2 - Manuels pédagogiques :

Dans le domaine de l’enseignement du français et plus particulièrement dans le secteur universitaire, plusieurs manuels pédagogiques ont vu le jour pour répondre aux besoins des étudiants en première année d’enseignement supérieur et aux problèmes auxquels ils font face dans leur acquisition de la langue française. Le premier d’entre eux qui s’est vu tout de suite adopté, Méthodes en grammaire (1998) de Jacques Huet, Jacqueline Bacha et Danielle Leeman, aspire à faire de l’étudiant un élément très actif dans le processus d’apprentissage du savoir grammatical. Ce dernier en se débarrassant de sa passivité devient un membre actif qui contribue à la construction de son savoir ; « il retiendra d’autant mieux leur fonctionnement que c’est lui-même qui l’aura décrit ».

Ces enseignements sont présentés en deux tomes. Le premier intitulé « La phrase simple et ses constituants » développe une approche morphosyntaxique de la phrase et le deuxième titré « Les modalités des phrases, les catégories verbales, la phrase complexe » fait valoir l’importance d’appréhender la phrase d’un point de vue sémantique, énonciatif et pragmatique. Ce guide pédagogique, permet aux étudiants – à travers l’exploitation de ces deux parties – de pratiquer une démarche scientifique dans leur analyse linguistique.

Ce manuel, élaboré dans le département de français de la Faculté de Sousse, propose une approche différente et intéressante de la manière d’enseigner la grammaire française aux apprenants et ce en y faisant participer ces derniers. Leur participation, indispensable, les fait peu à peu prendre conscience de l’importance du rôle qu’ils ont à jouer dans leur propre apprentissage. L’étudiant ainsi responsabilisé n’est plus simple réceptacle de savoir, mais il agit, guidé par l’enseignant bien sûr, pour s’approprier un savoir qu’il aura lui-même cherché et aidé à définir.

Nous citons ci-dessous les principes qui régissent l’esprit du contrat pédagogique établi entre professeurs et apprenants tels qu’ils ont été décidés par les auteurs de ce manuel et qui permettent aux uns comme aux autres de cerner les grands axes du travail qu’ils ont à fournir au sein de la classe ainsi que leur rôle respectif afin de mener au mieux leur entreprise :

« 1- L’étudiant est co-responsable de son apprentissage. Il n’attend pas tout du professeur. Avant le cours de grammaire, il s’oblige à préparer la séance ; pendant le cours, à prendre la parole pour apporter sa contribution, si modeste soit-elle ; après le cours, à mettre ses notes au clair.

2- L’étudiant s’assure qu’il a bien acquis les connaissances et les compétences demandées, proposées sous forme d’objectifs au début de chaque chapitre, et qu’il maîtrise le vocabulaire grammatical.

3- Le professeur, si compétent soi-t-il, ne sait pas tout, il a le droit de ne pas tout savoir. Son rôle est d’apprendre à l’étudiant à apprendre. Il n’est pas un distributeur de réponses mais un éveilleur de curiosité, un dépositaire de méthodes.

4- Tout étudiant a le droit de se tromper. L’erreur est utile, à condition qu’on veuille la comprendre et qu’on fasse l’effort nécessaire pour la corriger.

5- Tout étudiant a le droit de dire ce qu’il sait, mais doit apprendre à vérifier ce qu’il croit savoir.

6- Les grammaires n’ont pas toujours raison, ce n’est pas parce que c’est écrit dans un livre que c’est vrai. Comme tout discours scientifique, elles sont soumises à la critique.

7- Il existe des questions sans réponse, au moins momentanément.

8- C’est déjà un progrès d’apprendre à formuler convenablement les questions.

9- L’existence d’erreurs et de questions sans réponse ne doit jamais alimenter un relativisme intellectuel paresseux, frileux ou défaitiste, mais doit au contraire stimuler la curiosité et l’effort.

10- La grammaire est aussi une discipline d’apprentissage méthodologique : faire de la grammaire, ce n’est pas seulement apprendre les règles d’une langue, c’est aussi apprendre à raisonner sur ce que l’on sait, à le vérifier, à chercher des informations, à faire des hypothèses…Ce doit être une école de rigueur. »

En effet, les étudiants ne sont pas amenés à assimiler des règles présentées en abondance et à faire des exercices d’une façon machinale et répétitive sans, généralement, saisir d’une manière adéquate l’enseignement qui y est prodigué. A contrario, ce manuel les incite à avoir un esprit critique (la réflexivité que l’on préconise également dans les textes officiels que ce soit pour l’enseignement secondaire ou supérieur) et à aller chercher les vérités au-delà de ce qui leur est présenté comme telles. Ce manuel présente, ainsi, une autre démarche pédagogique qui diffère de celles présentées par les autres manuels. Les auteurs de Méthodes en grammaire précise, en effet, en en parlant, qu’  « on ne trouvera ici ni les exposés théoriques proposés habituellement par les manuels, ni l’application des règles énoncées dans les grammaires normatives. Au lieu de quoi nous demandons systématiquement à l’étudiant d’observer des faits de langue, de synthétiser ses résultats, d’avancer éventuellement une hypothèse (argumentée), de rédiger des définitions à partir des faits observés… ».

Dans son ouvrage, L’adulte et l’écriture, Michel Dabène met le doigt sur une problématique assez poignante en opposant : « Transformation des pratiques en vue d’une adaptation aux attentes ou transformation des attentes à partir d’une prise en compte des pratiques ? ». C’est de la sorte que l’on doit s’interroger sur la légitimité des objectifs fixés par le système éducatif qui sont souvent très ambitieux et supposent, au terme des années d’études secondaires, une maîtrise plus ou moins parfaite du savoir enseigné. Dans notre cas de figure, ils supposent une maîtrise satisfaisante des savoirs linguistiques qui facilitent l’émission/réception des messages qu’ils soient écrits ou oraux.

Il semble primordial de prendre en considération les besoins des apprenants. Ces derniers se voient propulsés rapidement dans la peau d’étudiants. Ils changent, du jour au lendemain, d’institution scolaire et se trouvent – certes – confrontés à d’autres enseignements mais aussi à d’autres méthodes d’enseignements et force est alors de constater qu’il leur est, sinon difficile, du moins pénible de s’adapter rapidement et sans heurts à ce nouvel univers pédagogique. C’est pourquoi, il serait préférable d’éviter toute inadaptation d’enseignements que pourrait offrir cette institution universitaire aux étudiants débutants.

Les concepteurs de programmes scolaires et universitaires – ayant pour mission de décider des connaissances à faire acquérir aux apprenants et d’établir le type de compétences dont ces derniers doivent faire preuve – tentent de présenter les différents enseignements pouvant permettre d’y parvenir en fixant des objectifs à atteindre en fin de cursus. D’après ce dont il est fait mention dans les textes officiels, et pour cela nous prenons l’exemple de ceux qui prennent l’enseignement secondaire pour cible, les concepteurs de programmes insistent sur l’importance d’une prise en considération des besoins des apprenants par l’enseignant. Il est, en outre, fait référence à la nécessité de « tenir compte des lacunes des élèves et de l’hétérogénéité des classes (différence des niveaux, différence des rythmes d’apprentissage, diversité des motivations…) » et ce à travers par exemple la mise en place d’un module de révision conçu dans la perspective d’une pédagogie de soutien à travers lequel l’enseignant procède à une mise à niveau assidue de sa classe. Ceci lui permet de tester les connaissances des apprenants, de se rendre compte de leurs différents besoins et d’essayer, de ce fait, de les aider à en prendre conscience et à corriger leurs erreurs.

Il est d’autant plus intéressant de constater que les idées et les objectifs véhiculés par ces textes consacrés à l’enseignement de la langue française dans le secondaire trouvent leur écho dans le manuel universitaire dont nous avons parlé plus haut et qui présente une nouvelle manière d’appréhender les difficultés que présente la didactique du français pour les étudiants tunisiens. En effet, bien que ces documents concernent des publics différents (des élèves versus des étudiants) et qu’ils affichent parfois des préoccupations un peu différentes, il n’en demeure pas moins qu’ils défendent essentiellement les mêmes objectifs même si c’est à des degrés différents. Les textes officiels consacrés à l’enseignement secondaire du français font suite au décret n°98-1280 du 15 Juin 1998 et le manuel universitaire date également de cette même année. Ces décisions, qui appellent des changements progressifs dans la manière d’appréhender la didactique du français, nous incitent à préconiser ce genre de perspectives qui tendent à focaliser l’attention de plus en plus sur les besoins des apprenants (que ce soit au lycée ou à l’université) ; tout doit être étudié en fonction des difficultés que ces derniers semblent rencontrer et ce dans le but d’y trouver des solutions ou du moins d’essayer de pallier certains problèmes desquels ne cessent de souffrir les apprenants, à différents stades de leur cursus.

Une prise en compte des compétences effectives des apprenants sous-tend toute tentative d’amélioration des méthodes d’enseignement. Nous pouvons constater les résultats positifs de ces nouvelles approches instituées à travers les histogrammes que nous présentons ci-après et qui renseignent sur le taux d’échec et de réussite au supérieur, et ce au cours de plusieurs années universitaires consécutives. En observant les pourcentages annoncés, nous remarquons un essor manifeste pour les années 1998/1999 et 1999/2000. Nous analyserons cela plus en détail dans la partie qui va suivre.

Par ailleurs, nous tenons à signaler que toutes les remarques et les « évidences » auxquelles nous fait aboutir notre réflexion dans cette partie seront confirmées par l’analyse que nous effectuerons en aval sur les corpus oral et écrit, et qui nous permettra d’étayer nos propos.