8- Elitisme et disparités :

Pierre Vermeren (2005a) dans son article «Maghreb : des élites entre deux mondes» 6 déclare qu’«…en dépit de l’arabisation des années 1970-1980, qui a accompagné le développement des filières de masse, les élites maghrébines sont toujours formées en français. Il y a même une corrélation entre une haute maîtrise du français et une réussite sociale et professionnelle accomplie». La langue française contribue, de ce fait, à l’intégration socio-professionnelle de l’apprenant et lui confère un rang social important du fait des compétences qu’il affiche dans cette langue. La maîtrise de celle-ci représente, d’autre part, un critère d’élitisme et engendre, de ce fait, une distinction entre des individus d’une même société. Vermeren (2005b) affirme également dans le même article qu’«au Maghreb, la « consécration des élites » par l’enseignement supérieur est devenue une nécessité mais elle n’intervient qu’au terme d’un processus de sélection et de reproduction sociale des élites extérieur au système universitaire. La discrimination par les langues, en particulier par le français, joue dans ce processus un rôle central, largement adossé à un « circuit » de formation préscolaire et scolaire privé ».

En effet, des apprenants appartenant à des classes sociales différentes présentent un rapport à la langue française assez différent puisqu’au sein de leur famille l’utilisation ou le recours au français ne sont pas équivalents. Des apprenants appartenant à une classe sociale favorisée seront plus amenés à recourir au français dans leurs interactions avec leurs proches ou leurs amis que des apprenants faisant partie d’une classe sociale défavorisée, qui se contenteront du dialecte tunisien comme moyen de communication. Ces inégalités sociales créent inexorablement des disparités au sein de l’institution universitaire où ces mêmes apprenants affrontent les mêmes enseignements mais avec des « background » différents.

Nous devons signaler, néanmoins, l’existence de certains apprenants issus de familles défavorisées qui réussissent à se fondre dans le moule et à se hisser au même niveau que leurs camarades. Toutefois, la plupart d’entre eux continuent à souffrir de cette disparité qui dépasse la société pour s’introduire dans le monde scolaire. Tout cela ne peut qu’engendrer, par la suite, des différences de comportements qui généreront inévitablement des inégalités de réussite entre des apprenants qui font partie du même établissement supérieur, qui ont bénéficié du même cursus universitaire mais, ayant appartenu à des catégories sociales différentes et de ce fait ayant fait partie d’établissements scolaires primaires et secondaires différents (publics versus privés), présentent des aptitudes et des compétences hétérogènes. Il nous est impossible de généraliser de tels propos, mais il est indéniable que de telles situations restent identifiables au sein de notre société tunisienne et ce dans diverses institutions universitaires.

Le souci majeur devient, alors, de tenter de résorber les différences au sein des établissements scolaires et d’éviter toute ségrégation entre des apprenants qui s’y présentent avec leurs hétérogénéités, tout en ayant comme objectif, d’un autre côté, de respecter les particularités de chacun d’entre eux et de ne pas occulter les problèmes de certains parce qu’ils appartiennent à une catégorie minoritaire et donc encline à la marginalisation. « De cette problématique résulte une tension perceptible, selon des degrés divers, dans toutes les politiques éducatives, de concilier l’inconciliable : une école pour tous qui soit aussi une école pour chacun » 7 . C’est une préoccupation qui demeure présente au sein des établissements scolaires et universitaires et qui demande, de ce fait, un grand investissement de la part des enseignants.

Par ailleurs, le marché de l’emploi étant de plus en plus sélectif et donc de plus en plus exigeant, il en va alors de même pour la politique éducative du pays qui doit suivre l’évolution et les attentes de son marché économique en tentant à travers – la réalisation des objectifs d’enseignement institués par le biais des programmes réalisés – d’être à même de préparer les apprenants à affronter les exigences d’une société aux prises à d’innombrables et continuelles mutations. Dans un pays en voie de développement, l’Etat qui veut développer l’économie du pays, aspire à bénéficier de compétences individuelles qui pourront lui permettre de rivaliser avec les autres puissances économiques. L’école essaye de répondre alors aux différents besoins et attentes sociaux, économiques et politiques du pays, mais cela ne doit pas, pour autant, se réaliser aux dépens de l’apprenant.

Notes
6.

Revue internationale d’éducation de Sèvres n°39, Septembre 2005 : La formation des élites : CIEP, P : 47

7.

Luginbuhl Odile : «  Comment l’école s’adapte-t-elle à la diversité des élèves » dans Revue internationale d’éducation Sèvres n°40, Décembre 2005 : L’éducation dans le monde : débats, perspectives, CIEP, P : 103