3- La fossilisation de l’apprentissage

« Quand l’erreur est fréquente, cela signifie qu’un apprentissage est à faire ou à refaire » (Plane S 1994).

Tout d’abord, nous tenons à indiquer que grâce aux notes des cours de certains étudiants (que nous avons eu la possibilité de consulter), nous avons remarqué que ces derniers avaient recours à la traduction pour expliciter certains termes. Sous l’inscription du mot en français, nous apercevons sa traduction en arabe. Certains étudiants cherchent également l’équivalent en arabe de certaines fonctions grammaticales afin de mieux se les approprier comme c’est le cas par exemple du complément d’objet interne qui est suivi par sa définition avec un exemple à l’appui et auquel l’étudiant adjoint l’inscription en arabe de son équivalent à savoir (el maful el motlaq) ainsi qu’un exemple l’illustrant. L’étudiant se munit alors de la langue arabe pour comprendre et saisir le sens de la langue cible. Il tente, ainsi, de faire correspondre aux savoirs véhiculés par la langue cible des savoirs qu’il a intériorisés en arabe en ayant pour objectif la simplification de son apprentissage.

Ce qui a également attiré notre attention lors de la lecture des notes de cours ce sont les erreurs qu’elles comportent. Prenons comme aperçus la notification erronée des exemples fournis par l’enseignant comme des moyens d’explication : « la varité est ce que vous avez compris » ou l’écriture des mots tels qu’ils sont prononcés sans aucun égard pour leur orthographe : (dirivation ; Manille la capitale des phulipines). Ces dysfonctionnements langagiers pourraient être conséquents à l’incompétence linguistique de certains étudiants, à leur manque d’application (et nous parlons alors de fautes d’inattention et non pas d’erreurs), ou encore à une prononciation défectueuse des termes de la part de l’enseignant ou de la part de l’apprenant lui-même (la prononciation de certaines lettres par les apprenants pourrait être liée à leur appartenance régionale) qui, bien qu’il reçoive correctement l’information, la transcrit erronément à cause de certaines confusions vocaliques structurelles (interférences avec l’arabe) pour les sons [i], [y] et [e].

Les cours sont dispensés aux étudiants et le savoir leur est transmis et c’est alors que ces derniers tentent des suivre le modèle institutionnel et de se conformer aux normes, mais présentent parfois des difficultés à s’approprier certains savoirs ou se les approprient mal. Dès lors, ils ne sont plus à l’abri non seulement de commettre des erreurs mais également de les perpétuer.

Ces apprenants donnent l’impression d’être incapables de progresser dans leur appropriation de la langue française et de faire évoluer leurs compétences ainsi que leurs performances. Tout au long de son processus d’apprentissage, l’apprenant est amené à construire son savoir et est, de ce fait, supposé améliorer sans cesse ses pratiques langagières. Cependant, il est possible de noter sa résistance à intérioriser divers enseignements. Il existe donc des blocages qui stoppent la progression des étudiants comme malgré eux.

A travers l’observation de quelques productions écrites et orales de certains binômes, nous constatons que ces derniers ont tendance à commettre des erreurs qu’ils ne sont pas censés faire. Ce sont des étudiants littéraires qui, comme nous l’avons précisé auparavant, ont étudié le français pendant onze années consécutives (depuis le primaire jusqu’à la dernière année du secondaire). De surcroît, ces étudiants sont inscrits à l’université en première année de français et sont, de ce fait, appelés– plus que d’autres – à maîtriser une langue qu’ils seront amenés à enseigner.

Nous tenons à préciser que nous ne prétendons nullement exiger de ces étudiants une maîtrise parfaite de la langue française (une langue seconde qui se présente à eux dans un contexte assez particulier et complexe dont nous avons plus explicitement parlé au début de ce travail), mais nous tenons simplement à pointer l’importance d’une prise en compte de ce phénomène de fossilisation des erreurs dont ils souffrent. « Le terme de fossilisation fait ici référence au phénomène de la permanence, chez un apprenant, dans l’état de développement de sa L2, de formes déviantes ou erronées, qui continuent de se produire en dépit de la poursuite d’une exposition à la L2, d’une pratique systématique, ou encore, des explications d’un enseignant. La fossilisation linguistique ne signifie pas la cessation de l’apprentissage mais bien la stabilisation de formes linguistiques erronées ». (Gass et Selinker, 1994) 36 .

Il importe de chercher à savoir comment se manifeste cette fossilisation ou cette stagnation des erreurs qui apparaît chez certains apprenants. Suite à l’analyse que nous avons effectué des différents corpus en notre possession, nous nous sommes rendus compte que certains binômes rencontrent, encore, des difficultés au niveau de l’écrit. Ce qui a surtout attiré notre attention, c’est que certains d’entre eux continuent à se tromper, par exemple, dans l’accord en genre des mots, ce qui nous semble être assez problématique vu le niveau d’études atteint par ces apprenants.

Ce que nous pouvons dire c’est que le savoir n’est toujours pas intériorisé au bout de nombreuses années d’étude et nous pourrions être amenés à nous demander si la cause ne serait pas relative à un échec pédagogique et à une sous-efficacité des cours bien que cela puisse également être dû aux représentations (qu’elles soient positives ou négatives) que l’apprenant se fait de ce qu’il apprend et au degré de motivation qu’il affiche face à l’apprentissage de la langue française. En effet, l’affect tient une place importante dans le processus d’apprentissage d’une langue. Chaque apprenant aborde l’apprentissage d’une langue d’une façon personnelle et particulière. C’est vraisemblablement ce rapport spécifique avec la langue qui influe inéluctablement sur son apprentissage.

En effet, si certaines erreurs semblent persister chez les apprenants malgré les enseignements dispensés, ce n’est sûrement pas uniquement à cause de raisons internes (liées à l’institution) qui se traduisent par une déficience au niveau de la transmission des savoirs. Cela peut être imputé, également à des raisons externes (socio-culturelles, géographiques et affectives) qui influencent inévitablement le rapport de l’apprenant avec la langue cible et qui ont, de ce fait, une incidence sur son apprentissage de cette langue. Quand nous parlons d’erreurs c’est certainement par rapport à une norme précise.

Il est indéniable que si les étudiants, au cours de leur rédaction conversationnelle, n’identifient pas certaines erreurs qu’ils commettent (et nous avons rencontré ce phénomène chez les étudiants enregistrés et ce à plusieurs reprises), ils auront tendance à reproduire ces mêmes erreurs indéfiniment tant qu’ils ne se seront pas rendus compte de l’existence de dysfonctionnements.

Notes
36.

In Germain Claude & Séguin Hubert. (1998). Le point sur la grammaire. CLE international