1-4-1- Stratégies argumentatives adoptées :

Les comportements scripturaux des étudiants sont peut-être similaires en apparence puisque nous observons que, sinon la totalité, du moins la majorité d’entre eux essaye de reproduire un même modèle institutionnel. Toutefois, si nous nous intéressons de plus près aux documents présentés par ces derniers, il apparaît une hétérogénéité certes non manifeste mais déductible à partir de leur comportement scriptural. En effet, « …le schéma textuel prototypique intervient non pas comme un moule fixe qui s’imposerait quasi mécaniquement et linéairement à des contenus représentés en dehors de lui, comme une « forme » pour un « fond », mais comme un patron « dynamique », une « forme contenu » prototypique qui autorisent, chez les rédacteurs experts du moins, de réelles plages de variations et d’écarts, de « liberté ». » 30 (Brassart, 1988)

Ainsi, le texte argumentatif n’est pas un texte stéréotypé contrairement à ce que d’aucuns pourraient croire. La disposition des arguments et des parties n’est pas fixée. Elle peut être différente d’un texte à un autre, d’autant plus que les contenus sont différents. Cette liberté propre au discours argumentatif le rend encore plus difficile à élaborer.

En effet, « ce qui fait qu’un discours est bien formé argumentativement n’est pas lié à l’existence d’une forme canonique du discours argumentatif. »31(Moeschler.J, 1994) D’autant plus qu’« on ne peut prétendre à l’existence d’un schéma-type de l’argumentation, non seulement en raison de la diversité des pratiques individuelles d’écriture mais aussi à cause du nombre important de modèles théoriques disponibles. » (Miled 1998a, p : 140).Cette hétérogénéité est manifeste à travers les productions des étudiants enquêtés qui affichent des pratiques scripturales divergentes même si elles semblent partager certaines similitudes.

Nous assistons, de ce fait, à des profils argumentatifs différents qui reproduisent des différences interindividuelles existantes.

Deux types de stratégies de production sont identifiables chez les étudiants et nous nous référons en cela aux travaux de Bereiter et Scardamalia (1986 et 1988) cités dans Fayol (1997) qui préconisent l’existence de deux stratégies de production.manifestes. Ainsi, « il y aurait la stratégie d’énonciation des connaissances (knowledge telling strategy) qui consiste à formuler les informations au fur et à mesure de leur récupération en mémoire. Viendrait ensuite la stratégie d’énonciation par transformation des connaissances (knowledge transforming strategy) qui consiste à réélaborer le contenu du discours en fonction,d’une part, de l’organisation du contenu et d’autre part, des considérations liées au(x) but(s) et au(x) destinataire(s). » C’est ainsi que se profilent les comportements argumentatifs des étudiants. Certains se contentent de juxtaposer des énoncés sans se soucier d’établir des liens entre eux et sans que la succession de ces énoncés, et en l’occurrence des arguments, soit annonciatrice d’une quelconque structuration ou logique argumentative; alors que d’autres étudient l’argumentation qu’ils présentent de façon minutieuse en prenant en considération les objectifs qu’ils veulent atteindre et le message qu’ils désirent faire passer à travers leur écrit.

Les étudiants ne sont pas, alors, cantonnés à utiliser un seul et unique schéma argumentatif auquel ils doivent se conformer au risque de voir leur produit écrit fortement sanctionné. Bien qu’ils répondent grosso modo aux spécificités du discours argumentatif, les schémas argumentatifs des binômes s’affichent surtout comme véhiculant une vision personnelle que ces derniers veulent avoir et ont de leur texte ; et ce que ce soit au niveau de la forme ou au niveau du contenu. C’est cette variation des comportements rédactionnels, et en l’occurrence argumentatifs des scripteurs, qui confère sa particularité à chaque produit écrit et qui nous amène à observer une pléiade de stratégies argumentatives.

Comment les différents binômes justifient-ils leurs choix procéduraux ? C’est à travers les verbalisations de ces derniers que nous tenterons de répondre à cette interrogation. Néanmoins, pour ce faire, nous ne pouvons nous détacher, des textes rédigés qui constituent un support important à notre étude et qui, joints aux verbalisations des scripteurs, permettent de cerner plus clairement la dynamique argumentative adoptée dans les différentes productions écrites. Nous tenterons de mettre en relation les textes produits par les étudiants avec les échanges qui leur ont donné naissance dans le but de nous permettre - par le biais des explicitations fournies - de saisir les intentions argumentatives de ces rédacteurs qui peuvent être habilement traduits dans leur texte comme ils peuvent l’être maladroitement ; et c’est ce qui détermine les « bons » textes de ceux plus « médiocres ».

Nous essayerons de repérer s’il existe une différence des approches argumentatives à l’oral d’un côté, et à l’écrit de l’autre. Ces deux codes langagiers présentent, comme nous l’avons mentionné précédemment, quelques distinctions (instantané/différé ; relâché/rigoureux). Certains étudiants présentent quelquefois une argumentation orale assez riche mais cette densité argumentative, au niveau de l’oral, ne trouve pas toujours son écho d’une argumentation écrite bien formée. La difficulté semble résider au niveau du passage de l’oral à l’écrit et dans la prise en compte de la nécessité de mettre à contribution plusieurs techniques scripturales et d’obéir à d’innombrables contraintes afin de mettre en mots les formulations énoncées auparavant. C’est ce moment de transition entre la parole et l’acte d’écriture qui crée chez certains rédacteurs des tensions incommensurables reflétant une maîtrise inégale de ces deux modes de communication.

Les échanges verbaux des étudiants reflétant les stratégies que ces derniers décident d’adapter dans la réalisation de leur tâche scripturale, sont porteurs d’informations essentielles à la compréhension de leur raisonnement argumentatif.

Le choix que nous faisons de commenter des produits écrits appartenant à quatre binômes différents relève de notre volonté de présenter des profils de rédacteurs différents qui présentent des textes argumentatifs distinctifs.

Notre intention, de ce fait, est d’avoir recours à la répartition des binômes en deux catégories (la catégorie C et le catégorie D), et ce conformément à la méthode que nous avons utilisée au début de notre travail de recherche, des groupes d’étudiants dont nous nous proposons d’analyser les productions.

Les schémas argumentatifs exposés reflètent le cheminement stratégique suivi par les différents rédacteurs et définissent de ce fait les choix argumentatifs et organisationnels de ces derniers par rapport au sujet énoncé. C’est pourquoi, notre manière d’afficher ces schémas (la répartition sous forme de tableau, l’affichage de phrases successives, le recours aux flèches…) va révéler ipso facto toutes les manœuvres scripturales effectuées par les scripteurs au sein de leur texte.

  • Catégorie C :
Schéma argumentatif du G 2B
Schéma argumentatif du G 2B
Schéma argumentatif du G 6A
Schéma argumentatif du G 6A
Schéma argumentatif du G 6A
Schéma argumentatif du G 6A
  • Catégorie D :
Schéma argumentatif du Groupe 4A
Schéma argumentatif du Groupe 4A
Schéma argumentatif du Groupe 4B
Schéma argumentatif du Groupe 4B
Schéma argumentatif du Groupe 4B
Schéma argumentatif du Groupe 4B

A travers la présentation de ces quatre schémas argumentatifs appartenant à quatre binômes différents, nous voulons faire apparaître différents types de discours argumentatifs, chaque discours révélant l’intention mais également la finalité argumentatives de chaque binôme. En outre, en nous intéressant à ces multiples discours, nous voulons mettre la lumière sur les habiletés scripturales des étudiants notamment dans le domaine de l’argumentation. Certes, nous dégagerons quelques carences dont souffrent les étudiants au contact avec un texte argumentatif, mais il demeure important de ne pas se focaliser seulement sur les difficultés rencontrées par ces scripteurs au moment de rédiger un écrit argumentatif mais d’avoir également comme objectif de montrer leurs compétences dans ce domaine.

Nous pouvons dire, au premier abord, que le groupe 2B produit un texte dont les différentes parties sont grosso modo bien présentées. Cela prouve, d’ores et déjà, une bonne compréhension du sujet.

Le choix des connecteurs est généralement guidé par l’orientation argumentative que les scripteurs cherchent à donner à leur texte. Ces connecteurs utilisés correctement tendent à assurer l’organisation textuelle et à faire bénéficier le produit écrit d’une bonne cohésion entre ses différents arguments. Ils répondent à une stratégie énonciative particulière pour laquelle optent les co-scripteurs. Ce que nous remarquons à la lecture de la production de ce binôme c’est l’utilisation plus ou moins massive des articulateurs logiques tels que : en effet, ainsi, de plus, en outre, etc qui, en permettant la réalisation de relations interphrastiques, visent à garantir un bon enchaînement des arguments proposés. Toutefois, nous pouvons remarquer que le recours à l’utilisation des connecteurs par ces mêmes étudiants peut, parfois, ne pas être judicieux comme dans la phrase suivante : « Ainsi, ce regard pessimiste n’est pas pour autant aussi pessimiste qu’on pense dans la mesure où la jeunesse tunisienne porte en elle l’avenir de la société » qui succède aux phrases suivantes : « Leur frustration est extériorisée d’une manière négative. Ce qui le prouve c’est la bassesse du niveau intellectuel. De même que le conflit entre les générations. Ceci provoque la marginalisation » et où le recours à un autre connecteur (tel toutefois par exemple) aurait été plus à même de renforcer l’impact de cette phrase de transition qui a pour but de faire basculer le lecteur d’une première vision négative du sujet traité à une autre positive.

Nous avons l’impression que les articulateurs logiques auxquels ces derniers font appel, quelquefois, ne sont pas forcément toujours essentiels à l’établissement de liens interphrastiques. Les étudiants peuvent assurer une progression thématique à leur texte sans pour autant être obligés d’utiliser les connecteurs d’une façon quasi permanente. Cette utilisation massive des connecteurs pourrait s’expliquer par une volonté de la part des apprenants de se conformer à une recommandation scolaire concernant, en l’occurrence, l’emploi des articulateurs logiques. Cette idée pourra être confirmée ou infirmée à la suite de l’observation des autres productions écrites des étudiants.

Dès le début de l’interaction, L ne se prive pas d’afficher sa prise de position face au sujet traité. Elle proclame son avis par rapport à la jeunesse tunisienne d’aujourd’hui. C’est un regard pessimiste qu’elle porte sur cette catégorie sociale qu’elle cantonne aux étudiants en critiquant leur manque d’engagement et d’intérêt politique.

L-5- je ne sais pas si je dois en parler mais + il y a un autre problème que je trouve énorme c'est euh c'est le manque de de la politisation des (rire) des étudiants ça veut dire que les les étudiants n’eu :h ne ne s'intéressent plus au à la politique quoi les majeurs à ma connaissance quoi (rire) les majeurs

M-6- j'allais dire que les étudiants ne sont pas compréhensifs entre euh entre eux

L-7- la relation ?

M-8-hmm

L-9- c’est-à-dire qu’ils deviennent de plus en plus euh humiliants

M-10- on va pas s'intéresser spécialement aux étudiants on va parler globalement des jeunes tunisiens

L-11- (rire)

M-12- on peut parler de tout

L-13- bien sûr la jeunesse ouais

M-14- en général on va pas parler des étudiants spécialement on va s'intéresser

L-15- aux adolescents ?

M-16- hmm aux jeunes

L-17- en ce qui me concerne mon regard est euh est pessimiste (rire)

Les étudiants définissent, dès le début, leur perspective argumentative. Ils décident de suivre une stratégie précise consistant à présenter, d’abord et dans une première partie de l’essai, une vision négative concernant les jeunes tunisiens tout en faisant en sorte de concéder une part de vérité à cette thèse pour la décliner, par la suite, en faveur d’une thèse adverse. Leur objectif est, ainsi, de dévoiler les défaillances de la thèse citée en premier afin de faciliter la présentation du contre-discours qui va suivre.

Ils fondent, ainsi, leur argumentation sur un rapport qui se décline en causes/conséquence puisque les étudiants font part d’un regard pessimiste qu’ils ont vis-à-vis des jeunes et de leur situation dans la société tunisienne et ils énumèrent, ainsi, les différentes difficultés que vivent ces jeunes et qui peuvent justifier ce pessimisme (M 55) : la délinquance, le manque de communication, l'incompréhension, l'égoïsme et l'individualisme. La démarche de ces étudiants est généralement portée vers l’alliance causes/conséquence :

L-94- on peut parler de la cause qui les pousse vers tout ça tu as compris ?

M-95- hmm ce qui les pousse on peut parler des causes

L-96- puis des conséquences

D’autre part, dans l’extrait que nous avons cité (L5 → L17), nous constatons que les co-scripteurs décident finalement de ne pas limiter leur discussion et leur attention à une seule catégorie de jeunes. Ils optent, plutôt, pour un regard plus général englobant deux catégories de jeunes. Un parallélisme est effectué entre ces deux catégories : « Les adolescents sont devenus humiliants, indifférents/Quant aux étudiants, ils sont confrontés à des problèmes d’ordre économique ». C’est ainsi que les co-scripteurs essayent de montrer que la jeunesse tunisienne, dans son ensemble, est désorientée et ce, qu’il s’agisse des adolescents ou bien des étudiants. La locution prépositive « quant aux » signale cette volonté qu’a ce binôme de vouloir justifier ces propos en s’intéressant aux deux catégories désignées d’une même jeunesse tunisienne.

Nous constatons que, pour ces scripteurs ainsi que pour d’autres, le texte argumentatif se construit autour d’une dualité (positif/négatif), plus précisément, autour de plusieurs oppositions : thèse/antithèse, arguments/contre-arguments et donc regard positif/regard négatif vis-à-vis des jeunes.

La nature argumentative du texte est révélée à partir de la formulation du sujet présenté aux étudiants : «Quel regard portez-vous sur les jeunes tunisiens d’aujourd’hui ?». C’est un énoncé qui prépare, d’ores et déjà, l’aspect ambivalent du texte à présenter.

L-142- eu :h bon euh tout ça c’est un c’est un regard pessimiste

M-143-hmm

L-144- c’est la première idée

M-145-thèse

L-146- sinon on va dire un regard plutôt euh optimiste euh dans la mesure où euh

M-147-hmm

L-148- dans la mesure où euh dans la mesure où les étudiants où les (rire)

M-149- la jeunesse tunisienne

L-150- la jeunesse tunisienne porte en elle l’avenir d’euh du pays /et de la société

M-151- /et de la société

L-152- hein ?

M-153- oui l’avenir de la société

de même :

G1 A :

N200 : oui mais on ne peut pas parler que des problèmes de cette jeunesse il y a aussi des des des aspects positifs aussi des jeunes qui réussissent

G7 B :

W 3 : les jeunes dans la société tunisienne d’aujourd’hui + négative une vision positive et une vision négative

Pour certains, la stratégie est un peu différente. C’est le cas du G6 B qui décide de réunir les deux visions négative et positive des jeunes dans une même partie en alternant les arguments et les contre-arguments. Cette pratique ne fait que l’embrouiller dans l’argumentation qu’il présente et cela est révélé par l’ambiguïté qui se dégage à la lecture du produit écrit ; et ce bien que les arguments et les contre-arguments proposés soient assez pertinents.

A84 : qu’on doit citer les particularités négatives et positives en même temps comme étant une comparaison puis on va :: ana :: dans la deuxième partie on va :: justifier cette euh c’euh cette démarche

A88 : on fait les euh l’éloge et les inconvénients en même temps

Les phrases au sein du texte du groupe 2B découlent les unes des autres. Nous remarquons une interdépendance entre elles et nous notons que le texte progresse vers une finalité précise. Cette fin se présente sous forme d’une interrogation que les scripteurs affichent et qui maintient l’argumentation présentée en suspens : Cela dit est-elle capable de contribuer à l’amélioration de la société Tunisienne ?. Cette « ouverture » permet aux scripteurs de préserver l’aspect nuancé du texte jusqu’à sa fin.

L-154- on peut même poser des questions est-ce qu’elle est est-ce que la jeunesse tunisienne est-elle capable d’euh

M-155- de communiquer

L-156- d’assurer d’assurer un :: un un avenir meilleur ?

M-157- on va écrire tout simplement et poser la question à la fin (fil : dans l’ ) ouverture tu as compris ?

L-158- hmm (… ?)

M-159- on va exprimer comment le regard est optimiste

L-188- on peut poser une question ?

M-189-hmm

L-190- pour la conclusion

M-191-hmm

Concernant le groupe 6A, nous constatons qu’ils essayent, dès le début de leur travail collaboratif, de fixer la démarche à suivre dans le traitement du sujet. Ils parlent, alors d’arguments et d’exemples, deux constituants importants du texte argumentatif.

Le fait de recourir à des exemples pour étayer les arguments proposés est pour les étudiants une obligation à ne pas ignorer, d’autant plus que le genre de texte qu’ils doivent rédiger l’exige. C’est à travers les verbalisations des étudiants que nous le repérons et notamment dans S 186 « …tu dois citer un exemple » et S 258 « …il faut citer des exemples… ».

D’un autre côté et au cours de l’échange suivant, nous pouvons remarquer que les étudiants s’interrogent sur la manière optimale de présenter leur texte argumentatif. Ils tentent d’échafauder plusieurs plans de configuration pour leur produit écrit et nous remarquons cela à travers les tours de parole de W (W87 et W89) qui fait part d’idées différentes dans un intervalle de temps réduit.

S-76-maintenant on doit présenter notre point de vue + notre regard sur ces jeunes

W-77-bien sûr au fur et à mesure que nous avons

S-78-/non non non

W-79-/(analisiw : analysons )

S-80-non

W-81-comment ?

S-82-d’abord on :: présente leu :: r les jeunes

W-83-oui

S-84-euh dans la société et puis on commente si c’est bien si c’est pas bien eu :: h +

W-85-comme ça on aura

S-86-deux parties .deux parties

W-87-on parle des jeunes dans une partie et puis on peut donner notre regard dans une autre partie

S-88-hmm

W-89-bon pourquoi pas faire à chaque partie à chaque argument notre eu : h regard ?

S-90-ça sera un peu ::

W-91-complexé

S-92-hmm

La gestion d’un texte argumentatif suppose de porter un même intérêt aussi bien aux arguments qu’aux contre-arguments. Le scripteur doit construire une argumentation équilibrée en ne favorisant pas une partie par rapport à une autre, mais en octroyant à chacune d’elles la dimension et la consistance indispensables à la réalisation d’un tout argumentatif cohésif, cohérent et harmonieux et c’est ce qu’essayent de faire, tant bien que mal, ces étudiants.

Le texte du groupe 6 A présente, alors, une stratégie argumentative qui diffère de celle du texte du groupe 2B. Les étudiants commencent par énoncer une vérité ou une assertion qu’ils tendent, par la suite, non pas à rejeter mais à nuancer en vue de présenter plusieurs facettes contradictoires de différentes catégories de jeunes.

Nous notons, au fil de ces remarques que l’antiphonie 32 fait inéluctablement partie intégrante des textes. A chaque discours énoncé répond un contre-discours. Toutefois, les stratégies de manipulation de ces discours diffèrent d’un binôme à l’autre. Chacun affiche une méthodologie différente (quant à la structuration de son produit argumentatif). Ce que nous pouvons remarquer également, à travers l’observation des interactions des groupes 2B et 6A, c’est qu’elles ne renferment pas une argumentation orale abondante. En effet, nous assistons assez rarement à des tentatives d’explicitation ou d’étayage des propos par l’un ou l’autre des deux interlocuteurs. Les explications ont tendance à être brèves voire expéditives.

Au contraire, nous pouvons dire qu’au cours de l’interaction du G4 A, nous assistons à plusieurs dialogues argumentatifs. Les deux étudiants se retrouvent souvent dans la peau respectivement de « proposant » et « d’opposant ». Chacun est alors amené à expliciter ses propos en tentant de légitimer ses croyances afin de convaincre l’autre et de le faire adhérer à sa propre vision des choses. Nous assistons, de ce fait, à de continuelles objections de part et d’autre. Ces objections ne font que relancer sans cesse le dialogue entre les deux interlocuteurs jusqu’à ce qu’ils atteignent un certain consensus.

Le conflit socio-cognitif déclenché entre les deux interlocuteurs sous-tend tout échange argumentatif. C’est dans cette confrontation que naît et s’enrichit le discours argumentatif.

Ces étudiants confrontent leur point de vue, leurs arguments et leurs méthodologies argumentatives :

W-545-on va parler du général tout toute société tente à être bien détaillée essaye de former une base dimographique qui s’allie entre eux ça veut dire la la la solidarité entre la la la société compose sa force s’allie entre eux euh s’allie entre eux euh donc les membres de cet ensemble on va l’appeler ensemble cet ensemble partage les rôles notre société tunisienne tunisienne met en évidence une grande. importance pour une catégorie de ses membres qui est la jeunesse. d’aujourd’hui .alors comment peut-on

K-546-j’ai une une autre méthode on peut parler de la le progrès technique dans le monde dans les pays développés les pays industrialisés ou les pays développés ça a engendré en quelque sorte des pays bien développés bien riches alors que d’autres pays en train de développement ok des pays qui industrialisés qui sont riches alors on a d’autres deuxième catégorie qui est en train de développement comme le cas de notre pays qui est la Tunisie mais euh la la première pays qui représente la première catégorie qui

D’autre part, nous devons signaler que nous retrouvons également chez ce binôme une certaine tendance insistante à recourir à un vocabulaire spécifique lié au cadre argumentatif, que nous retrouvons également chez le binôme 6A, à savoir : thèse, antithèse, analyse nuancée…

Ce « jargon argumentatif » (analyse nuancée, thèse, antithèse, synthèse) est présent chez la plupart des binômes à des fréquences diverses. Nous avons tendance à croire, d’ailleurs, que les apprenants, en le mentionnant, se sentent plus en sécurité et ont l’impression de bien contrôler leur texte.

D’autre part, l’évidence est présente également au sein de ce groupe, quant à l’utilisation d’exemples pouvant étayer les arguments présentés :

W-165-voilà l’existence c’est l’existence c’est paraître selon la mode c’est une première point de vue

K-166-première avis

W-167-voilà alors c’est paraître selon la mode on a des jeunes on va prendre des exemples

K-168-ok

Nous constatons, à travers les tours de parole cités ci-dessous, que les étudiants effectuent des choix minutieux concernant les connecteurs à utiliser (d’autre part, de même, d’ailleurs) pour rendre compte des relations qu’entretiennent les différents éléments textuels entre eux et tenter de rester fidèle, autant que faire se peut, à l’orientation argumentative qu’ils ont décidé d’octroyer à leur produit écrit.

W-695-on a aussi en troisième lieu non d’autre part

K-696-on a écrit d’autre part avant ou pas ?

W-697-non

K-698-ok

W-699-d’autre part ça peut se confondre avec en premier lieu deuxième lieu d’autre part c’est d’autre part on peut voir une jeunesse qui mène une vie simple

W-767-on peut pas dire d’ailleurs parce que on est en train de conclure de même pour continuer d’ailleurs parce que ça a un sens de revenir en arrière de même pour un peuple

K-768-qui veut s’imposer

Par ailleurs, contrairement à ce qu’il énonce dans les tours de parole (A17/M18), le binôme 4B ne divise pas son texte argumentatif en deux parties antithétiques et ne présente pas, non plus, deux visions antinomiques des jeunes dans une seule et même partie (comme c’était le cas pour les autres binômes). Il se contente de mentionner un seul et unique regard (un regard négatif).

A-17-si si si si quel regard portez-vous sur c’est-à-dire on peut dire que y a des jeunes qui sont qui sont biens et d’autres dans la deuxième par dans la thèse on va dire que les jeunes sont y a des jeunes qui sont bien qui sont excellents qui veulent travailler mais après on va dire qu’il y a des gens qui sont comme des adolescents

M-18-(… ?) on peut parler d’une façon générale des jeunes les deux parties seront mentio seront ensemble dans une seule partie ok ?

A-19-oui

Ce groupe présente un texte dont les arguments ne sont pas assez développés. Le texte aurait pu avoir une certaine originalité si les idées l’étaient davantage, d’autant plus que ce groupe semble connaître les principes qui régissent tout texte argumentatif. Ceci montre bien qu’il ne suffit pas de connaître les règles et les bases sous-jacentes au travail scriptural pour pouvoir présenter un texte de bonne qualité ou tout simplement un texte dépourvu d’irrégularités quelles qu’elles soient.

A-90-on va donner des des des exemples maintenant maintenant ça c'est l'introduction on va rentrer dans l'intro dans le développement

M-91-tu sais les exemples quand on utilise les exemples c’est pour renforcer notre idée on doit avoir une idée après on doit des exemples

A-92-quelle est l’idée que tu dois mettre maintenant ?

M-93-on a on a bien précisé notre idée c’est quoi les problèmes sociaux

A-94-oui

M-95-d’accord maintenant on va parler des styles de problèmes sociaux que les jeunes tunisiens rencontrent dans notre société tu vois

A-96-oui

M-97-d’accord on va on va prendre deux euh deu:x deux idées par exemple c’est suffisant je crois deux idées parce que on va deux idées on va avoir deux idées deux exemples tu vois ? c’est tout

A-98-hmm

M-99-ok on va parler par exemple de la vie matérielle c’est ça la plus importante et la plus flagrante dans notre société ok

Notes
30.

Citation présente dans Golder Caroline. (1996). Le développement des discours argumentatifs. Delachaux et Niestlé. Paris

31.

Pratiques n° 84, « Argumentation et langue », 1994

32.

L’antiphonie c’est la mise en opposition des discours. A tout discours correspond un contre-discours.