2-2-Négociations métaprocédurales :

Les négociations métaprocédurales sont des discussions tournant autour des étapes à suivre dans la structuration du texte. Chaque binôme envisage la configuration de son texte d’une façon qui lui est particulière et au sein de chacun de ces binômes les avis des étudiants peuvent être contradictoires et nécessiter, donc, des négociations plus ou moins longues.

Parmi les négociations métaprocédurales plus ou moins conflictuelles rencontrées lors de l’observation du corpus oral, nous citons celles du groupe 6A à savoir les négociations correspondant aux tours de parole suivants, si nous ne citons que ceux-là.:

A travers ces échantillons, nous décelons que le choix des opérations à adopter pour l’exécution de la tâche scripturale n’est sûrement pas machinal et irréfléchi et surtout pas le fruit d’un travail individuel. Les différents échanges précités montrent bien l’existence d’un travail collaboratif. Au sein de ce binôme, les avis de part et d’autre sont écoutés, discutés, parfois même récusés. Toutefois, il y a dans la plupart des échanges une recherche d’explicitation de la part de l’un des deux interactants par rapport à la proposition de son partenaire. Aucun d’eux n’essaye d’imposer son avis ou ses idées sur l’autre. Tout se déroule par consentement mutuel et par concertation.

Il peut y avoir, néanmoins à quelques moments, des échanges qui se terminent certes sur un consensus mais ledit consensus est plus une manière de la part de l’un des interlocuteurs de clore la discussion voyant qu’elle ne mène à rien. Cela devient plus une fuite devant l’impossibilité de convaincre l’autre de son avis et une capitulation devant l’effort à fournir plus qu’une réelle conviction vis-à-vis des propos avancés. C’est le cas de l’échange S 96 → S 110. Le conflit s’installe entre les interactants parce qu’ils ne partagent pas la même vision vis-à-vis de la méthode à adopter en vue de rédiger le texte demandé. C’est alors que deux conceptions structurelles du texte émergent : W propose de rédiger d’abord le développement, d’en faire découler l’introduction pour rédiger ensuite la conclusion. S, quant à elle, propose de suivre l’enchaînement correspondant à celui suivi habituellement sur la feuille de papier à savoir l’introduction, le développement et enfin la conclusion. Les deux méthodes sont pratiquées par nombre d’étudiants et recommandées par différents enseignants selon les « affinités » qu’ils ont avec l’une ou l’autre. Ce qui, on pourrait le croire, a pu décider W à lâcher prise et accepter de mettre un terme à l’échange en W 107 : (ça va vous voulez comme ça (bara : vas-y). Ce tour de parole corrobore cette idée et celui de S 108 : (t’es convaincu ?) montre également que cette dernière, bien qu’elle ait reçu l’assentiment de W, a compris que l’échange a été en sa faveur seulement parce que W l’a voulu et non pas parce qu’elle a été convaincue par le point de vue de son interlocutrice.

D’autre part, nous pouvons constater – à travers les différentes interventions des étudiants – qu’ils cherchent à définir les jalons de leur travail scriptural en cherchant à se mettre déjà d’accord sur la manière d’aborder la résolution du problème qui leur est présenté par une définition de la démarche à suivre dans leur conception de la structure du texte.

Néanmoins, nous devons signaler qu’en comparaison avec d’autres groupes, le groupe 6A ne présente pas de longues négociations alimentées par un désaccord croissant entre les interlocuteurs. Les avis peuvent être divergents mais ils ne le sont pas très longtemps. Tout est vite explicité, justifié et par la suite accepté et validé. En effet, à part quelques moments d’incompréhension – qui sont d’ailleurs rapidement dissipés – les deux scripteurs semblent être sur la même longueur d’onde. Ils collaborent parfaitement à la réalisation de la tâche en donnant presque l’impression de ne faire qu’un. Nous assistons, alors, à une co-énonciation où les deux étudiants formulent communément les énoncés et font – de ce fait – accélérer les échanges (l’un débutant une idée et l’autre la terminant).

L’interaction du groupe 7A renferme, elle aussi, des négociations multiples qui montrent bien que ce binôme accorde une attention particulière à l’organisation de son travail d’écriture. Les scripteurs font part à travers la verbalisation de leurs actes des étapes inhérentes à leur travail rédactionnel. Ils donnent l’impression de vouloir tout commenter ou verbaliser afin de ne rien omettre des procédures à suivre dans la réalisation de la tâche et pour que toute leur démarche soit claire mais aussi afin de confronter leurs connaissances dans le but de servir au mieux le texte qu’ils sont amenées à produire.

A travers les exemples suivants, nous nous rendons compte que ce groupe tente, tout au long de son interaction, de baliser son parcours scriptural afin vraisemblablement de se faciliter la tâche d’écriture. En mentionnant les différentes étapes à suivre, il prépare déjà l’ossature de son travail et c’est en avançant petit à petit dans la rédaction et en échangeant, mais également en affrontant leurs savoirs et leurs savoir-faire, que les scripteurs arrivent à présenter un ensemble cohésif et cohérent qui leur semble satisfaisant et ce en fonction des objectifs qu’ils se sont fixés. En effet, les scripteurs ne sont pas toujours d’accord (D 37) mais leur désaccord ne dure guère longtemps. Les conflits se résorbent rapidement, en un tour de parole, et la complétude aussi bien interactive qu’interactionnelle est vite assurée.

D-1-bon on commence quel regard portez-vous sur les jeunes de la dans la société tunisienne euh on va commencer je pense par l'introduction le plan on va faire un plan pour l'introduction introduction petit un il y a le la l'introduction le plan bon on va commencer du général pour aboutir au particulier comme d'habitude on va commencer

I-2-du général au particulier

D-3-oui oui du général au particulier ok bon plan premièrement euh on va parler des jeunes en général c'est-à-dire on va pas donc plan petit un on va parler des jeunes en général dans la société dans la société tunisienne donc eu:h je peux les jeunes dans la société tunisienne propose

I-4-on présente la société tunisienne

D-5-oui on présente la société tunisienne

I-6-en général on va mettre en deux mots la société tunisienne de quoi elle est constituée en parties fin en

D-31-c'est ça c'est le rôle donc ok deuxièmement on va parler on va on va annoncer le sujet

I-32-hmm

D-33-on va :: citer le sujet je ne sais pas on on je ne pense pas qu'on va qu'on doit le citer tel qu'il est on doit l'introduire d'une autre manière donc quel regard portez-vous sur les jeunes dans la société tunisienne

I-34-non c'est un peu vague

D-35-c'est vaste c'est pas vague quel regard portez-vous sur les jeunes dans la société tunisienne bon comment est-ce qu'on va l'introduire ?

I-36-dans quelle mesure les jeunes

D-37-non mais mais ça c'est quand on va annoncer le plan dans quelle mesure les jeunes tarara tu vois mais mais maintenant on va quand on va poser des questions ça

I-38-mais on a besoin aussi de de

D-39-y a y a y a trois parties dans l'introduction il y a le général il y l'annonce du plan ppp y a y a le y a le le on doit citer le le le sujet et puis on va annoncer le plan tu vois ?

I-40-hmm

D-41-donc après y aura des questions mais maintenant on va juste parler de du sujet on va le présenter quoi

I-42-hmm

D-43-tu vois ?

I-44-vas-y présente bon alors il y a le système de la bobine tu vois ? la bobine tac tac tac (rire) ok vas-y (rire) propose le rôle des jeunes dans la société tunisienne bon juste après eu:h quel regard portez-vous sur les jeunes dans la société tunisienne on peut parler par exemple de des euh des différences euh y a deux deux deux parties plutôt deux deux classes différentes tu vois on peut classer c'est-à-dire il y a les jeunes qui contribuent au développement de la société il y a des jeunes qui ne contribuent pas mais au contraire qui sont les jeunes irresponsables tu vois ?

Par ailleurs, au cours des tours de parole allant de I 138 à D 198 la négociation entre les deux interactants semble être assez conflictuelle :

En effet, les avis des interlocutrices ne se rejoignent pas. L’étape de synthèse du texte semble présenter un problème pour elles puisqu’elles n’arrivent pas à se mettre d’accord sur son utilité.

Tout au long de ce long échange, nous décelons une recherche d’un certain consensus entre les deux interlocutrices. Il y a une proposition qui se fait et par laquelle le proposant cherche à s’attribuer l’approbation de son interlocuteur, mais quand cette proposition se heurte à un désaccord celui-ci n’est pas catégorique ou présenté de façon définitive mais nous remarquons qu’il prend la forme d’une suggestion ou d’un conseil que l’interlocuteur opposant soumet à son tour à la discussion. Ainsi, la négociation métaprocédurale paraît, selon cet extrait, être basée sur la concertation. L’hétéro-contrôle est permanent entre les deux étudiantes : tout est commenté, critiqué, négocié et finalement co-produit car finalement consensuel.

A travers cet échange, nous remarquons également que les étudiantes se soucient de façon manifeste de la structuration de leur texte. Elles semblent très attentives aux moindres détails comme nous pouvons le voir dans les tours de parole de I 175 à I 181.

Ces apprenants visent à accomplir la tâche qui leur incombe en se référant sans cesse au modèle institutionnel inculqué. Nous remarquons cela à travers les exemples cités mais aussi tout au long de l’interaction De multiples verbalisations montrent le souci que ces apprenants ont à vouloir tout organiser, planifier et coordonner de telle sorte à fournir un texte répondant aux exigences d’un certain modèle institutionnel.

D’autre part, le groupe d’étudiants qui a eu le plus souvent recours à des négociations métaprocédurales est le groupe 4A. Ce dernier, et nous le notons aussi de par la longueur de son interaction (769 TP), est sujet à de longues discussions. En effet, ce binôme s’affiche avec pas moins de 46 négociations métaprocédurales, 23 négociations métalinguistiques et 102 négociations métadiscursives. Cela dénote une volonté de la part des étudiants de soumettre la moindre intervention à la discussion. Nous pourrions également avancer l’idée que le recours massif aux négociations métaprocédurales pourrait être dû aussi bien à une richesse au niveau des idées et des propositions de la part des deux interactants et à une volonté de sans cesse améliorer le travail scriptural et de tenter inlassablement de trouver la meilleure façon de présenter leur texte au lecteur potentiel qu’à une incapacité à juger définitivement de la bonne procédure à adopter.

W-63-on on on va faire la définition du jeune en général puis la la la société ARABE plus particulièrement puis plus plus plus particulièrement on va parler de la société tunisienne qui sait que faire la confusion entre la modernisation et les coutumes et les traditions si vous voulez

W-79-c’est le jeune dans la société on va peut- être on peut faire une comparaison peut -être on peut faire une comparaison c’est-à-dire on peut déduire c’est que qu’est-ce que ça veut dire les jeunes dans la société tunisienne d’aujourd’hui

K-80-au passé au passé de qui aujourd’hui la société tunisienne d’aujourd’hui

W-81-c’est une méthode c’est une méthode on peut faire une comparaison une allusion aux jeunes du passé

K-546-j’ai une une autre méthode on peut parler de la le progrès technique dans le monde dans les pays développés les pays industrialisés ou les pays développés ça a engendré en quelque sorte des pays bien développés bien riches alors que d’autres pays en train de développement ok des pays qui industrialisés qui sont riches alors on a d’autres deuxième catégorie qui est en train de développement comme le cas de notre pays qui est la Tunisie mais euh la la première pays qui représente la première catégorie qui

K-582-si on prend ça on laisse tomber l’autre alors si on va comment ajuster les choses ?

Grâce à ces exemples et à travers beaucoup d’autres encore, nous décelons cette détermination qu’a chacun des deux interactants à vouloir amener de nouvelles idées et proposer une nouvelle « tournure » au texte. L’orientation tous azimuts des idées de ce binôme ne peut que l’inciter à se disperser engendrant, ainsi, des répercussions sur l’aspect cohésif du texte.

Des négociations métaprocédurales entre les scripteurs sont nécessaires à l’organisation du travail rédactionnel. Toutefois, des négociations d’ordre métalinguistique sont également présentes au sein des interactions. Ces négociationssont plus manifestes au sein du binôme dont les membres souffrent de carences linguistiques.