VIII - Remarques (observations didactiques):

1- Les échos des cours

Au niveau du corpus oral, nous pouvons déceler, dans certains des propos des étudiants enregistrés, des références aux enseignements qui leur ont été prodigués. Ainsi, il nous est permis de savoir quels enseignements perdurent dans la mémoire des apprenants au fil de plusieurs d’années d’études et qui refont surface, d’une manière automatique, au moment d’affronter d’un travail rédactionnel.

Nous proposons, pour rendre compte de ce phénomène, de nous intéresser à l’intégralité des productions orales et donc d’examiner l’ensemble des tours de parole au cours desquels il est possible de repérer le renvoi qui y est fait aux savoirs inculqués. Néanmoins, nous constatons que ces références explicites ne se trouvent pas dans toutes les interactions enregistrées.

Dans une suite, que nous pensons inéluctable, nous nous pencherons sur les relations pouvant exister entre le recours à l’évocation ou au rappel de certaines règles et de certains modèles institutionnels et leur application effective au moment de la mise en texte. Nous avançons l’hypothèse qu’il pourrait y avoir un décalage entre les connaissances déclaratives des étudiants et leurs connaissances procédurales. Ce qui se traduirait, d’un côté, par l’existence de divergences entre ce que les étudiants arborent comme savoirs d’une façon qui est jugée parfois automatique et qui se justifierait par la répétition continuelle de ces savoirs au fil des années d’étude ; et d’un autre côté, par leur intériorisation réelle par les étudiants qui peut être interprétée grâce aux produits écrits qu’ils présentent et qui ne répondent pas toujours à ce que les étudiants eux-mêmes veulent transmettre.

Ainsi, les remarques énoncées par les étudiants concernant différents points relatifs à la rédaction du texte qu’ils sont amenés à produire, sont multiples et diverses. Nous décidons, alors, de faire l’inventaire des tours de parole où il est fait référence à ces savoirs pré-acquis dont les étudiants semblent être imprégnés. Ce faisant, nous tenterons de voir sur quels types d’enseignements les étudiants essayent d’insister dans leur réalisation de la tâche scripturale. Cependant, nous tenons à annoncer que nous nous limiterons à n’étudier que quelques-unes des références en question, en guise d’exemples illustratifs.

  • Groupe 2A :

-M198- (stana : attends) on forme une phrase simple sujet verbe complément

-M228- il faut que je formule la phrase avec un verbe

A travers ces deux tours de parole, nous notons que les remarques formulées par M sont imprégnées du modèle institutionnel. Les enseignants insistent souvent sur la nécessité de formuler des phrases simples se composant d’un sujet, d’un verbe et d’un complément en vue d’éviter les phrases complexes dont l’utilisation représente une difficulté énorme pour certains étudiants. Ces paroles sont énoncées au tout début du passage à la mise en texte et en réponse, nous pouvons le noter, à Y 197.

-Y 197 : on va dire que les jeunes forment une classe sociale très importante c’est pourquoi qu’on qu’on doit s’intéresser à cette classe sociale…

C’est devant cette énonciation confuse de la part de Y que M se retranche derrière les règles ou plutôt les recommandations inculquées par l’institution. Cette volonté de recourir à ce modèle rédactionnel est peut-être aussi un aveu de sa part de son incapacité à formuler et à construire des phrases complexes comme c’est le cas pour Y. Afin d’éviter de commettre des erreurs de construction phrastique, il préfère opter pour la simplification et éviter la subordination excessive des phrases à employer dans le texte.

Nous signalons, par ailleurs, que le recours aux phrases simples est préconisé dans les textes officiels où il est fait référence à l’importance que revêt la maîtrise de l’utilisation des phrases simples. C’est une maîtrise sur laquelle on insiste en première année d’enseignement supérieur (concernant le programme de la grammaire) et qui devance celle de la phrase complexe dont l’évocation n’apparaît qu’en deuxième année du premier cycle universitaire. Cette éternelle insistance sur l’utilisation de la phrase simple comme garante de textes corrects dépourvus de complexité et d’erreurs syntaxiques ou autres, apparaissant dès les premières années d’enseignement et continuant à exister au sein de l’enseignement supérieur, met l’apprenant en confrontation continuelle avec cette nécessité de fuir les difficultés qui pourraient se présenter à lui en utilisant des phrases complexes. Il est, de ce fait, plus enclin, et surtout lorsqu’il se retrouve incapable de fournir des phrases longues et explicites, à employer des phrases courtes avec lesquelles il a moins de risque de commettre des erreurs et il peut aisément énoncer et faire mieux parvenir ses idées à un lecteur potentiel. Nous trouvons une confirmation de nos propos dans les interventions suivantes du groupe 7A :

D-227-il est de préfé (raw : tu sais ) de préférence il faut écrire des phrases simples (fhimt ?: tu as compris   ? ) les phrases simples c'est toujours le moyen le plus

I-228-perspicace

D’autre part, en utilisant certaines modalités logiques ou certaines structures à caractère injonctif comme dans M228 avec l’utilisation de « il faut », ce dernier renseigne sur les contraintes qui régissent tout document scriptural et précisément un texte rédigé qui doit contenir des phrases verbales contrairement au plan, qui lui, est généralement constitué de phrases nominales.

M-228-il faut que je formule la phrase avec un verbe

A travers ce genre d’interventions, les étudiants pointent l’importance du respect de certaines règles scripturales et marquent leur position face au discours énoncé. A maintes reprises, les remarques qu’ils énoncent vis-à-vis de leur propre production mais également en réaction à celle de l’autre, se retrouvent imprégnées par l’enseignement qui leur a été prodigué. Ainsi, dans l’extrait suivant, quand Y appelle M à recourir à l’utilisation du présent plutôt que celle du passé dans son texte, il renvoie aux recommandations des enseignants qui insistent sur ce choix et sur la nécessité de recourir au présent dans ce type d’écrit.

Y-507-n’utilise pas le passé de préférence le présent

Un autre enseignement semble avoir un écho chez bon nombre d’étudiants à savoir la possibilité d’établir une ouverture à la fin de la conclusion qui permettrait d’ouvrir de nouvelles perspectives d’analyse du sujet. Il est vrai qu’un nombre important d’enseignants insiste sur le recours à cette option dans la conclusion bien que les apprenants ne la maîtrisent pas toujours. C’est pourquoi, nous constatons certains refus de recourir à cette pratique conclusive, qui est loin d’être maîtrisée et qui présente pour les scripteurs une difficulté de plus à surmonter dans leur exécution de la tâche rédactionnelle.

  • G 2A :

M-547-(… ?) le monde des jeunes présente beaucoup de particularités et des diversités qu’on n’arrivera pas à limiter eu : h + + + ouverture

  • G 5A :

M-436-il faut ouvrir le débat je pense car euh dans une dissertation (… ?) on doit ouvrir le débat sur euh ou un commentaire je pense

N-437-je ne travaille pas avec l’ouverture de débat je me contente du sujet c’est tout parce que

M-438-ouvrir le débat sur un autre sujet

N-439-c’est traditionnel sais pas ça marche plus c’est ce que je pense

  • G 7 A :

Les avis des étudiants sont, alors, partagés sur l’utilité d’user de cette ouverture d’horizons.

  • G 7A :

-D-108-les jeunes ne contribuent pas au développement de la société comment argument un argument deux je pense qu'il devrait y avoir une (… ?) entre la première et la deuxième partie on peut pas mettre deux arguments dans la première et trois dans la deuxième

-D-376- il faudrait qu'il y ait une équivalence un équilibre entre la première partie et la deuxième partie tu as fait trois arguments alors que (… ?)

  • G 4B :

M-97-d’ accord on va on va prendre deux euh deu:x deux idées par exemple c’est suffisant je crois deux idées parce que on va deux idées on va avoir deux idées deux exemples tu vois ? c’est tout

A travers les deux exemples précités, nous constatons que les étudiants tentent, au cours de leur rédaction collaborative, de reproduire au mieux le schéma argumentatif qu’on leur a toujours inculqué. Ils font, de ce fait, attention à ne pas créer de déséquilibre entre les différentes parties en introduisant un nombre d’arguments dans la thèse qui soit supérieur à celui qu’ils décident de mettre dans l’antithèse. Ils mettent, également, l’accent, sur l’obligation d’accompagner les idées par des exemples. Tout cela réfère à des préceptes qui accompagnent l’apprenant tout au long de son cursus scolaire et qui l’aident à construire ses connaissances tout en le préparant à présenter un travail scriptural satisfaisant, répondant à toutes sortes d’exigences textuelles.

  • G 7B:

K-64-deux verbes qui se suivent le deuxième se met à l’infinitif

A travers ce type de remarques, les étudiants font appel aux règles grammaticales apprises et ce afin de justifier une utilisation déjà faite ou pour rendre compte d’une erreur commise. Le but est alors de rectifier un écart grammatical en rappelant la règle afin de consolider leur propos par des vérités apprises.

L’énonciation par les étudiants de certaines règles suppose une complète maîtrise de celles-ci avec leur application parfaite au moment de la réalisation de la tâche scripturale. Or, nous sommes amenés, au cours des interactions des différents étudiants, à découvrir que bien qu’ils puissent énoncer des règles qui leur ont été enseignées, ils affichent une incapacité à les utiliser à bon escient. Ils sont, dès lors, capables de justifier une action scripturale, un phénomène langagier ou encore une utilisation grammaticale en l’associant à une règle qui est loin de s’y appliquer. Dans l’exemple précédent du groupe 7B, K – et ce dans une intervention réactive déclenchée par la proposition de son interlocuteur – fait mention d’une règle à savoir « deux verbes qui se suivent le deuxième se met à l’infinitif » en ayant comme objectif de corriger l’erreur de son acolyte. Mais, c’est lui qui commet une erreur en faisant intervenir une règle qui ne correspond pas à l’exemple choisi.

W-61-les jeunes restent toujours divisés divisés à la fin s restent toujours s toujours s

K-62-s oui selon leur

W-63-divisés s e accent aigu s

K-64-deux verbes qui se suivent le deuxième se met à l’infinitif

W-65-divisés divisés selon leur utilité

K-66-hmm

Nous supposons à travers ces tours de parole et grâce à l’observation du texte définitif, que W n’est pas d’accord avec les propos de K. Bien que l’inscription définitive de la phrase sujette à ce petit échange confirme que K a gardé son jugement initial sur l’orthographe des verbes utilisés, il ne semble pas pouvoir justifier ce choix. En effet, il se contente de répéter « divisés divisés » et d’inscrire le verbe correctement dans le texte final sans toutefois expliquer à K son erreur et ainsi l’éclairer sur l’irrégularité de l’utilisation de la règle annoncée pour ce genre d’exemple tout en lui présentant le ou les exemples pour lesquels cette même règle serait conforme. L’erreur de K montre qu’il ne maîtrise pas les règles grammaticales et l’absence d’explication de la part de W pourrait être imputée à son manque de maîtrise de ces mêmes règles. Il est vrai qu’il a fait preuve de plus de capacités linguistiques que K, mais il n’en demeure pas moins vrai qu’il est incapable de justifier ces choix.

Ce type de comportement est souvent observable chez les apprenants. En effet, plusieurs d’entre eux peuvent afficher de bonnes compétences linguistiques sans pour autant réussir à expliquer le pourquoi de leurs choix et les raisons qui les incitent, dans un certain contexte, à utiliser telle forme verbale, par exemple, au lieu de telle autre. D’autres, par contre, sont susceptibles d’étaler leurs connaissances sur des règles grammaticales qu’on leur a enseignées sans pour autant savoir les appliquer convenablement au moment d’une quelconque rédaction.

D’autres exemples tirés des différentes interactions enregistrées montrent que les étudiants font souvent des observations vis-à-vis de leurs écrits reproduisant, ainsi, généralement les savoirs acquis tout au long de leur scolarisation. Nous décelons, alors, à partir de quelques remarques formulées, les enseignements qui perdurent au cours de plusieurs années d’études :

  • G 6A :

S-242-on commence par le l’euh le côté le moins important jusqu’à arriver au côté le plus important et le côté culturel à mon avis c’est le plu : s pertinent

  • G 7A :
  • G 4B :

M-22-mais après on va c’est-à-dire on va faire une petite comment dirais-je ? comme une c'est-à-dire qu'on va on va partir /du général vers le particulier

  • G 6B :

Suite à l’observation de cette multitude d’exemples, nous constatons que certains apprenants tiennent, avant certaines phases rédactionnelles, à définir la démarche à suivre en citant les étapes nécessaires à leur réalisation de la tâche. Ce métalangage accompagne continuellement leurs propos et renseigne sur le degré d’influence de la formation sur leur savoir-faire scripturaux. Les comportements scripturaux des apprenants sont, ainsi, régis et orientés par la formation à laquelle ils ont eu droit au cours de plusieurs années d’études. Les commentaires émis par les scripteurs reflètent les enseignements et les recommandations qui leur ont été communiqués tout au long de leur scolarité. Lors de leur exécution d’une tâche précise, certains étudiants précisent ce qu’ils doivent accomplir en renvoyant à certains préceptes qu’ils définissent comme guides orientant au mieux leurs actions rédactionnelles.

Nous précisons bien au cours de ces observations et des interprétations qui en découlent que ce genre de comportement est spécifique à une catégorie d’étudiants et pas à la totalité d’entre eux. En effet, d’autres étudiants affichent, au contraire, des automatismes rédactionnels. Ils ne sont pas enclins à rappeler sans cesse certaines règles scripturales pour pouvoir avancer dans leur rédaction.

Ces deux catégories d’étudiants partagent les mêmes connaissances, ont emmagasiné les mêmes préceptes mais ils se comportent différemment face à la même tâche à résoudre. Nous constatons que les uns mobilisent leurs connaissances et leurs savoirs dans la résolution de la situation-problème qu’ils affrontent sans pour autant les afficher. D’autres, en revanche, ne cessent de préciser les différentes démarches qu’ils « doivent » suivre et ce en récupérant dans leur mémoire à long terme les enseignements susceptibles de contribuer à la réussite de la tâche qui leur est présentée en essayant de les oraliser. Cette méthode à laquelle certains apprenants ont recours pourrait refléter une absence manifeste d’automatismes rédactionnels. Ces étudiants sont vraisemblablement incapables d’avancer dans leur travail rédactionnel sans mentionner ouvertement ce qu’ils vont produire. Nous pouvons supposer que c’est une manière de s’assurer de la bonne démarche adoptée en essayant de faire correspondre leurs actions rédactionnelles avec les différents savoirs qu’ils ont intériorisés. Toutefois, nous remarquons qu’il n’y a pas souvent une appropriation de ces savoirs par ces étudiants. Ces derniers tentent d’appliquer des savoirs acquis mais nous avons l’impression que nous assistons plutôt à une absorption d’informations et de connaissances de la part des scripteurs dont ils ont du mal à se servir, notamment au cours de la situation actuelle mise en place, afin de répondre à des exigences rédactionnelles précises. Quand bien même ces étudiants bénéficieraient de certaines connaissances, ils sont parfois dans l’incapacité de les employer à bon escient.

Le rappel de certains modèles scripturaux semble aider certains groupes d’étudiants à affronter quelques difficultés rédactionnelles ou tout simplement faciliter l’orientation de leur travail et les aider à mieux cibler leurs objectifs rédactionnels contrairement à d’autres qui n’ont aucunement besoin d’énoncer les modèles à suivre afin de pouvoir avancer dans leur travail puisqu’ils les ont automatisés. Le travail de la première cohorte d’étudiants est imprégné des différents modèles enseignés auxquels ils tentent de se conformer. Il est vrai qu’ils ont sans cesse – et cela apparaît à travers l’insistance qu’ils affichent quant à la nécessité de reproduire certains modèles rédactionnels – la crainte de ne pas répondre aux exigences institutionnelles concernant l’élaboration des productions écrites. C’est pourquoi, les rappels continus énoncés, et ce tout au long de l’interaction, prouvent que les apprenants cherchent à être fidèles autant que faire se peut aux enseignements inculqués. Malgré cela, ces derniers ne réussissent pas toujours, et ce malgré une prise de conscience des méthodes à suivre, à présenter un produit écrit optimal et peuvent même produire des textes très en deçà de ce que leur métalangage et leur étalage des différents savoirs laissent prévoir.

Ainsi, on peut connaître une langue et maîtriser ses règles et ses moyens d’analyse sans pour autant utiliser ses mécanismes à bon escient pour s’exprimer. D’autre part, la maîtrise d’une langue parlée ou écrite ne signifie pas ipso facto que l’on sache l’étudier en tant qu’objet d’analyse. En effet, connaître le fonctionnement d’un système langagier n’est pas prédicteur de sa maîtrise optimale à l’oral et à l’écrit et vice-versa.