2- Hypothèses de travail :

Les hypothèses de travail qui suivent se présentent sous forme de présomptions qui pourraient, au fur et à mesure que nous avancerons dans l’analyse du corpus, devenir des certitudes ou au contraire être infirmées grâce aux conclusions auxquelles nous aboutirions en fin d’étude.

Nous devons, en effet, tenter d’explorer plusieurs éventualités dans le but d’aboutir à trouver une explication aux mauvaises performances des étudiants à l’écrit qui, selon nous, est à chercher :

1ère hypothèse : L’université met la barre trop haut dans la maîtrise de l’écrit :

Les attentes des enseignants et des institutions dépasseraient les compétences réelles des étudiants : plusieurs objectifs sont fixés dès le début de l’année scolaire et ce en vue de montrer la volonté d’atteindre un certain niveau d’enseignement/apprentissage de la langue française. Les institutions instaurent des règles, prévoient des méthodes d’enseignement mais semblent surestimer la réalisation effective de leurs « projets ». En effet, une prise en considération des difficultés manifestes des étudiants face à l’écrit est primordiale. A travers l’intérêt que nous porterons aux textes officiels, nous expliciterons les choix pédagogiques effectués par le système éducatif et le type de savoir qu’on cherche à faire acquérir aux apprenants tunisiens.

2ème hypothèse : La maîtrise de l’écrit est beaucoup plus difficile que celle de l’oral :

Les étudiants semblent être plus à l’aise à l’oral qu’à l’écrit. L’expression orale est manifestement plus sollicitée que l’écrit. Les étudiants appréhendent toujours l’écrit où les écarts de langue sont sanctionnés. La production écrite présente pour eux une multitude de contraintes auxquelles ils doivent se plier (des techniques scripturales précises, un langage soutenu…) contrairement à l’oral qui s’offre à eux comme un outil de communication moins rigoureux et moins contraignant. A l’oral, on s’exprime plus ou moins librement puisqu’on échappe au carcan de l’écrit. Le langage est relâché, sans contraintes majeures. Toutefois, cette liberté d’expression ou cette spontanéité de la parole s’explique par le fait qu’à l’oral, le propos échappe à une organisation rigoureuse et linéaire. Les hésitations ou scories sont très fréquentes dans une communication orale qui se trouve souvent sujette à des modifications multiples et répétées de la part du locuteur qui le fait ainsi apparaître comme discontinue et désorganisée.

D’autre part, nous pourrions pointer la facilité de l’auto-correction à l’oral. A l’oral, on est sans cesse en présence d’un autre qui nous écoute, qui nous regarde et c’est justement le regard de cet autre qui est susceptible de jouer un rôle déterminant dans le processus de production de la parole. C’est en fonction de l’interprétation que se fait l’un des interlocuteurs, d’un regard, d’un geste ou d’une mimique déployés par son homologue que l’auto-sanction se produit grâce à la réaction, consciente ou non, de l’autre. La reformulation est alors de rigueur. A contrario, l’écrit se présente comme un message envoyé à un lecteur potentiel, à une personne absente, anonyme qui ne se manifeste pas au moment de l’écriture. Le scripteur tente de prévoir autant que faire se peut la réaction de ce lecteur potentiel. Le scripteur est face à lui-même et face à la page blanche en train de faire au mieux, avec le souci de répondre le mieux possible aux exigences d’une autorité supérieure et d’une consigne. Cette situation est loin d’être aisée puisque l’interlocuteur est absent et que le jugement est différé, ce qui n’est bien évidemment pas le cas à l’oral où la réaction du récepteur du message est directe et plus ou moins instantanée.

3ème hypothèse : Les étapes préliminaires améliorent la qualité du texte écrit :

La manière dont les étudiants organisent leur travail préfigure la qualité de leur produit écrit. S’ils attachent de l’importance aux étapes préliminaires ou textes intermédiaires (à savoir le plan et le brouillon), ils seront plus à même de présenter un produit final qui soit bien organisé, qui suive une progression bien définie et qui obéisse à toutes les contraintes textuelles. Kellogg (1990), cité par les auteurs dans Psycholinguistique textuelle (1996), observe que le fait de rédiger un plan avant la production améliore ensuite la qualité du texte produit. Ainsi, c’est grâce à une organisation et une planification du travail rédactionnel que les rédacteurs arriveraient à orienter leur texte d’une manière spécifique pouvant leur assurer la réalisation d’un produit écrit satisfaisant.

4ème hypothèse : décalage manifeste entre savoirs et savoir-faire :

Les étudiants affichent parfois des connaissances manifestes qu’ils essayent tant bien que mal d’appliquer. La théorie ne se joint alors pas à la pratique puisque les apprenants se trouvent confrontés à des problèmes d’ordre exécutif qu’ils peinent à résoudre. Leur appropriation des cours dispensés et leur maîtrise du savoir enseigné ne sont pas optimales puisqu’ils ne sont pas en mesure de les appliquer. Les connaissances sont, sans nul doute, présentes mais il y a un hic au niveau de leur mobilisation. Le problème des étudiants ne se situe donc pas au niveau du savoir mais plutôt au niveau du savoir-faire.

5ème hypothèse : Relation entre métalangage et qualité du produit écrit présenté :

Existe-t-il une relation entre l’utilisation du métalangage et l’amélioration du produit écrit ? Cette question est intéressante à poser dans la mesure où un nombre important d’apprenants est sans cesse en train de repenser ses actes et ce tout au long de l’acte rédactionnel.

Le métalangage auquel ont recours certains scripteurs influence-t-il leur travail de production et la qualité de leur produit ? Les étudiants qui interrogent leur façon de produire le discours qu’ils énoncent mais aussi les procédés et procédures auxquels ils recourent pour présenter leur travail écrit et la langue grâce à laquelle ils s’expriment, et ce au moment même de la production, présentent-ils un travail mieux élaboré que d’autres scripteurs qui ne se posent pas autant de questions lors de la réalisation de la tâche, qu’elles soient formelles, organisationnelles ou linguistiques ?

Ces multiples interrogations sont aussi, pour nous, un moyen de penser les corpus que nous avons à étudier et une manière d’orienter nos observations vers des cibles précises.