2-3-2-Les hétéro-corrections :

Une proposition émise par un locuteur est souvent sujette à discussion. Quand ce dernier formule un propos, il soumet son énoncé au jugement d’un autre qui peut y adhérer comme il peut y trouver à redire. C’est alors qu’une négociation se déclenche. Le partage des mêmes idées et des mêmes connaissances entre les interactants annonce une interaction sans heurts ni controverse. A contrario, la présence de différends entre les deux scripteurs à propos de l’inscription d’un mot ou autre pousse ces derniers à confronter leur savoir et l’un alors intervient pour corriger l’autre. Cette correction peut être immédiatement acceptée et c’est ce à quoi nous assistons dans la plupart des hétéro-corrections du groupe 4B, comme elle peut être discutée et nous constatons également ce phénomène chez lui mais à une fréquence moindre.

-M-30-se sont les catégories de la société qui tu dois corriger si je vais une faute de construction là les jeunes se se caractérisent non c’est pas se caractérisent mais sont la la catégorie tu dois me corriger vas-y aide-moi

A-31-hmm l’accent sur le e

M-32-catégorie avec un u ?

A-33-non o

Nous notons, dans cet exemple, que M est consciente de ses « faiblesses » scripturales. C’est pourquoi, elle demande l’aide et la supervision de A qui se plie à cet exercice aussitôt la requête émise. « tu dois corriger si je fais une faute de construction → tu dois me corriger → vas-y aide-moi » : cette gradation rend de plus en plus explicites et urgents le besoin d’aide et la demande d’hétéro-correction. A joue, alors, le rôle de superviseur et de correctrice en essayant de limiter les incorrections au sein du texte en corrigeant autant que faire se peut les erreurs de M. Toutefois, nous constatons que l’aide que M demande, dans son intervention initiative, concerne la construction phrastique qu’elle présente et qui semble ne pas la satisfaire, alors que l’intervention de A s’est faite sur un autre problème qui est l’absence d’accent. Cette intervention réactive de la part de A est certainement motivée par la demande de correction, mais elle ne répond pas exactement à la sollicitation de M. Néanmoins, cette réponse génère la suite de l’échange puisque M commence à interroger A sur l’orthographe des mots qu’elle énonce.

-M-62-la plus exposée exposée aux problèmes aux problèmes sociales ou sociaux

A-63-sociaux

M-64-sociaux sociaux ok maintenant on a parlé

Cet exemple-ci vient corroborer nos précédents propos. M est toujours demandeuse d’aide de la part de A. Cela confirme, d’une part, las carences linguistiques de M et montre, d’autre part, le rôle que tient chacune des deux intervenantes dans cette interaction qui les réunit : A est toujours présente pour venir en aide à M qui ne cesse de la réclamer et semble ne pas pouvoir aller de l’avant sans soumettre ses propos au contrôle de son interlocutrice. Cette attitude pourrait nous inciter à croire que M, vue la vigilance patente de A qui ne cesse de contrôler les propositions de son interlocutrice, fournit de moins en moins d’effort au fur et à mesure qu’elle avance dans la rédaction.

-M-111-en effet lep lep ep oh c’est pas vrai (…?) (rire) le problème problème majeur

A-112-accent sur le e problème voilà le e le le le point sur le j t’as un problème avec les accents et la ponctuation

-A-163-la majuscule s’il te plaît tu as un problème avec la majuscule toi hein ? ils doivent

Dans ces deux extraits, nous remarquons que A prend au sérieux son rôle de correctrice ou de contrôleuse. Elle ne se prive pas, non plus, de pointer les déficiences scripturales de M (des problèmes dans l’utilisation des accents, de la ponctuation et de la majuscule). Elle fait prendre conscience à M de la récurrence de ses erreurs à travers les constatations qu’elle fait.

Dans cet exemple précis, nous assistons – contrairement à ceux précités – à une négociation plus ou moins conflictuelle où M n’acquiesce pas facilement et immédiatement devant l’avis de A mais essaye tant bien que mal de rallier A à son avis. Le mélange des registres de langue (oral/écrit) par M qui veut recourir à l’utilisation de « fric » au lieu « d’argent » est récusée par A. Cette dernière tente, en premier lieu, de justifier son refus (c’est un mot familier, c’est un peu vulgaire) en essayant de convaincre M du bien fondé de ses propos pour aboutir, par la suite, à choisir d’inscrire la première proposition de M (M144).

-M-166-attends c'est c'est un peu difficile ils doivent y accéder ils doivent y accéder avec toutes de toutes les manières

A-167-par toutes les manières

M-168-par toutes les manières ok par toutes les manières + bon par toutes les

Ce dernier exemple vient encore consolider les remarques faites à propos des difficultés linguistiques que rencontre M lors de l’exécution de la tâche. M s’exclame en s’adressant à A « attends c’est c’est un peu difficile » et nous assistons encore une fois à une sollicitation du savoir de A qui répond toujours présente aux sollicitations de M.

Ce qui est notable à travers les différentes négociations sus-mentionnées c’est la profusion des hétéro-corrections en comparaison avec les auto-corrections. Il est certainement plus facile de repérer les erreurs des autres que de se rendre compte de ses propres erreurs. En effet, on a plus de recul vis-à-vis des propos de l’autre qu’envers ses propres énoncés. Néanmoins, même A, dont les compétences linguistiques semblent être supérieures à celles de M, est sujette parfois à des hésitations et à des incertitudes linguistiques qui indiquent que ses compétences sont loin d’être optimales.

Nous décidons de faire part de ces moments d’incertitudes qui influent sur le rendement des deux scripteurs :

M-82-des jeunes tunisiens tunisiens

A-83-d’aujourd’hui d’aujourd’hui

M-84-tu crois tu crois qu’on doit faire ça ?

A-85-hmm

M-86-d’accord

-M-215-commettre des crimes à commettre deux t commettre commettre

A-216-deux t je crois

M-217-d'accord on va mettre deux t à commettre à commettre des crimes

A-218-commettre ça s'écrit je suis sûr que c'est faux commettre des crimes

M-219-à commettre des crimes pour pouvoir vivre et pour pouvoir survivre c'est normal quoi

-M-136-non ça c’est c'est complètement faux par tout ce qui est matriel ok matriel ça sera à la fin s alors

A-137-matriel tout

M-138-ben si tout c’est pluriel masculin pluriel ce qui signifie que matriel ce devrait être masculin pluriel non ?

A-139-tout .ce. qui .est .matériel

M-140-à la fin s je suis certaine

A -141-pourquoi le s ?

M-142-si parce que c’est masculin tout c’est masculin singulier euh masculin pluriel tu vois ? ça veut dire que matriel

A-143-non je peux pas accepter comme on dit tout le monde le monde ça ne prend pas de s dans un monde tout ce qui est matériel sans s

M-144-en effet le problème majeur des jeunes c’est l’argent il se trouve qu’ils vivent dans un monde manipulé par tout ce qui est matriel maintenant on doit utiliser un exemple

-M-195-la plupart des chômeurs parce qu’on a trop répété les jeunes des chômeurs eu:h la plupart des chômeurs finissent finissent leur chemin leur chemin dans la prison

A-196-à la prison

M-197-dans la prison c’est pas à la prison c’est comme s’ils marchaient mais c’est dans la prison là-dedans c’est pas à la prison

A-198-finissent leur chemin

M-199-dans la prison ouais on dit dans la prison on dit dans la prison vas-y prison prison

A-200-oui oui je sais

M-201-(b hi) finissent leur chemin dans la prison ok qu’est-ce qu’on va dire de plus ? (b hi) ça y est maintenant on a traité la problèm

-M-213-d'accord puisqu'ils sont obligés à voler à commettre des crimes

-M-373-ils se trouvent obligés de commettre des crimes pour pour pouvoir survivre

M utilise inconsciemment la proposition exacte. Cela a été dit spontanément. Nous pourrions croire que l’erreur se manifeste lorsque l’étudiant s’interpelle et s’interroge sur ce qu’il est en train d’écrire ou sur ce qu’il va écrire lui-même ou est interpellé par son interlocuteur. Le fait qu’elle ait utilisé la préposition adéquate d’une façon inconsciente montre bien que le savoir est bien présent mais qu’il est altéré par le temps puisque les apprenants s’affichent comme victimes de plusieurs incertitudes. Leurs connaissances sont précaires. Leurs propos sont rarement affirmés avec certitude.

M-M.de Gaulmyn (2001) déclare qu’« une interaction animée, où se manifestent confrontations, mises en question, conflits de connaissances, peut influer négativement sur le produit de cette interaction, mais le bénéfice est constaté ultérieurement ». En effet, c’est grâce à la confrontation de nos idées avec celles de l’autre, des négociations qui peuvent surgir autour d’un point de divergences, que l’on construit son propre savoir. Le conflit cognitif, bien qu’il naisse à la suite d’opposition d’opinions, fait naître également une prise en compte de l’autre, de ses idées, de ses opinions, fait réagir sur sa propre vision des choses et pousse à une remise en question de ses propres convictions. Deux univers de croyances s’affrontent et l’on se met alors à s’interroger, à comparer et à connaître peut-être des informations nouvelles qui ne font que contribuer à la construction de notre savoir.

Cependant, comme le souligne Gaulmyn, ce genre d’« interaction animée » peut avoir des répercussions néfastes sur le texte que le binôme doit écrire. Les multiples négociations/confrontations, même si elles sont intrinsèques au travail d’écriture demandé, pourraient faire naître des conflits entre les deux scripteurs et induire, de ce fait, l’un ou l’autre à se braquer sur certains points de divergences. Ce qui ne fera certainement pas avancer le travail et pourrait même influencer la productivité des étudiants.

Ces confrontations peuvent avoir lieu notamment au moment où les scripteurs choisissent le type de discours à émettre en vue d’accomplir la tâche qui leur échoit.