelle réside justement en un regard valorisant, un regard qui ne se concentre pas sur la déficience en soi mais sur le sujet dans sa totalité et dans son droit à être singulier.

La difficulté de rompre avec l’évaluation classificatoire vient de la difficulté à rompre avec la vision idéalisée de l’ « élève normal ». Dans cette logique, tout ce qui est en conformité avec le standard établit est mis en avant et débouche sur l’exclusion.

La pratique de l’évaluation se transforme au fur et à mesure que nous rompons avec cette logique et que nous commençons à comprendre la diversité comme une caractéristique intrinsèque de l’être humain. Le cœur de l’évaluation, dans une perspective inclusive, consiste à déterminer le cheminement qui a été fait depuis le point de départ et non uniquement celui qu’il manque pour arriver à un point déterminé. Passer d’une vision qui se concentre sur les difficultés ou les manques à une vision qui se concentre sur les progrès et les réussites reflète l’effective valorisation de la diversité.

Un deuxième ensemble de ruptures traite de la trajectoire scolaire de l’élève à BES. A ce propos, mettons encore en lumière quelques ruptures spécifiques :

  • Surmonter la dichotomie savoirs scolaires et socialisation, pour atteindre une socialisation à travers les savoirs scolaires :

On assiste communément à deux attitudes dans les écoles qui se disent inclusives : Celles qui privilégient l’aspect de socialisation de l’élève et celles qui privilégient les savoirs scolaires. Or, favoriser uniquement la socialisation revient à sous-estimer les capacités et le potentiel de l’enfant, et de la même manière, privilégier les savoirs scolaires sans prendre en compte les spécificités de l’enfant revient à diminuer la spécificité de chaque élève. Aucune de ces alternatives n’atteint l’objectif final de l’éducation qui doit associer ces deux aspects. Dénigrer l’un ou l’autre fait échouer toute l’éducation inclusive.

Les écoles inspirées des théories de Paulo Freire ont opté pour une re-signification des savoirs scolaires à travers les thèmes générateurs. Ces derniers permettent que tout enfant, quelque soit sa spécificité, puisse s’approprier les savoirs « contextualisés » à sa réalité. Ainsi, les savoirs scolaires ne représentent plus un instrument d’exclusion.

Explorer le potentiel des élèves sans prédéterminer leur développement cognitif constitue une base de la programmation du curriculum. Ce dernier doit cependant être flexible, capable de s’adapter aux besoins de chaque enfant.

Le doute et l’imprévisibilité humaines doivent faire partie du curriculum scolaire. Tout radicalisme vers un côté ou un autre peut devenir source de souffrance pour l’enfant et une condamnation à l’échec scolaire et social. L’école inclusive, par définition, est une école engagée dans la réussite scolaire de tous les enfants.

  • Lutter contre les ruptures déstructurantes en faveur de la continuité éducative.

La lutte des parents des enfants à BES pour réussir à inscrire leurs enfants est connue. Les lois qui favorisent l’accès scolaire de ces enfants sont encore insuffisantes à garantir un parcours scolaire continu. Les chiffres montrent que la grande majorité des élèves à BES ne dépassent pas l’enseignement de base. Et cela vient du fait que toutes les écoles ne sont pas engagées dans l’accueil de ces élèves, rendant ainsi difficile leur entrée ou leur permanence. En réalité, le passage de l’enseignement de base à l’enseignement de second degré et de ce dernier à l’enseignement supérieur ne s’effectue pas pour la majorité des élèves à BES, et lorsqu’il s’effectue, c’est avec des ruptures qui retardent et déstructurent le parcours scolaire de l’élève.

Or, cela ne sert à rien de garantir son inscription dans l’enseignement de base s’il n’existe pas d’actions assurant sa continuité.

Les écoles étudiées rencontrent des difficultés à ce niveau. Elles cherchent à instaurer des partenariats avec d’autres écoles du second degré, afin s’assurer le passage. Malgré cela, il manque une action plus consistante émanant des instances gouvernementales qui iraient dans ce sens.

La véritable inclusion consiste à assurer l’accès à l’éducation à tous les niveaux.

  • Passer d’un parcours au sein d’un système prédéterminé à une flexibilité des parcours scolaires :

Le modèle brésilien s’apparente au modèle italien, pour ce qui se réfère à l’assimilation des systèmes régulier et spécial au sein d’un seul système. Cependant, il est nécessaire que ce système garantisse l’accueil à la diversité à travers sa flexibilité interne. Au Brésil, malheureusement, la pratique de la planification individuelle du parcours scolaire pour chaque élève n’existe pas encore. Cette situation est apparue clairement au cours de notre travail. Les écoles engagées dans l’inclusion éprouvent des difficultés car il n’y a pas de systématisation de la planification du parcours scolaire de l’enfant.

Si l’inclusion présuppose l’adaptation de l’école aux besoins de chaque élève, une planification évolutive de la meilleure forme de scolarisation pour chaque élève selon ses conditions et son développement est nécessaire. Il n’existe pas de forme d’inclusion meilleure que les autres, mais plutôt une diversité de possibilités qui doivent être explorées en fonction des besoins de l’élève.

L’école pour des jeunes et des adultes (EJA)est-elle la seule destination des élèves à BES après l’enseignement de base? Tous les élèves doivent-ils rester le même nombre d’années à l’école régulière ? Quelle est la meilleure équation pour l’utilisation des institutions d’appui internes ou externes à l’école ? Enfin, de quels éléments l’école dispose-t-elle pour effectuer une planification consistante du parcours scolaire de l’élève ?

Il faut traduire en actes éducatifs et pédagogiques les droits de l’enfant à BES, en créant des dispositifs nouveaux et différents visant à diversifier non pas uniquement les pratiques pédagogiques mais toute la structure du système éducatif. Cette diversification révèle réellement un système scolaire qui se dit inclusif.

L’inclusion ne se fera pas par le biais de mesures superficielles et /ou fragmentées mais plutôt à travers une profonde révision du système éducatif dans son ensemble.

Le troisième type de rupture se réfère à la professionnalisation de l’enseignant face à l’inclusion. Malgré le fait que tous les acteurs éducatifs soient impliqués dans ce processus, l’enseignant représente, sans aucun doute, la pièce- maîtresse. Quelles sont les transformations nécessaires que doit subir le profil de ce professionnel ?

  • Passer d’actions et de sensibilisations purement informatives à une formation professionnalisante et consistante :

L’éducation inclusive présuppose une transformation du rôle de l’enseignant : Un enseignant davantage engagé aux côtés de l’élève, intéressé par son environnement et l’histoire de sa vie ; un professeur qui stimule la pensée critique de ses élèves, qui ne reproduit pas passivement ce que pense la société, un professeur qui valorise et respecte les singularités de chaque élève, promouvant son développement et son autonomie.

Au sein de chaque école, certaines actions stratégiques sont indispensables pour que l’école inclusive devienne une réalité.

L’élaboration d’un plan de formation de tous ses acteurs, incluant directeurs et auxiliaires externes à l’école est une action d’extrême importance. Il est également fondamental que tous les résultats positifs et les expériences innovatrices de réussite soient relevées et diffusées à l’intérieur et à l’extérieur de l’école. Cette dernière ne doit pas être isolée de la communauté. Il est nécessaire qu’elle s’associe à d’autres écoles et institutions afin d’échanger informations et expériences.

Dans le domaine de la formation initiale du professeur, des changements plus effectifs doivent être effectués. La formation de tout professeur doit inclure, au delà des thèmes curriculaires déjà existants, des savoirs concernant les différents types de déficiences, les différentes pédagogies et didactiques, les phénomènes de représentation psychologiques et relationnels liés au problème de la déficience, ainsi que la connaissance des problématiques de l’école et de la société inclusives.

Restreindre ces connaissances aux spécialistes empêche l’avancée de l’école inclusive et constitue une contradiction du propre système éducatif.

Au delà de l’école, la formation de toutes les professions doit être revue. L’architecte n’a-t-il pas besoin d’informations pour penser l’accessibilité ? Le chef d’entreprise ne devrait-il pas connaître les changements législatifs et les actions qui découlent de la participation de personnes à BS dans les entreprises ? Le professionnel de la santé n’accueille-t-il pas des patients à BS ? Enfin, si la formation de tous les professionnels doit connaître des changements compatibles avec une société inclusive, la formation du professeur mérite une attention particulière du fait de l’impact direct qu’il a sur la formation des personnes. Ceci est une rupture fondamentale et cependant encore négligée au Brésil.

  • Passer d’un seul maître à bord à l’entrecroisement des compétences :

Une des causes de l’échec ou de l’inefficacité des actions en faveur de l’inclusion réside dans l’inexistence ou la faible coordination d’efforts allant dans le même sens. L’enseignant éprouve encore d’immenses difficultés à partager ouvertement son savoir et son ignorance avec ses collègues. Cette attitude, héritée de l’école traditionnelle, ne contribue en rien à l’inclusion. Il est nécessaire de descendre de son piédestal chaque discipline afin de construire collectivement des pratiques pédagogiques.

Les écoles étudiées au cours de ce travail, ont réussi, non sans difficultés, à surmonter cette barrière grâce à la pratique des thèmes générateurs. La construction collective du curriculum fait partie de manière effective du quotidien des professeurs. Au delà des avantages pour les élèves, les enseignants constatent le gain professionnel apporté par ce changement.

Cependant, de manière générale, la difficulté du travail collectif persiste non pas uniquement entre les acteurs internes à l’école mais aussi entre les différents secteurs : éducatif, médical et social. Chacun cherche à défendre son propre terrain, comme si ce dernier avait besoin d’arguments pour prouver son importance. Dans cette volonté d’affirmer ou de savoir quel est le secteur dominant ou de plus grande importance, on oublie l’enfant.

L’éducation inclusive n’autorise aucune attitude qui n’ait pas pour finalité le total développement des élèves. Il est nécessaire d’apprendre à échanger des expériences, à construire de manière collective, à ne pas avoir peur ou honte de montrer son ignorance. Le savoir n’est plus la propriété de tel ou tel enseignant mais un bien construit pas tous.

Parmi tous les acteurs qui partagent leurs savoirs en faveur de l’éducation, la famille occupe une place fondamentale. Historiquement tenue éloignée des actions scolaires, elle représente aujourd’hui un partenaire-clé du mouvement inclusif. Cependant, pour qu’un rapprochement des parents avec l’école s’effectue, il est nécessaire que cette dernière connaisse et comprenne l’impact que l’enfant à BS peut avoir dans la dynamique familiale. La famille éprouve également de grandes difficultés à rompre avec une culture de domination de la norme et à comprendre le mouvement inclusif.

Le savoir venant des parents de l’élève et particulièrement de ceux qui ont des BES constitue une ressource précieuse pour l’école. Cette dernière peut et doit agir pour apporter une aide aux parents et comprendre leur importance en tant que partenaires de l’école, en faveur de l’éducation de leurs enfants.

  • Passer du stéréotype de l’enseignant résistant à la compréhension de son besoin de soutien.

Les professeurs étiquetés comme « résistants » au mouvement inclusif sont nombreux. Il est cependant nécessaire de reconnaître que le quotidien de ces professionnels est particulièrement exigeant. Le manque de ressources, le nombre élevé d’élèves par classe, le manque de formation et la propre implication émotionnelle avec les élèves constituent des facteurs stressants.

Dans la mesure où l’école tout entière se propose de collaborer à la matérialisation de l’inclusion, les professeurs diminuent leur résistance et se sentent motivés concernant les défis pédagogiques que cela implique. Dans les écoles étudiées, les professeurs ont une plage horaire hebdomadaire réservée à la planification, pour extérioriser leurs doutes et leurs éventuelles appréhensions. Si le professeur sent que l’élève n’a pas les capacités requises, que tel ou tel élève présente des difficultés d’apprentissage qu’il ne peut surmonter, il a la possibilité de partager cela avec les professeurs et les directeurs de l’école afin de trouver collectivement des solutions au problème.

Très souvent, le professeur est incompris en ce qui concerne les difficultés qu’il éprouve, mais il est fondamental de comprendre qu’il existe une diversité de professeurs et que leurs modes d’évolution et de compréhension de l’inclusion et des impacts de cette dernière sur leur vie professionnelle sont différents.

La quatrième et dernière rupture se réfère plus largement à l’éducation et à la société. De fait, l’inclusion relève de problématiques qui vont au delà du problème spécifique des personnes à BS. Elle implique des mutations culturelles de l’école et de la société.

  • Passer de la représentation de l’inclusion en faveur de l’élève à BES à la conception d’une inclusion en faveur de tous.

Le mouvement inclusif constitue une force extrêmement rénovatrice pour l’éducation dans son ensemble. La richesse pédagogique nécessaire à l’école inclusive profite à tous les élèves, aussi bien d’un point de vue pédagogique que relationnel et civique. De nouvelles pratiques pédagogiques qui favorisent l’apprentissage d’un plus grand nombre d’élèves sont explorées. Une nouvelle culture pédagogique ancrée dans l’exploration de nouveaux modes de savoir et d’une autre manière de penser l’humain dans sa diversité s’est amorcée.

Freire a été un grand défenseur des pouvoirs de transformation et de création de l’éducation. C’est cet esprit qui anime l’école inclusive. Non plus une pédagogie de l’échec mais une pédagogie de la réussite, du dépassement et de la découverte.

  • Passer d’une intention de charité à l’application du droit à l’éducation pour tous.

Parmi les droits individuels de l’homme, le droit à l’éducation est le plus important, à l’exception du droit à la vie. Il s’agit d’une condition préalable à la jouissance de presque tous les droits de l’homme par la personne.

Ce droit ne se réfère pas uniquement au droit à la disponibilité et à l’accessibilité d’une éducation quelconque mais à une éducation de qualité qui offre les conditions nécessaires pour que le sujet exerce sa totale citoyenneté.

Les lois en faveur de l’inclusion constituent un premier pas d’importance pour la transformation sociale mais il est nécessaire de mettre en pratique ce qui a déjà était conquis dans le domaine législatif. Il revient à chaque école de définir ses stratégies afin de rendre effective l’inclusion, non pas comme une mode éducative mais comme la reconnaissance de la matérialisation d’un des principaux droits de l’homme.

  • Passer d’un regard distant à une attitude éthique concernant les personnes à BES.

Freire avait l’habitude de dire que l’éducation ne devrait pas être faite pour les élèves mais avec eux. Cette attitude résume l’éthique nécessaire à l’inclusion : construire avec l’élève son parcours pédagogique ; l’amener vers l’école de manière responsable et engagée par rapport à son éducation.

L’école, qui prétend être inclusive sans vouloir modifier ses habitudes, est vouée à l’échec. L’engagement éthique exige que les simples discours soient abandonnés en faveur d’actions effectives et cohérentes avec le mouvement inclusif. Ce dernier requiert, en somme, une lutte contre les situations de discrimination, favorisant ainsi les ruptures culturelles nécessaires à une éducation et société inclusives.