1-Orientations théoriques

1-1- L’interaction :

Dans ce travail scriptural collaboratif, nous nous trouvons face à trois types d’interactions : une interaction entre les scripteurs, une interaction entre les scripteurs et le texte qu’ils ont à rédiger et une interaction entre un lecteur potentiel et le texte.

La première interaction qui se définit telle une action réciproque entre les deux étudiants est celle qui requiert de notre part, à ce stade de l’analyse, la plus grande attention. En effet, l’interaction entre ces mêmes étudiants et le texte produit a été, précédemment, au centre de nos préoccupations. Quant à l’interaction entre un lecteur potentiel et le texte en question, nous y faisons référence, plus ou moins directement, au moment de faire part de la visée pragmatique des productions écrites. Les deux premières interactions sont, en quelque sorte, des étapes préparant cette dernière interaction. Tout est élaboré en prenant en considération l’existence éventuelle d’un lecteur à qui sera présenté un texte, fruit d’un travail collaboratif entre deux étudiants.

Pour analyser le corpus oral qui est en notre possession, nous nous sommes basés sur les travaux d’Eddy Roulet23 qui présente, dans son ouvrage La description de l’organisation du discours, une approche modulaire du discours en définissant celle-ci comme suit : « Adopter une approche modulaire, c’est donc faire l’hypothèse qu’un objet complexe peut être décomposé en un certain nombre de systèmes d’informations simples et indépendants, qui déterminent différentes formes d’organisation […] la combinaison de ces différents systèmes d’informations qui permet de rendre compte de la complexité des discours. ». Parmi tous les modules présentés par Roulet, nous adhérons et nous nous intéressons au module hiérarchique à travers lequel sont présentés les différents constituants du discours.

En effet, Roulet propose une hiérarchisation du discours oral en plusieurs niveaux à savoir :

  • l’incursion qui est une interaction verbale délimitée par la rencontre et la séparation des deux interlocuteurs.
  • la transaction qui est délimitée par le traitement d’un thème donné et qui peut contenir un ou plusieurs échanges.
  • l’échange : un discours dialogique qui s’analyse généralement en trois interventions :
    • question → intervention initiative
    • réponse → intervention réactive
    • évaluation → intervention évaluative

Toutefois, l’échange ne se présente pas toujours sous cette forme-là. En effet, il peut s’étendre en cas de désaccord. La réaction négative de l’interlocuteur peut pousser le locuteur à prolonger l’échange dans le but d’aboutir à un consensus. Cette entreprise est susceptible de susciter deux ou trois interventions supplémentaires comme elle peut en demander davantage. Par ailleurs, les réactions négatives ne sont pas les seules à provoquer l’allongement d’un échange. L’absence de réaction, positive ou négative soit-elle, est aussi génératrice de ce type de situation. Nous nous retrouvons, ainsi, en présence d’échanges longs, imbriqués les uns dans les autres et dont la délimitation s’opère difficilement.

  • l’intervention : c’est un discours monologique qui est un constituant de l’échange. Elle est constituée minimalement d’un acte principal, éventuellement entouré d’actes, d’interventions et d’échanges subordonnés.
  • l’acte de langage : c’est la plus petite unité monologale.

Les relations entre ces différents constituants du discours sont assurées par :

  • des marqueurs de structuration de la conversation (bon, voilà) ainsi que des pauses (euh) qui ponctuent le discours en marquant son début ou sa fin.
  • des connecteurs interactifs qui « marquent la relation entre un (ou des) constituant (s) subordonné (s) (acte, intervention ou échange) et l'acte directeur d'une intervention » telles les conjonctions de coordination ou les conjonctions de subordination. Toutefois, leur fonction diffère puisqu’il y a ceux qui indiquent le lien entre arguments et acte directeur et ceux qui indiquent le lien entre contre-arguments et acte directeur. Roulet en définit quatre:
    • Les connecteurs argumentatifs : car, parce que, en effet.
    • Les connecteurs consécutifs: donc, et par conséquent, ainsi.
    • Les connecteurs contre-argumentatifs: bien que, cependant.
    • Les connecteurs évaluatifs/reformulatifs : finalement, en fait

D’autre part, nous souscrivons à la conception du discours selon Roulet qui considère celui-ci comme une négociation. En effet, en énonçant ses propos, le locuteur les met au risque d’être désapprouvés et rejetés par son interlocuteur. Certes, il aspire, en présentant sa proposition, à bénéficier de l’acceptation de son auditeur, mais il n’est jamais à l’abri d’une contestation ou d’un refus catégorique de ses énoncés. La manifestation d’un désaccord incite le locuteur à reconsidérer la pertinence de ses propos et le pousse à les reformuler dans le but d’atteindre un certain consensus. C’est ainsi qu’une réaction négative influe sur le discours émis et pousse l’émetteur à modifier sa perspective énonciative. L’énonciateur cherche, en reformulant ses propos et en essayant de les présenter d’une façon claire, cohérente et complète, à satisfaire la contrainte discursive dite de complétude interactive. En effet, « les connecteurs reformulatifs contribuent à la réalisation de la complétude interactive de l’intervention en marquant un type particulier de fonction interactive, la reformulation définie comme la subordination rétroactive d’un mouvement discursif, éventuellement d’un implicite, à une nouvelle intervention principale, de fait d’un changement de perspective énonciative »24. Par ailleurs, cette complétude ne peut être atteinte qu’en cas d’évaluation positive de la part du destinataire. L’acquiescement de ce dernier est le signe que l’intervention répond aux exigences requises.

En outre, la négociation ne peut se clore que si l’échange répond à la contrainte discursive dite de complétude interactionnelle qui suppose la clôture de l’échange sur un double accord de la part des deux interlocuteurs. Ce double accord peut se présenter sous forme d’évaluations positives ou négatives. L’important c’est que les interlocuteurs aboutissent à un consensus final.

Notes
23.

Roulet Eddy. (1999). La description de l’organisation du discours. Ed Didier

24.

Roulet Eddy. (1987). « Complétude interactive et connecteurs reformulatifs ». Nouvelles approches des connecteurs argumentatifs, temporels et reformulatifs. Ed Cahiers de linguistique française N° 8.