III- La formation dispensée :

1- Etude des textes officiels :

Nous devons signaler, de prime abord, qu’il est difficile de se procurer les documents officiels pouvant attester des réformes successives de l’enseignement du français en Tunisie, dans les différents ordres d’enseignement. Nous essayons, donc, d’utiliser au mieux, les documents officiels 11 qui sont en notre possession

Afin de rendre compte des attentes institutionnelles concernant la maîtrise de la langue française par les apprenants tunisiens, nous avons étudié les programmes officiels établis par le ministère de l’éducation tunisienne qui ciblent l’enseignement de cette matière.

Auparavant et à travers les documents consultés, nous tenons à faire part des informations qui y sont notifiées. Il y est déclaré que la première phase de la réforme des maîtrises de Sciences fondamentales, de Lettres et de Sciences humaines a commencé en 1993. Ainsi, selon un arrêté du ministre de l’enseignement supérieur du 19 Février 1997 portant refonte de l’arrêté du ministre de l’éducation et des sciences du 22 Août 1994 fixant le régime des études et les conditions d’obtention des diplômes nationaux du premier cycle et de maîtrise en langue et lettres française et vu le décret n° 93-2333 du 22 Novembre 1993 fixant le cadre général du régime des études et les conditions d’obtention des diplômes nationaux du premier cycle et de maîtrise dans les disciplines littéraires et artistiques, ainsi que dans celles des sciences humaines, sociales, fondamentales et techniques tel que modifié par le décret n°96-1465 du 26 Août 1996, il est déclaré, entre autres choses, que :

Les enseignements du premier cycle de la maîtrise en langue et lettres françaises sont répartis sur deux ans.

Les modules sont répartis ainsi : en première année nous trouvons l’enseignement de la littérature 1, la littérature 2, la langue 1, la langue 2 et la civilisation 1 ; en deuxième année, nous avons l’enseignement de l’arabe ou du latin et enseignement complémentaire, de la littérature 3, la littérature 4, la langue 3 et la civilisation 2. Cet arrêté est entré en vigueur à partir de l’année universitaire 1994/1995.

La circulaire ministérielle n° 3 datant du 29 Janvier 1997 présente, quant à elle, les objectifs de la deuxième phase de cette réforme des maîtrises débutée en 1993 en y introduisant quelques modifications. La circulaire a été mise en application à partir de l’année universitaire 1998/1999. Cette deuxième phase englobe, comme cela a été notamment cité dans la circulaire N°27 du 26 Mai 1998, la nature et les programmes des différents modules, leurs volumes horaires, la forme des enseignements dispensés, leurs coefficients ainsi que la forme et la durée de l’évaluation. Il y est noté également que « la consolidation des contenus de ces maîtrises, la rénovation de leurs programmes et l’élargissement de leurs filières, avec la mise en place des passerelles entre elles, doivent permettre de favoriser la participation, la réflexion critique, la capacité de communication ainsi que le développement des qualités de synthèse, de raisonnement global et d’esprit d’innovation de l’étudiant, ce qui est de nature à mieux le préparer à s’insérer dans la vie active et à s’adapter aux différentes mutations économiques et sociales ».

Le tableau, ci-dessous, indique les différents modules enseignés en première année d’enseignement supérieur, les coefficients qui leur sont attribués ainsi que le nombre d’heures qui leur sont consacrées, et ce tout au long de deux semestres d’étude.

Nous pouvons constater grâce aux différents documents consultés (que ce soit à la lecture de ce tableau ou à celle des autres documents que nous citons en annexes), que les heures consacrées aux traitements pédagogiques (cours et TD) sont différentes et qu’on réserve plus de plages horaires aux travaux dirigés qu’aux cours. D’autre part, nous remarquons qu’au fil des ans, les horaires consacrés aux cours diminuent en faveur d’une augmentation des horaires consacrés aux travaux dirigés. Il est indéniable, de ce fait, que le volume horaire consacré à chacune des disciplines enseignées renseigne sur l’importance qui lui est accordée. La focalisation, ainsi faite, sur les TD pointe les nouvelles priorités de l’enseignement de la langue française. Certes, à travers les cours théoriques, les enseignants inculquent un savoir important à faire acquérir aux apprenants, mais l’insistance sur les travaux dirigés préfigure une implication plus sérieuse de ces apprenants à qui on essaye d’apprendre à concilier entre un savoir enseigné et un savoir-faire qu’ils devront maîtriser de plus en plus au fil du temps. Cette attention portée aux travaux dirigés vient certainement en réponse à une constatation faite des performances insatisfaisantes ou précaires des apprenants quant à leurs applications du savoir prodigué.

Etant donné que les travaux dirigés semblent présenter autant d’intérêt dans l’enseignement de la langue française et que le temps qui leur est réservé est de plus en plus long, il est nécessaire de nous interroger sur les aides que ces pratiques pourraient constituer pour les étudiants et les compétences qu’elles seraient susceptibles de développer chez eux. En effet, ce type d’activités permet à l’étudiant de s’exercer en manipulant les différentes données et théories qui lui ont été enseignées. En s’habituant à appliquer ces enseignements, il apprend progressivement à les maîtriser et à les utiliser à bon escient (l’enseignant n’étant jamais loin et étant prêt à intervenir au moment opportun afin d’évaluer et guider l’apprenant dans ses choix, de consolider ses hypothèses et de faciliter son intériorisation du savoir par l’intermédiaire des exercices élaborés). Ce genre «d’entraînements» a pour but de faire acquérir, et ce selon le type d’exercices échafaudés, des aptitudes diverses aux apprenants : des compétences linguistiques, métalinguistiques, scripturales…Toutefois, l’acquisition optimale de ces enseignements, qu’ils soient théoriques ou pratiques, et leur appropriation effective par les enseignés dépendra du degré d’implication de chaque apprenant et de sa motivation réelle vis-à-vis de ce qui lui est inculqué.

Nous notons également, à travers le tableau affiché en amont, l’introduction de deux nouvelles matières dans le cursus universitaire à savoir un cours de traduction (arabe-français) et un cours sur les droits de l’homme. Ces cours se verront donc attribuer le même coefficient (1) en opposition aux autres matières (toutes à coefficient 2) contrairement au principe d’égalité proclamé pendant les années précédentes. L’introduction d’un enseignement de quelques connaissances juridiques, en l’occurrence les droits de l’homme et ce en maîtrise de langue et de littérature françaises conforte notre idée selon laquelle les réformes des programmes institutionnels sont souvent tributaires des préoccupations politiques du pays à un moment donné.

Par ailleurs, le recours aux appellations langue 1 et langue 2, pour définir d’une part l’expression écrite et d’autre part l’expression orale, nous pousse à nous interroger sur le choix qui a amené à établir la hiérarchisation dans ce sens. Nous pensons qu’il est donc fait mention, implicitement, de la place qu’occupe l’écrit, au sein de l’enseignement supérieur, par rapport à l’oral, bien que celui-ci ait acquis dans le supérieur une importance dont il ne bénéficiait pas dans le secondaire. Il y a donc une valorisation manifeste de l’écrit et de l’expression écrite.

D’autre part, nous allons nous intéresser, de plus près, aux contenus des enseignements dispensés ainsi qu’aux objectifs qui en découlent et ce concernant l’enseignement des langues 1 et 2 qui sont les plus importantes à observer dans le cadre de notre étude. Ces modules sont définis comme suit :

  • la langue 1 englobe, d’une part, la syntaxe (la phrase simple : sa structure, ses classes grammaticales et ses fonctions) dont l’étude a pour objectif de consolider les connaissances acquises dans le secondaire et d’acquérir une méthode de description et d’analyse de la langue et, d’autre part, l’expression écrite (le texte narratif, le texte descriptif et le texte argumentatif) dont le but est d’amener l’étudiant à adopter une conduite réfléchie de la pratique écrite et de l’amener à produire des textes corrects et cohérents.
  • la langue 2 réunit – quant à elle – la phonétique, le vocabulaire, la morphologie verbale, l’orthographe et l’expression orale. Par l’enseignement de la langue 2 on vise à familiariser l’étudiant avec les notions de base de la lexicologie, de la morphologie verbale et de l’orthographe. On vise aussi à amener l’étudiant à maîtriser le système phonétique français, à parfaire sa perception et sa prononciation de la langue et à développer sa compétence de communication à l’oral.

A propos de ces documents, que nous présentons en totalité en annexes, nous nous permettons de faire quelques remarques concernant les intentions qui y sont véhiculées pour tenter de déceler, autant que faire se peut, les ambiguïtés de ces textes, si ambiguïtés il y a, qui pourraient être à l’origine de l’échec pédagogique vécu par certains apprenants.

Ainsi, dans la circulaire que nous avons citée plus haut, il est fait référence aux contenus et objectifs des enseignements visés pour la maîtrise du français 12 .

Le premier objectif visé dans l’enseignement de langue 1 et la langue 3, c’est-à-dire pour l’enseignement de la langue (englobant la syntaxe et l’expression écrite) et ce aussi bien au premier qu’au second semestre, est celui de « consolider les connaissances acquises dans le secondaire ». Nous constatons, ici, qu’il n’y a pas de rupture décidée entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. En passant à l’Université, les apprenants continuent à se retrouver en présence de savoirs scolaires qui leur ont été inculqués dans le secondaire. Nous comprenons bien l’intérêt de cette démarche, qui est d’amener les enseignants à effectuer des rappels des savoirs précédemment enseignés. Cette révision doit permettre aux nouveaux étudiants d’asseoir leurs connaissances en grammaire ou autres. Toutefois, nous ne pouvons nous empêcher de nous interroger sur l’utilité d’un tel rappel, surtout si les reprises sont faites sans introduire de changements, aussi minimes soient-ils, aussi bien au niveau du savoir que de la manière de le transmettre. Il est évident que des étudiants qui, dans le secondaire, ont connu des problèmes en rapport avec un enseignement spécifique, vont continuer à rencontrer les mêmes difficultés dans le supérieur puisqu’ils vont se retrouver confrontés aux mêmes notions transmises avec les mêmes pédagogies.

La première année d’enseignement supérieur du français demeure, ainsi, très imprégnée par l’enseignement secondaire et ses contenus d’apprentissage. Les deux mondes, secondaire et supérieur, sont pourtant différents : enseignements différents en littérature, et enseignements nouveaux en civilisation par exemple. Il devrait donc, à notre avis, en être de même pour l’enseignement de la langue. Les bases seront certainement les mêmes et garderont leur ossature première, mais des changements au niveau de la conception des programmes devraient être accomplis. La secondarisation de l’enseignement supérieur se présente, alors, comme une tendance plus ou moins courante mais qui devrait cependant être réétudiée dans le but d’adapter au supérieur des enseignements qui soient plus appropriés aux besoins des apprenants à ce stade de l’apprentissage.

Ce qui est remarquable, par ailleurs, dans le document officiel, c’est la mise en évidence qui est faite de l’expression écrite, et partant, de l’importance qui lui est accordée. Dans le document en question, l’expression écrite apparaît en sous-titre et en gras : une manière d’indiquer la place qu’on veut lui donner dans l’enseignement de la langue française. L’écrit prend, alors, le pas sur l’oral. Toutefois, nous avons l’impression, et ce à travers le vocabulaire utilisé et les objectifs fixés (amener l’étudiant à adopter une conduite réfléchie de la pratique écrite, l’amener à produire des textes corrects et cohérents), que l’écrit demeure – malgré plusieurs années de pratique – d’accessibilité toujours difficile. A contrario, pour l’oral, le vocabulaire utilisé est différent : l’amener à maîtriser le système phonétique, développer sa compétence de communication à l’oral. Néanmoins, l’importance donnée à l’oral est plus marquée dans le supérieur que dans le secondaire, et ce pour la simple raison que les étudiants du supérieur sont appelés à passer des examens oraux, pratique absente du secondaire.

D’autre part, et en pointant, parmi les objectifs, le fait « d’amener l’étudiant à adopter une conduite réfléchie de la pratique écrite », nous constatons que l’accent est mis sur l’importance du recours au métalangage au cours de la résolution d’une tâche scripturale. L’attitude critique et interrogative du scripteur face à son écrit est préconisée. Cette réflexivité que l’étudiant met en œuvre est destinée à lui faire prendre conscience de ses propres pratiques qu’il essaye, par la suite, d’expliciter à son interlocuteur ou son co-scripteur et qu’il tente toujours d’améliorer en vue de parfaire son écrit.

« Les grammaires ont toujours été conçues comme une activité réflexive sur le fonctionnement et sur l’usage des langues ». C’est une attitude réflexive qu’on demande aux apprenants : à mesure qu’ils étudient les différents aspects de la langue et ses différents fonctionnements, on les exerce à penser l’outil linguistique. Ce faisant, on espère qu’en s’appropriant progressivement les mécanismes de la grammaire, ils acquerront, de ce fait, des compétences multiples en langue qui leur permettront de se montrer performants dans l’exécution de la tâche linguistique qui leur est attribuée.

Par ailleurs et à partir de la syntaxe utilisée dans la rédaction de ces programmes, nous pouvons repérer ce à quoi on attache de l’importance au sein du système éducatif et au détriment de quoi. Prenons l’exemple suivant comme référence : « l’amener (en parlant de l’étudiant) à produire des textes corrects et cohérents ». Nous découvrons, ainsi, que l’adjectif « corrects » précède celui de « cohérents ». Cela nous amène à supposer que la cohérence du texte produit est certes importante, mais qu’il est plus important et valorisant aux yeux des pédagogues que l’étudiant-scripteur fournisse un texte correct et donc dépourvu d’erreurs. L’attention des apprenants et leur discours métalangagier sont, de ce fait, appelés à être centrés sur les erreurs linguistiques plus que sur l’aspect pragmatique et fonctionnel du texte écrit.

En outre, et à travers l’examen des contenus d’enseignements, nous remarquons toujours l’influence de l’enseignement secondaire à travers la présence des textes descriptif et narratif qui renvoient à des pratiques du secondaire. En reconduisant ce type d’enseignements en premier année d’enseignement supérieur et en reléguant le texte argumentatif au deuxième semestre de la même année, nous pouvons donc présumer que la réception des textes écrits est privilégiée au détriment de leur production.

Nous observons, par ailleurs, que l’accent est mis sur la phrase simple en première année d’enseignement supérieur alors que la phrase complexe n’est enseignée qu’en deuxième année. Cette répartition des savoirs à enseigner se fait certainement l’écho de la volonté d’insister sur l’importance de maîtriser l’utilisation des phrases simples avant d’avoir recours aux phrases complexes. Toutefois, nous ne pouvons nous empêcher de supposer que l’intention véhiculée par ce texte, et ce à travers l’observation de l’agencement des points présentés, est de diffuser l’idée que l’utilisation des phrases simples est la condition sine qua non à la production de textes corrects et cohérents. Ce qui n’est sûrement pas toujours le cas. Nous serons à même de valider cette opinion à travers l’analyse que nous effectuerons, plus en aval, des textes définitifs des étudiants qui nous permettront certainement d’y voir plus clair sur cette problématique.

Les cours dispensés en première année de l’enseignement supérieur, et plus précisément en langue, englobent les connaissances inculquées aux apprenants dont nous proposons d’énumérer quelques-unes en vue de donner une idée sur le type de savoirs ciblés ou reconduits du secondaire au supérieur : l’emploi du subjonctif, voix active vs voix passive, conjugaison, vocabulaire (présentation du verbe et de sa forme substantivale, un glossaire de mots et de leurs significations), morphologie lexicale (les origines du français, la néologie…), les types de phrases, les pronoms, l’accord, les déterminants, etc.

D’un autre côté et parmi les cours dispensés, nous remarquons la présence, et nous y avons fait allusion précédemment, d’un cours de traduction des textes de la langue arabe vers la langue française. Cela met en relief le rapport entretenu entre les deux langues d’enseignement à savoir l’arabe littéral et le français. L’observation et la réflexion élaborées sur la langue arabe et sur la relation qu’elle entretient avec la langue française sont utilisées comme autant de moyens permettant l’amélioration de l’enseignement du français. C’est à travers le recours à la langue nationale et la constatation, grâce à l’étude de différents textes en arabe, de ses différences vs similitudes d’avec la langue française que la connaissance et l’apprentissage de cette dernière deviennent plus accessibles.

Nous avons voulu, également, et ce afin de rendre compte du type d’enseignements prodigués aux apprenants tunisiens, nous intéresser aux programmes de français pour l’enseignement secondaire et plus précisément pour la dernière année du secondaire qui est l’année du baccalauréat. Cet intérêt que nous portons à cette période est, nous semble-t-il, important dans la mesure où il nous permet de connaître les bases avec lesquelles l’apprenant tunisien aborde l’enseignement supérieur. Ceci est notable à travers les contenus des programmes et les objectifs que vise le ministère de l’éducation par rapport à l’enseignement du français. Nous nous intéresserons, pour cela, essentiellement à l’enseignement qui est fait de l’écrit en général et de la grammaire en particulier.

Pour ce faire, nous nous basons dans notre observation sur un document officiel fixant les programmes officiels de l’enseignement secondaire du français qui fait suite au décret n°98-1280 du 15 Juin 1998. Dans l’article 3, il est fait mention qu’en 3ème année et 4ème année de l’enseignement secondaire, l’apprentissage du français vise à :

‘« - perfectionner l’expression orale et écrite de l’élève
- affiner ses acquis en grammaire et les mettre au service des activités de lecture et d’expression écrite.
- développer son esprit critique, son sens du relatif et de la nuance
- développer son autonomie par l’acquisition de méthodes de pensée et de travail. »’

Dans l’article 4, il est précisé que compte tenu des objectifs, cités précédemment, l’enseignement du français prendra appui sur :

‘« - l’étude de textes essentiellement littéraires
- l’entraînement systématique à la production écrite
- l’exploitation de supports favorisant la découverte et la créativité
- l’organisation du travail en modules »’

D’autre part, les articles 9 et 10 sont consacrés à l’enseignement de la grammaire et il y est déclaré qu’en troisième et quatrième année de l’enseignement secondaire, la grammaire est enseignée à travers une prise en compte des besoins des apprenants et des objectifs visés par les programmes. Ce choix étant basé sur :

‘« - la nécessité d’entretenir et de développer simultanément, chez l’apprenant, les capacités de communication et de réflexion sur la langue.
- l’obligation de dépasser progressivement le cadre restreint de la phrase pour aborder les faits de langue dans le cadre plus large du discours.’

Ainsi, au terme de ses années d’étude, l’élève devra être capable de (d’) :

« - mobiliser ses acquis en grammaire pour comprendre et produire des messages oraux et écrits diversifiés.

‘- employer de manière pertinente et nuancée les différents modes de temps du français dans ses propres productions.
- reconnaître les valeurs spécifiques et les relations réciproques des temps et des modes lors de l’analyse des textes et d’en rendre compte. »’

En outre, l’article 11 s’intéresse à l’enseignement de l’expression écrite en particulier et nous présente les objectifs escomptés et les contenus de certaines compétences scripturales et présente, donc, la nature des connaissances exigées des apprenants et notamment les capacités rédactionnelles qu’on leur demande de fournir :

Nous notons, de prime abord, que le terme « brouillon » n’apparaît pas dans les documents officiels et ceci nous renseignerait sur l’importance qui lui est accordée au sein de l’institution scolaire et expliquerait le manque d’intérêt que certains scripteurs portent à cette étape préliminaire. Ainsi, nous ne pouvons imputer le manque de rigueur affiché par les étudiants vis-à-vis de l’utilisation du brouillon dans leur travail scriptural (et cela nous le constaterons à travers l’analyse que nous avons réalisée du corpus écrit et qui apparaîtra dans une partie ultérieure) à leur propre comportement scriptural, mais nous devons, nécessairement, prendre en compte l’influence de la formation sur les décisions scripturales de ces mêmes étudiants.

A travers le tableau que nous venons de lire, nous décelons les objectifs ciblés dans la rédaction de l’essai, un genre scriptural qui est souvent utilisé dans le secondaire et auquel les apprenants sont confrontés à maintes reprises également au début de l’enseignement supérieur. Dans la partie consacrée à l’analyse des productions aussi bien orales qu’écrites des apprenants, nous pourrons, ainsi, établir une comparaison entre les intentions institutionnelles et les objectifs que le ministère de l’éducation veut atteindre d’une part, et leur réalisation effective ou la comparaison entre le curriculum prescrit et le curriculum atteint d’autre part.

En effet, si telles sont les intentions pédagogiques véhiculées par le ministère de l’enseignement, il est clair, donc, que les résultats obtenus auprès des apprenants doivent répondre autant que faire se peut aux exigences établies et que les apprenants doivent être capables de fournir ce que l’on attend d’eux. Toutefois, force est de constater que le rendement des apprenants est, sinon souvent, du moins parfois, très en deçà de la visée institutionnelle. Les raisons seraient-elles liées à l’incompétence des apprenants ou alors se justifieraient-elles par le décalage existant entre des intentions institutionnelles un peu trop exigeantes et les capacités et besoins réels des apprenants tunisiens ? C’est ce que nous essayerons de dévoiler à la suite de l’analyse que nous effectuerons sur les productions des étudiants tunisiens et de la comparaison, que nous pensons inéluctable, entre la formation que l’on décide d’octroyer aux apprenants et la mise en œuvre réelle des programmes de formation.

En outre, l’importance accordée à l’enseignement du français en Tunisie change au fil du temps et des politiques. Ces changements se manifestent notamment dans l’éviction ou la réintroduction du français dans l’année du baccalauréat. En effet, les années soixante-dix voient la langue française reléguée au rang de langue optionnelle. Elle devient, alors, une langue de spécialité puisqu’elle n’est présente, à ce moment-là, qu’à travers l’enseignement des matières scientifiques. Elle ne retrouve sa place de langue obligatoire au baccalauréat, et ce pour toutes les filières, qu’en 1995. Cette décision d’amoindrir le rôle du français dans la vie de l’apprenant tunisien revient à la volonté, à cette période-là, de donner plus d’importance à la langue arabe dans le pays et à la valoriser au détriment du français. Ces décisions ainsi que d’autres prises, au fil du temps, ne manquent certainement pas d’avoir des répercussions sur la maîtrise de la langue française par les apprenants tunisiens.

Il n’en demeure pas moins que les programmes préparés sont généralement réalisés en termes de contenus et d’objectifs à atteindre et rarement en termes de compétences. Ainsi, ils véhiculent un savoir à faire acquérir aux apprenants en vue d’atteindre les buts escomptés, mais ils ne prennent pas en considération les compétences réelles des apprenants ou leurs incompétences éventuelles. La prise en compte des carences des enseignés ne peut qu’amener à définir plus aisément les enseignements adéquats à prodiguer et qui seront, de ce fait, mieux adaptés aux besoins des apprenants, et non pas étrangers à leurs problèmes.

L’objectif des programmes institués est de doter l’apprenant de stratégies d’écriture, de lecture et autres, de connaissances multiples et d’aptitudes diverses pouvant lui permettre d’apprendre au mieux une langue qui occupe un statut social important dans son pays.

Nous notons, également, que les textes officiels consacrés à l’enseignement secondaire sont plus précis et plus explicites que ceux destinés à l’enseignement supérieur.

Nous remarquons, en effet, à travers les multiples observations effectuées, que les textes officiels destinés à l’enseignement supérieur se présentent comme des documents plus ou moins ambigus. Ils ne sont pas très explicites et laissent aux enseignants la liberté de choisir et la pédagogie et les textes sur lesquels s’appuyer pour transmettre le savoir à enseigner. Les stratégies élaborées peuvent se trouver, alors, en conflit surtout si les enseignants appartiennent à des écoles différentes. Les traditionalistes se confrontent, de ce fait, aux modernes et chaque groupe transmet le savoir à sa manière, et ce sont les étudiants qui se retrouvent pris entre deux pensées éducatives divergentes qui ne font que les perturber dans leur acquisition du savoir.

Jusqu’à une certaine période, l’accent était plutôt mis sur l’enseignement des littératures. Bien après, l’enseignement de la grammaire a été introduit et ce pour résoudre les besoins des apprenants qui montraient, encore en première année de l’enseignement supérieur, des carences multiples au niveau de leur maîtrise de la langue française. Ces enseignements ne semblent pas être très efficaces vu le niveau que les étudiants continuent à afficher. Il serait donc intéressant de différencier les savoirs scolaires des savoirs universitaires et de respecter, par là, les particularités de chaque étape du cursus de l’apprenant. Ceci permettrait, d’autant plus, aux étudiants de beaucoup moins fuir un enseignement devenu, à la longue, répétitif, routinier et, par voie de conséquence, ennuyeux.

Notes
11.

Journal officiel de la République Tunisienne datant du 6 Septembre 1994, ainsi que celui datant du 28 Février 1997 et la circulaire n° 27 datée du 26 Mai 1998.

12.

Nous nous intéressons surtout au premier cycle de l’enseignement supérieur du français et particulièrement à la première année d’enseignement supérieur qui est au cœur de notre problématique.