2-La dynamique rédactionnelle : gestion des différents processus

2-1-Orientation théorique :

2-1-1-Apports de la psychologie cognitive :

Produire un texte est une activité rédactionnelle qui met en œuvre une multitude de capacités scripturales mais requiert également plusieurs habiletés cognitives de la part du scripteur. Ce dernier doit savoir manipuler les différents processus inhérents à l’acte d’écriture à savoir la planification, la mise en texte et la relecture-révision. Ces trois étapes textuelles ne manquent pas de s’enchevêtrer et de co-exister à différents moments de la rédaction. La genèse du texte se réalise grâce à leur enchâssement et à la manière dont le scripteur les « met en scène » c’est-à-dire sa façon d’employer ces éléments l’un après l’autre mais aussi et surtout l’un avec l’autre afin de construire un tout textuel.

La psychologie cognitive s’intéresse à l’étude des mécanismes mentaux mis en oeuvre par les scripteurs dans la réalisation d’une tâche scripturale. Avant de fournir un travail d’écriture précis, le scripteur – après lecture de la consigne – cherche dans sa mémoire à long terme les informations susceptibles de l’aider à résoudre la situation – problème qui se présente à lui. Il y opère alors une sélection lui permettant de ne garder que les informations pertinentes grâce auxquelles il peut conceptualiser son produit. Cette conceptualisation se déroule d’après des objectifs que le scripteur se fixe depuis le début et qu’il tente tout au long de son parcours rédactionnel de réaliser. Tout au long de ce processus, le scripteur use de compétences et de performances diverses qui lui demandent un effort cognitif considérable. Toutes ces étapes par lesquelles passe l’étudiant et les aptitudes qu’elles requièrent constituent l’objet d’étude de la psychologie cognitive.

Ainsi, son champ d’action tourne autour de la façon dont l’étudiant traite l’information qui est en sa possession. Dans sa volonté de résoudre sa situation – problème, l’étudiant est amené à passer par plusieurs étapes constructives qui l’aident à atteindre le but prévu : la représentation qu’il se fait de la consigne et de la façon d’y répondre, l’utilisation de ses ressources mentales et de ses connaissances emmagasinées dans sa mémoire à long terme, la construction d’un cheminement intellectuel précis et l’organisation de sa mémoire de travail, les habiletés rédactionnelles dont il fait preuve dans l’exécution de la tâche. Toutes ces facultés se rejoignent pour lui permettre de gérer sa production écrite.

La production écrite est une activité cognitive assez complexe. Pour être à même d’étudier les trois processus cognitifs (la planification, la mise en texte et la révision) qui sous-tendent l’activité rédactionnelle, nous nous sommes inspirées du modèle de Hayes et Flower (1980) ainsi que du nouveau modèle de Hayes (1996) que nous citons plus loin. Hayes et Flower orientent leur recherche vers des objectifs précis à savoir : identifier des processus rédactionnels impliqués dans l’acte d’écriture, repérer à travers l’étude de ces processus les difficultés rencontrées par les scripteurs et essayer d’y trouver des solutions dans le but d’améliorer les productions des étudiants. En effet, depuis les années 80, l’approche cognitive s’intéresse de plus en plus particulièrement à l’analyse des processus engendrant l’acte d’écriture et non seulement et exclusivement au résultat final.

Modèle sur la production de textes écrits (Hayes et Flower 1980)
Modèle sur la production de textes écrits (Hayes et Flower 1980)
Modèle sur la production de textes écrits (Hayes 1996 in Piolat et Pelissier, 1998)
Modèle sur la production de textes écrits (Hayes 1996 in Piolat et Pelissier, 1998)

Le premier modèle présenté comporte trois composants (l’environnement de la tâche, la mémoire à long terme du scripteur et les processus cognitifs d’écriture).

Le modèle sur la production des textes écrits a été conçu en se basant sur les protocoles verbaux concomitants c’est-à-dire sur les verbalisations des opérations scripturales par les étudiants au moment même où ils les exécutent. Ce que nous allons faire c’est que nous allons procéder – dans un premier temps – à l’observation des différents processus rédactionnels grâce à l’intérêt que nous porterons au corpus écrit pour nous orienter – par la suite – vers une analyse des conversations qui les ont engendrés. Cette démarche est provoquée par le partage que nous avons voulu pour notre recherche à savoir la séparation de l’analyse du corpus écrit d’avec celle du corpus oral.

Les trois processus cognitifs observés sont :

  • La planification est le moment de la concrétisation des idées en mots. C’est le travail élaboré afin de prévoir la configuration structurelle du texte et une étape au cours de laquelle les scripteurs fixent des objectifs à réaliser lors de la mise en texte. Cette méthode prospective préfigure l’organisation que les scripteurs suivront tout au long de la rédaction. Elle correspond à ce que d’aucuns appellent étape d’« inventio et compositio » qui permet aux rédacteurs de fouiller dans leur mémoire à long terme afin d’y récupérer des idées pouvant servir l’argumentation qu’ils ont à présenter et d’organiser ces idées et de les hiérarchiser en fonction du texte à écrire et en prenant en considération la visée à laquelle ils aspirent.
  • La mise en texte est la phase de rédaction et de développement des idées et des arguments préalablement annoncés. Lors de cette étape rédactionnelle, le scripteur est amené à faire des choix multiples et des agencements importants dans le but de configurer au mieux le texte définitif.
  • La révision est une étape d’évaluation du travail élaboré. Les différents scripteurs ne peuvent fournir un travail complet sans avoir recours à un contrôle suivi de leurs actes ou du moins à une vérification intermittente de ceux-ci en adjonction d’un contrôle à la fin de la rédaction englobant l’intégralité du produit écrit.

Au cours de ces trois processus précités, le scripteur mobilise ses savoirs et ses savoir-faire afin de résoudre au mieux la situation-problème à laquelle il est confronté.

Cependant, pour que la qualité du texte soit optimale, il ne suffit pas d’avoir recours aux processus de planification et de révision mais de les utiliser à bon escient afin de servir au mieux le texte rédigé et de résoudre le mieux possible la situation-problème à laquelle les scripteurs font face.

Le nouveau modèle présenté par Hayes (1996) comporte, quant à lui, deux composantes (l’environnement de la tâche et l’individu) :

  • L’environnement de la tâche est constitué de l’environnement social (comportant le destinataire, éventuellement les autres textes mis à disposition et les éventuels collaborateurs) et de l’environnement physique (le texte produit jusque-là et le médium d’écriture utilisé comme le crayon et le papier par exemple).
  • L’individu qui englobe les composantes suivantes (la mémoire de travail, la mémoire à long terme, la motivation et les processus cognitifs) :
    • la mémoire de travail qui se construit au moment de l’exécution de la tâche et qui est formée d’une « boucle phonologique » qui enregistre les informations verbales et auditives, et d’« un bloc-notes visuo-spatial qui enregistre l’information visuelle et spatiale ».
    • la mémoire à long terme et Hayes déclare à ce propos :«  rédiger ne serait pas possible si les rédacteurs ne possédaient pas des mémoires à long terme dans lesquelles stocker leurs connaissances sur la grammaire, le vocabulaire, le genre… ».

La motivation du scripteur qui est déterminante dans l’activité rédactionnelle. En effet, la représentation que le scripteur a de son activité scripturale joue un rôle primordial dans l’accomplissement de cette tâche.

  • les processus cognitifs, dont nous avons parlé précédemment, mais qui se présentent dans le deuxième modèle sous des appellations différentes à savoir : interprétation de texte, réflexion et production de texte.

Au cours de notre recherche, nous tenterons, donc, d’user de ces différentes composantes afin de mieux cerner le travail rédactionnel fourni par les étudiants.

C’est ainsi que nous avons choisi d’orienter notre étude vers les différentes étapes qui ont participé à la genèse du texte. Nous ne nous sommes pas limitée à l’observation du texte définitif. Nous avons, en effet, opté pour une étude plus étendue réunissant tout le travail accompli auparavant. Cet intérêt porté aux documents préétablis nous permet de suivre le travail rédactionnel dans son évolution depuis la recherche des idées et leur organisation jusqu’à la concrétisation du plan en texte rédigé, cohésif et cohérent et ce en passant, inéluctablement, par des moments de révision qui introduisent plusieurs transformations mélioratives sur le texte.

Ces observations nous permettront d’aboutir aux cheminements cognitifs des scripteurs, et de ce fait, aux connaissances qu’ils ont mobilisées et aux compétences dont ils ont fait preuve pour essayer de répondre aux exigences de la consigne. Il serait, entre autres, intéressant et même primordial de mesurer l’effort cognitif fourni par les scripteurs en vue d’accomplir cette tâche rédactionnelle, et ce en ayant recours à un comptage des tours de parole mobilisés au cours d’un processus ou d’un autre. Nous serons à même de réaliser cette étude dans la partie consacrée à l’analyse du corpus oral des étudiants.