Introduction générale

Notre recherche porte sur la didactique de l’écrit en français langue seconde. Il est donc à la croisée de deux préoccupations, l’enseignement du français en langue seconde et l’enseignement de l’écrit.

Sur le premier plan, il est notable que la didactique du français langue seconde (notion elle-même assez récente se fraye, cependant, de plus en plus un chemin au sein de la didactique des langues dans l’objectif de s’imposer comme un concept à part entière) s’est développée après celle qui s’occupe du français langue maternelle ou du français langue étrangère.

Sur le second plan, dans Ecrire au collège : didactique et pratique d’écriture (1994, p13), Sylvie Plane déclare que : « Cela ne fait […] qu’une trentaine d’années tout au plus que l’enseignement et l’apprentissage de l’écriture sont devenus l’objet d’études et de propositions qui permettent de constituer une didactique de la production d’écrit ». Cela fait donc maintenant une quarantaine d’années, nous devrions plutôt dire cela ne fait qu’une quarantaine d’années que l’on s’intéresse à l’enseignement/apprentissage de l’écrit. Jusque-là c’est l’enseignement/apprentissage de l’oral qui était au centre des préoccupations des chercheurs.

L’écriture, ce système de représentation graphique, est un processus auquel on attribue de plus en plus d’importance. C’est un code langagier dont la maîtrise dénote également la maîtrise de tous les éléments constitutifs, intrinsèques à ce moyen de communication. Il se présente, de ce fait, comme un processus complexe mettant à contribution des compétences multiples.

Nous décidons, dans le cadre de notre travail, d’axer notre perspective de recherche sur la problématique de l’écrit dont la maîtrise représente une difficulté patente pour les apprenants tunisiens.

Ce processus d’écriture s’organise comme suit :

Ce schéma (Jean-Pascal Simon 1995, p93) permet de porter un regard d’ensemble sur l’écrit et ses différentes manifestations, qu’elles soient individuelles ou collectives. Le schéma définit, ainsi, l’activité rédactionnelle comme garante de la réussite sociale et professionnelle de tout un chacun. Il la présente également comme un processus individuel à travers lequel le scripteur cherche à s’exprimer et à traduire sa (ses) vision(s) des choses et du monde tout en tentant à mettre à profit son savoir et à recourir à un savoir-faire particulier. Au-delà de cet aspect individuel que revêt l’écrit, il ne demeure pas moins qu’il s’oriente vers une perspective communicative qui met le rédacteur en relation avec un lecteur potentiel vers lequel il dirige son produit. Le produit écrit devient alors, à l’instar de l’oral, un moyen d’interpeller l’autre et de pouvoir agir sur lui ; ce qui fait basculer le scripteur d’une optique personnelle et « nombriliste » qu’il a de son texte vers une prise de conscience de l’aspect discursif dudit texte.

L’écrit tient une place primordiale dans le processus de scolarisation. Sa maîtrise étant considérée comme déterminante dans la réussite scolaire et professionnelle de tout un chacun, il est donc intéressant d’observer les productions écrites de quelques étudiants. Cette observation pourrait nous renseigner sur leur capacité rédactionnelle et nous amener à déterminer aussi bien leurs habiletés que leurs besoins linguistiques et scripturaux. A partir de là, nous essayerons de repérer où résident leurs problèmes et nous tenterons grâce aux informations recueillies et – autant que faire se peut – de proposer quelques remédiations.

Les recherches sur la didactique de l’écrit, focalisées, jusque-là, sur l’étude de l’objet produit, s’intéressent désormais, et de plus en plus, au processus de production de cet objet. Ce sont les mécanismes mentaux mis en œuvre dans la réalisation de la tâche scripturale qui deviennent la cible des recherches effectuées. Ce n’est plus seulement le résultat final qui est analysé, mais c’est tout le travail mental accompli par le(s) scripteur(s) – dès le déclenchement de l’activité scripturale jusqu’à sa fin – qui devient le centre d’intérêt des chercheurs.

Notre recherche s’inscrit dans un cadre spécifique. Nous ne pouvons - dans notre recherche didactique sur les productions écrites des apprenants universitaires - observer les compétences vs performances de ces derniers, sans prendre en compte et chercher à cerner les contextes sociolinguistique et psychologique (ou le rapport de l’apprenant tunisien avec l’écrit) qui influent immanquablement sur les deux points précédemment cités.

C’est ainsi que le rôle qu’occupe la langue française au sein du système éducatif tunisien (à savoir langue enseignée et langue d’enseignement), et, à plus grande échelle, la situation sociolinguistique tunisienne nous amènent à nous interroger sur le rapport que peut entretenir l’apprenant tunisien avec le français, jusque-là représenté comme une langue étrangère privilégiée et qui semble de plus en plus être défini comme une langue seconde, du fait du statut dont il bénéficie au sein de la société.

Dès lors, l’enseignement bilingue dispensé aux apprenants tunisiens ne fait que consolider encore davantage l’importance du français dans la société tunisienne. Bien que l’arabisation de l’enseignement semble gagner du terrain, il demeure indéniable que le français continue de tenir un rôle capital aussi bien dans la transmission des savoirs linguistiques que comme vecteur de multiples savoirs scientifiques.

Le bilinguisme que connaît la société tunisienne, et ce depuis l’indépendance, relève de ce que l’on pourrait appeler un « bilinguisme additif ». Ce terme dont parle Lambert (in Hamers F & Blanc H, 1983)1 désigne la situation qui prévaut « lorsque les deux langues sont valorisées socialement et qu’elles y jouent des rôles harmonieusement complémentaires ». C’est le cas de la langue française en Tunisie qui est présente à côté de la langue arabe classique. Mais cette co-existence plus ou moins harmonieuse - mais parfois aussi conflictuelle entre ces deux langues en présence au sein du pays - constitue sa richesse.

C’est au sein de cet univers linguistique complexe, dont une explicitation sera proposée dans la première partie de notre travail, qu’évolue l’apprenant tunisien. Ce dernier sera représenté, au cours de notre travail d’observation, par l’étudiant en première année de français d’enseignement supérieur.

Dès son entrée à l’université, cet apprenant est confronté à plusieurs contraintes auxquelles il doit faire face : un nouveau savoir à s’approprier, des savoir-faire à maîtriser mais aussi des stratégies d’apprentissage à développer et une adaptation à un nouveau système académique à réussir…

D’autre part, la première année d’université est une étape charnière entre le secondaire et le supérieur. Or ce qui est remarquable, et ce sur une période de plusieurs années universitaires, c’est le taux d’échec que connaissent les apprenants en première année d’études supérieures. Constituant le critère de la réussite scolaire et universitaire par excellence, le défaut de maîtrise de l’écrit est souvent la cause de cet échec à répétition.

Ainsi, nous sommes obligés de prendre en compte le constat qui est sans cesse fait de la faiblesse du niveau des apprenants tunisiens et, en l’occurrence, des étudiants littéraires, pourtant supposés – plus que d’autres étudiants appartenant à des filières différentes – présenter un niveau de maîtrise de la langue française plus ou moins satisfaisant. Une parfaite maîtrise de la langue française et de l’expression écrite en français est effectivement exigée de la part des étudiants en lettres françaises qui seront amenés, plus tard en tant que futurs enseignants, à transmettre leur savoir et leur savoir-faire linguistiques.

La première partie de notre thèse est donc orientée vers une présentation générale de l’étude empirique que nous avons décidé d’entreprendre ainsi que des objectifs que nous désirons atteindre (déterminer le degré d’appropriation du savoir-écrire par les étudiants, observer leur mise en pratique de ce savoir, tenter de délimiter les besoins langagiers de ces apprenants, etc…).

S’en suit une étude sociolinguistique qui permet de cerner la place de la langue française au sein de la société tunisienne ainsi que les spécificités qu’elle peut afficher dans un pays qui a choisi de consolider son bilinguisme tout en adoptant une arabisation progressive. C’est ce contexte linguistique que nous avons choisi comme terrain d’étude en raison aussi bien de sa richesse que de sa complexité, un paysage linguistique caractérisé par un brassage entre plusieurs langues et dialectes.

Nous nous intéresserons, également, à la formation prodiguée aux étudiants à travers une étude des textes officiels, dans le but de comprendre où le bât blesse, c’est-à-dire de déceler les raisons de l’écart existant entre les attentes du système éducatif et ce que l’apprenant tunisien présente comme capacités scripturales et linguistiques. C’est la relation entre un projet que l’on aimerait voir se concrétiser et une pratique qui, bien qu’essayant de s’y conformer, ne demeure pas moins éloignée des exigences théoriques exprimées.

Nous avons décidé, en outre, pour l’organisation de notre travail de recherche, d’accomplir le cheminement inverse de celui qu’ont suivi les différents scripteurs. Ainsi, ces derniers, et afin de répondre aux exigences de la consigne présentée, oralisent leurs actes scripturaux et ce en concomitance avec la rédaction du texte qu’ils effectuent en dyade. L’oral se présente, alors, comme un moyen par lequel les apprenants accèdent à l’écrit. C’est à travers leurs multiples oralisations qu’ils construisent progressivement leur écrit. Notre travail de recherche, cependant, tend à adopter la démarche inverse. Notre analyse s’intéressera, de prime abord, aux écrits fournis par les étudiants pour remonter, par la suite, aux échanges oraux qui ont permis la réalisation et le développement de ces projets scripturaux. Nous débutons par l’observation du résultat final pour aboutir à la prise en compte des opérations antérieures qui l’ont généré dans le but de comprendre les tenants et les aboutissants du travail scriptural en ayant conscience de l’importance des deux modalités langagières que sont l’oral et l’écrit : c’est l’oral qui amène l’écrit, mais c’est aussi à travers l’écrit que les décisions prises au niveau de l’oral prennent forme.

Nous aboutirons, en fin de parcours, à des constatations multiples qui viendront clore une série d’analyses et d’observations effectuées dans une perspective précise, celle de rendre compte, aussi objectivement que possible, des carences en production écrite en français dont souffrent encore les étudiants littéraires tunisiens.

Nous nous demanderons ce que recouvre l’expression « maîtrise du français », expression « qui est utilisée pour formuler une exigence, une plainte ou encore une évaluation et souvent les trois ensemble ? »2 (Defays, J.M, Maréchal,M & Mélon, S. 2000, p : 191). Cette citation nous semble synthétiser, grosso modo, l’idée véhiculée par notre recherche, à savoir la prise en compte d’une interrogation continuelle formulée à l’égard du niveau de maîtrise du français par les apprenants (englobant la maîtrise aussi bien de l’oral que de l’écrit) et qui revêt tantôt l’aspect d’une exigence, d’une plainte ou d’une simple évaluation de certaines compétences. Cela dénote, finalement, une inquiétude omniprésente au sein du système éducatif vis-à-vis de la fossilisation chez les apprenants de certaines incompétences – qu’elles soient linguistiques ou scripturales – en dépit de la formation qui leur est accordée qui se veut exhaustive et préparant au mieux l’apprenant à une gestion efficace de ses savoirs et à une exploitation satisfaisante de ses savoir-faire.

Ces interrogations sont aussi les nôtres et nous nous attelons, à travers cette recherche sur les processus rédactionnels en FLS (ou français langue seconde) et la modeste contribution qui la sous-tend, à essayer d’apporter des éléments de réponse pouvant aider la réflexion sur la problématique étudiée.

Notes
1.

Cité dans la thèse en Sciences de langage de Topouzkhanian S (2002). L’appropriation simultanée de deux langues écrites (français et arménien) de la Grande Section de Maternelle au cours élémentaire Première Année.

2.

« les programmes de français du 3ème degré de transition : entre maîtrise des compétences terminales du secondaire et préparation à l’enseignement supérieur» in Defays, J.M ; Maréchal,M & Mélon, S. (2000). La maîtrise du français du niveau secondaire au niveau supérieur. Bruxelles : Editions De Boeck Université. p 191