2-4-Les négociations métadiscursives :

Les discussions entre les étudiants prennent également l’aspect de négociations métadiscursives se rapportant à la pertinence du discours formulé. En effet, les étudiants n’ont de cesse de repenser le discours qu’ils émettent. Ils se soucient beaucoup des choix discursifs qu’ils font. Ils prêtent une attention particulière aux formulations qu’ils produisent. Ce métadiscours peut avoir lieu soit avant l’émission du discours lui-même soit après sa formulation. Les négociations métadiscursives sont alors tantôt prospectives, tantôt rétrospectives mais elles véhiculent toujours le même regard analytique et parfois même critique de (ou des) l’émetteur(s) qui ne cesse de juger son produit, de surveiller ses moindres écarts (tels la répétition, le contresens, l’inintelligibilité du discours…) et de faire en sorte de toujours chercher à l’améliorer.

Toutes ces préoccupations sont présentes chez les groupes étudiés mais à des degrés différents et se manifestant sur des aspects divers.

Nous avons décidé de nous intéresser à trois productions orales en particulier et qui appartiennent aux groupes 2B, 4A et 7A. Ce choix n’est pas arbitraire puisqu’il émane de l’étude quantitative que nous avons effectuée plus en amont et qui nous a permis de recenser le nombre de négociations métadiscursives auxquelles certains étudiants ont eu recours par rapport à d’autres. Ces trois binômes sont donc les trois groupes qui ont eu le plus souvent recours à l’utilisation du métadiscours.

Tout d’abord, intéressons-nous au groupe 2B. Le discours de ce dernier est étudié scrupuleusement par les deux étudiants. Les interlocuteurs discutent de ce dont ils ont à parler et de la meilleure manière de s’y exécuter et ils évaluent aussi leur discours après formulation ayant ainsi pour but de juger de sa pertinence et de décider, par la suite, de le garder comme tel ou bien de le modifier en faveur d’un autre qui leur semblera plus approprié :

M-119- on ne peut pas parler de ça

L-120- pourquoi ?

M-121- on a parlé des adolescents et tout on parle des euh des étudiants

L-122- hmm ++

M-123- tout ça c’est négatif

L-124- et si on parlait des relations entre eux ? la communication comment ils parlent leur situation avec leurs parents

M-125-hmm

L-126- avec leur entourage

M-127- comment on va ?

L-128- comment ils voient les vieux les

M-129- parce qu’ils sont jeunes on va dire qu’il y a des euh

L-130- est-ce qu’ils acceptent l’autre c’est-à-dire les vieux tu as compris ?

M-131- hmm on peut dire qu’il y a des barrières entre les euh entre les générations

Dans cet extrait et à travers ces différentes locutions (on ne peut pas parler de ça, on a parlé des…on parle de …, et si on parlait des…on peut dire que…), nous nous rendons compte que ce binôme est assez vigilant vis-à-vis du discours qu’il a à émettre et que son choix s’effectue en toute connaissance de cause puisqu’il étudie attentivement ses productions en visant à éviter la répétition et à présenter un produit cohérent qui répond aussi bien à la consigne qu’à l’image que les étudiants veulent donner à leur travail.

A travers les deux échanges suivants, de M 243 à M 246 et de M 293 à M 297, nous décelons l’importance qu’accordent les scripteurs à leur texte et à ses différents constituants. Le choix des termes adéquats semble représenter également une priorité pour eux.

M-243- hmm en effet on va dire qu’euh on va parler de l’adolescence des adolescents

L-244- hmm on va pas dire certes

L-245- certes c’est pour la conclusion certes

M-246- hmm d’accord

M-293- on va pas dire notre on va l’éviter

L-294- pourquoi ?

M-295- pour pas dire notre ce regard

L-296- ce regard ce regard

M-297- ce regard

A travers l’interaction du groupe 7A, nous décelons une continuelle remise en question de sa productivité. Il cherche, tout au long de son exécution de la tâche, à remodeler son produit et à perfectionner son discours. En outre, nous remarquons que ce binôme n’a de cesse d’évaluer son choix du lexique employé et de le reformuler en ayant pour objectif qu’il serve au mieux le sens que le texte doit véhiculer. Néanmoins, bien que le métadiscours soit presque omniprésent au sein de l’interaction, les évaluations de certaines formulations affichent des justifications triviales et nous nous référons pour cela à l’exemple suivant :

Ainsi, la justification donnée par I pour son refus de recourir à l’utilisation du connecteur « dès lors » est inexistante. « Il ne me plaît pas » n’est pas une raison convaincante pour modifier un discours, mais D ne récuse pas la requête de I et y acquiesce non sans essayer – toutefois – de légitimer son choix de ce connecteur. Elle explique ce qui l’a poussé à le choisir sans pour autant réprouver l’intervention de I. Au contraire, elle semble se plier à la demande de son interlocutrice, qui, elle, a su préserver la face de D en présentant sa récusation d’une manière assez subtile ; ce qui, nous le pensons, a pu engendrer ce type de réaction de la part de D. Nous remarquons, alors que les négociations métadiscursives, au sein de ce groupe, se font, pour la plupart du temps, d’une manière plutôt « adroite ». Elle n’engendrent pas de conflits, mais s’élaborent de façon collaborative en vue d’aboutir à un résultat apprécié par les deux parties concernées. D’autre part, nous constatons que l’hétéro-contrôle est permanent entre les deux étudiantes comme dans l’échange allant de D 235 à D 253 (tout est commenté, critiqué, négocié et co-produit car consensuel) :

Le groupe 4A est celui qui présente le nombre le plus élevé de négociations métadiscursives. Il s’avère, en effet, à travers plusieurs observations faites sur ce groupe, qu’il est sinon toujours du moins souvent amené à repenser ce qu’il produit et ce concernant autant la démarche à suivre dans l’exécution de la tâche scripturale, que les arguments à choisir, que la pertinence et du discours et des idées avancées… C’est le groupe qui affiche le plus une certaine détermination à vouloir tout débattre. C’est pourquoi, les échanges entre les deux étudiants – formant ce binôme – ont tendance à s’étendre longuement. Ces derniers sont souvent et facilement entraînés dans des discussions interminables nécessitant des échanges étendus.

Les quelques interventions, que nous mentionnons ci-dessous, montrent l’intérêt que portent les étudiants au discours qu’ils produisent, à sa complétude, à sa pertinence et à la visée qu’il peut avoir selon la façon dont il est amené au lecteur et ce qu’il véhicule comme pensées.

W-40-oui ce sera plus sincère je crois que c’est plus sincère on va parler de nous-mêmes portez-vous on va nous juger autrement quel regard portez-vous sur les jeunes dans la société tunisienne

W-113-on va imaginer on va imaginer que que cela est un article dans une journal en France ou bien en Europe et un homme de la société européenne va lire cela alors on va présenter la situation des jeunes en Tunisie on a trois trois trois catégories

Ainsi, à travers ces deux tours de parole et le lexique utilisé, nous décelons que dans un premier temps, les scripteurs aspirent à parler de leur propre situation étant eux aussi des jeunes appartenant à la société tunisienne. W s’exprime en ces termes « on va nous juger » en préfigurant par là la visée que leur produit textuel va avoir. Ces étudiants se soucient constamment du type de discours qu’ils vont émettre « ce sera plus sincère » ou dans (K 160) : « et comment introduire ça dans le sujet voilà ? ». Ils choisissent un discours approprié qui correspond à l’image qu’ils veulent donner à leur texte et qui répond à leurs critères énonciatifs en prenant en considération l’existence éventuelle ou encore « virtuelle » d’un lecteur potentiel (W 113) : « on va imaginer on va imaginer que que cela est un article dans une journal en France ou bien en Europe et un homme de la société européenne va lire cela alors on va présenter la situation des jeunes en Tunisie on a trois trois trois catégories ».

Leur discours est alors destiné à être appréhendé tel un assemblage de propos énoncés à bon escient en vue d’agir, de quelque façon que ce soit, sur un destinataire. Cette visée pragmatique qu’arbore le discours de ce binôme, ainsi que celui de bien d’autres, sera analysée plus en détails dans la partie consacrée à l’aspect argumentatif des textes définitifs observés.

Ce binôme semble très attentif aux propos qu’il émet. A travers certaines de ses répliques, nous entrevoyons une volonté de ne rien laisser au hasard et de tout contrôler comme c’est le cas dans W 251 ou les expressions « on va changer, on va dire, on va pas dire » et W 767 :

W-251-c’est kif kif le jeune tunisien au Nord alors on va changer on va dire on va pas dire alors qu’euh il y a il y a une présence d’un rythme rythme d’un rythme très accéléré + qui nous entraîne qui NOUS entraîne à être machinisés ce routine de vie ce routine de vie mène la jeunesse + d’aujourd’hui .à suivre .l’intérêt .en laissant tout en laissant tout + tout ce qui est origine tout ce qui est origine tout ce qui est origine cela est renforcé par la nature de vie qu’ils sont en train de vivre aussi la la population le nombre de la population c’est très nombreux au Nord dans la capitale particulièrement c’est très nombreux cela mène à une

W-767-on peut pas dire d’ailleurs parce que on est en train de conclure de même pour continuer d’ailleurs parce que ça a un sens de revenir en arrière de même pour un peuple

Dans le dernier exemple, que nous citons ci-dessous, nous faisons part d’une négociation métadiscursive qui se déroule entre les deux étudiants et qui reflète, autant que faire se peut, l’importance que ces derniers accordent au choix du discours qu’ils sont amenés à produire. Ils étudient minutieusement chaque étape discursive en négociant leurs propos respectifs tout en faisant attention chacun de son côté à préserver la face de l’autre et sa propre face comme c’est le cas dans (K 546) évitant de générer des conflits et faisant ainsi avancer plus facilement le travail scriptural.

K-540-qu’est-ce qu’on va dire ? comment on va introduire ?

W-541-toute société toute société on peut parler du du général toute société qui tente vers un avenir bien détaillé vers un avenir plus détaillé bien détaillé bien détaillé essaye de former une base dimographique qui s’allie entre eux

K-542-qu’est-ce que tu veux dire ?

W-543-la base dimographique c’est-à-dire dimographique ça veut dire le nombre de la société les gens

K-544-oui je sais ça

W-545-on va parler du général tout toute société tente à être bien détaillée essaye de former une base dimographique qui s’allie entre eux ça veut dire la la la solidarité entre la la la société compose sa force s’allie entre eux euh s’allie entre eux euh donc les membres de cet ensemble on va l’appeler ensemble cet ensemble partage les rôles notre société tunisienne tunisienne met en évidence une grande importance pour une catégorie de ses membres qui est la jeunesse d’aujourd’hui .alors comment peut-on

K-546-j’ai une une autre méthode on peut parler de la le progrès technique dans le monde dans les pays développés les pays industrialisés ou les pays développés ça a engendré en quelque sorte des pays bien développés bien riches alors que d’autres pays en train de développement ok des pays qui industrialisés qui sont riches alors on a d’autres deuxième catégorie qui est en train de développement comme le cas de notre pays qui est la Tunisie mais euh la la première pays qui représente la première catégorie qui