1-1- La situation expérimentale mise en place :

Les enregistrements audio ont été réalisés pendant les mois de Février/Mars 2000/2001 c’est-à-dire cinq mois après le début des cours et après la période d’examens de la première session. Les étudiants ont eu pleinement le temps de s’habituer au rythme universitaire. Les enregistrements se déroulent dans un lieu institutionnel (la salle de classe). Ils sont réalisés au sein de deux systèmes éducatifs différents : d’un côté, huit binômes de l’ISLT (l’Institut Supérieur des Langues de Tunis I) et de l’autre, huit autres binômes de la Faculté des Lettres de la Manouba. La durée de l’enregistrement varie d’un binôme à un autre, mais reste comprise entre 45mn et 1h45. Le sujet qui leur est proposé est : « Quel regard portez-vous sur les jeunes dans la société tunisienne d’aujourd’hui ? ». La consigne est d'élaborer collectivement une production argumentative restreinte, à savoir un essai, en se conformant à un certain protocole, en l’occurrence la méthode des protocoles verbaux concomitants, c'est-à-dire en verbalisant ce qu'ils sont en train de faire au moment même où ils effectuent la tâche en question. Ains,i nous pouvons avoir comme éléments d’analyse et leurs actions se résumant aux textes produits et leurs commentaires oraux sur les différentes étapes de leur création. C’est à travers cette situation oralo-graphique que nous allons tenter de déceler les difficultés langagières de ces étudiants face à la tâche qui leur incombe.

La situation n’est certainement pas inédite (le fait de faire travailler deux étudiants en collaboration sur un exercice précis est un procédé certes rare mais pas inexistant au sein de l’enseignement tunisien) mais le fait est qu’elle ne représente pas une méthode d’enseignement puisqu’elle n’est pas adoptée par tous les enseignants (chacun élaborant une pédagogie qui lui est plus ou moins personnelle).

En effectuant un enregistrement audio des productions des apprenants, nous projetons d’utiliser – par la suite – les commentaires verbaux de ces derniers afin d’alimenter notre travail d’analyse. Ces observations verbalisées qui s’échelonnent sur la totalité de la production écrite nous informent sur les stratégies adoptées par les étudiants en vue d’accomplir la tâche qui leur incombe, sur les évaluations auxquelles ils ont recours tout au long de leur travail scriptural mais également sur les raisons qui les ont poussés à faire tel ou tel choix. La rédaction se passant en dyade, les verbalisations de l’un sont alors commentées, acceptées ou bien récusées par l’autre et vice versa. Cette situation d’échanges permanents et de coopération-coénonciation amène les co-scripteurs à des négociations réitérées ayant pour but d’arriver à présenter un travail cohérent.

Ainsi, notre perspective de recherche prend en considération l’échange conversationnel qui s’élabore entre les étudiants. C’est à travers cet acte communicationnel que chaque étudiant arrive à construire son univers langagier.

Ayant eu recours dans notre recherche uniquement à des enregistrements audio des étudiants, nous ne pouvions bénéficier d’informations supplémentaires qui auraient, cependant, pu représenter un plus dans notre étude et cela à travers des enregistrements vidéo qui auraient permis de prendre en considération la kinésique déployée par ces apprenants. A certains moments, l’action scripturale peut se poursuivre sans qu’il y ait pour autant un commentaire accompagnateur. La caméra aurait eu pour rôle de capter ces instants silencieux afin de rendre compte des moindres faits et gestes des apprenants (le passage du stylo d’un étudiant à un autre qui signifie un changement de scripteur, un geste de la tête en guise de réponse à une question posée, un hochement d’épaule, un signe de la main pour montrer une erreur sur la feuille…). Il y aurait eu dans ce cas deux caméras, une rivée sur le binôme et l’autre fixée sur la feuille afin de rendre compte de tout ce qui se passe au cours de ce moment rédactionnel. Cela étant dit, les enregistrements audio représentent un élément important de notre corpus et permettent, à eux seuls, de révéler de nombreux aspects de l’acte rédactionnel et non des moindres.