Perspectives didactiques :

Mais avant ceci il est sans doute nécessaire d’agir sur la motivation des étudiants de français en leur (re) donnant envie d’apprendre (encore) le français mais également en leur (re) donnant confiance en eux-mêmes face au français.

En effet, le rapport à la langue que peut avoir tout apprenant va de l’attraction à la répulsion. Cette variante affective est déterminante dans l’acquisition d’un savoir quel qu’il soit. Mais plus encore dans la maîtrise d’une langue qui est autant un savoir-être qu’un savoir. Ce rapport à la langue française est bien sûr en premier lieu influencé par l’environnement sociolinguistique et familial dans lequel évoluent les apprenants et que nous ne pouvons pas changer. Par contre nous devons intervenir sur leur environnement en tant qu’étudiants de français, sur leur environnement universitaire. La mise à disposition de biens culturels en français (bibliothèque, médiathèque), l’organisation d’activités culturelles en français dans le cadre des départements de langue seraient une première manière d’améliorer quantitativement et qualitativement leur familiarité avec la culture française. On peut bien sûr aussi penser – même si c’est moins réaliste – à faciliter leurs séjours en France et à organiser des rencontres entre étudiants français, étudiants francophones et étudiants tunisiens afin qu’ils bénéficient d’un tel brassage linguistique et culturel.

Il nous semblait nécessaire de rappeler que la solution aux problèmes de maîtrise de la langue ne dépend donc pas uniquement de la manière d’enseigner cette langue. Cependant il s’agit aussi, pour les enseignants de français que nous sommes d’un problème didactique

De ce point de vue, nous voudrions proposer plusieurs réflexions portant tant sur les programmes de français que sur l’enseignement de la grammaire française ou sur celui plus spécifique de l’écriture en français.

Tout d’abord relevons que l’évolution sociolinguistique que nous avons évoquée ci-dessus pèse aussi sur l’organisation d’un enseignement universitaire du français qui peine à la suivre. Les concepteurs de programmes tentent de prendre en compte cette mobilité et des remaniements à répétition finissent par ébranler les repères professionnels des formateurs, qui ne se reconnaissent ni dans ces nouveaux programmes ni d’ailleurs dans ces « nouveaux » étudiants qui se présentent devant eux !

Mais le problème inverse d’un certain enlisement dans une tradition didactique vieillissante peut se poser en particulier pour les étudiants de première année auxquels nous nous intéressons. Souvent en effet en arrivant à l’Université ils retrouvent les mêmes enseignements de grammaire et les mêmes méthodes d’enseignement qu’ils pensaient avec soulagement avoir quitté en quittant le secondaire. La réforme des programmes qui a visé à faciliter une entrée progressive des étudiants dans les programmes universitaires peut ainsi avoir « secondarisé » les premières années de l’enseignement supérieur, par les disciplines abordées comme par le personnel enseignant qui y est souvent détaché lui-même du secondaire.

Cette absence de rupture qualitative peut engendrer un manque de motivation chez des étudiants qui – au mieux – espéraient « autre chose ». Pour raviver cet intérêt et capter leur intérêt, une réflexion didactique est nécessaire. Paradoxalement elle doit à la fois renouveler l’enseignement de la langue française et le stabiliser (cf. ci-dessus) en lui donnant un vrai statut universitaire.

Ceci ne plaide pas forcément pour une augmentation du principe de l’ambition académique de ces programmes. Nous remarquons en fait que les capacités linguistiques des étudiants actuels sont souvent en deçà de ce qu’exigent les programmes actuels. De fait, les attentes du système éducatif, véhiculées à travers les documents officiels, sont inadaptées aux compétences réelles des apprenants. Améliorer les méthodes d’enseignement, c’est d’abord prendre en compte les compétences réelles des apprenants telles que notre étude par exemple les laisse percevoir. Au delà de cette étude, très modeste et forcément très partielle, il est donc primordial de continuer à détecter par d’autres recherches les difficultés des apprenants face à d’autres apprentissages précis.

Si nous envisageons maintenant quelques pistes de remédiation, nous ne pouvons que souscrire au principe proposé par Jean-Pierre Cuq et Ambroise Quéffelec (2005) quand ilsdéclarent :

‘« Dans une logique interventionniste, nous sommes partisans pour ce qui concerne le FLE et le FLS, non pas d’un enseignement de la grammaire (savoir préfabriqué par les maîtres et les livres) mais d’un enseignement grammaticalisé (guidage par l’enseignant d’une activité heuristique de l’apprenant portant sur la forme) qui permet d’optimiser le temps de la classe, de miser sur l’impact acquisitionnel de la conceptualisation, de lutter contre la fossilisation des erreurs et de développer les capacités argumentatives. ».’

L’apprenant n’est plus alors un simple réceptacle d’un savoir quelconque, mais contribue, sous le contrôle avisé de l’enseignant, à construire son propre savoir.

C’est dans ce cadre que nous situons le manuel de J. Huet, J. Bacha et D. Leeman (avec la collaboration de A. Brahim) (1998) sur lequel nous basons notre étude empirique. Ce manuel nous semble présenter une façon fort intéressante d’aborder le savoir grammatical, du fait de la méthode utilisée par ses auteurs comme des principes sur lesquels il s’érige. Il devrait pouvoir aider les étudiants à faire face à leurs lacunes langagières en les impliquant de plus en plus dans l’apprentissage visé 37 .

Nous pensons qu’il reste utile de faire pratiquer les méthodes préconisées par les auteurs de ce manuel novateur au sein du plus grand nombre d’institutions universitaires possibles en raison de l’impact positif que cela devrait avoir sur le niveau des étudiants en première année d’enseignement supérieur. Il permettrait aux étudiants de se projeter vers une nouvelle façon d’appréhender l’enseignement de la grammaire en particulier et l’enseignement de la langue en général.

Mais au delà de l’enseignement du système et de la norme de la langue, il est important de faire maîtriser des tâches (cf. Py « L’apprenant et son territoire : système, norme et tâche »1993).

Dans l’apprentissage de la production écrite, il convient ainsi d’insister sur la nécessité de consolider les compétences procédurales des étudiants. Pour ce faire, il nous semble important de recourir aux opérations de réécriture et de relecture des textes produits (ou plutôt toujours en cours de production) en vue d’une ou de plusieurs révision(s). En effet, rares sont les étudiants qui reviennent spontanément sur leur texte pour une relecture/révision. Des révisions parcellaires et souvent sporadiques sont effectuées avec plus ou moins d’attention.

Les observations que nous avons faites sur les différents processus de textes mis en œuvre par les groupes d’étudiants enregistrés, montrent le recours de certains d’entre eux à la réécriture et ce à travers des opérations d’ajout, de suppression, de déplacement ou de remplacement. Néanmoins, nous ne pouvons nous empêcher de penser que ces opérations effectuées sont rarement prises en compte et accomplies délibérément par les scripteurs. Ces derniers ne s’interrogent que très rarement sur ce genre d’actes qu’ils exécutent plus ou moins machinalement tels des automatismes qui ne sollicitent pas de réflexion spécifique de leur part. Nous pensons, toutefois, qu’une prise de conscience de l’utilité de ce type d’opérations par rapport à l’amélioration/régulation du texte est primordiale pour une véritable maîtrise de l’écriture.

Le rôle de l’enseignant serait d’apprendre à ses élèves comment pratiquer des révisions, reprendre leur brouillon et, de là, réécrire leur texte en prenant conscience de l’utilité de ses différentes manœuvres rédactionnelles. Ces reconsidérations multiples du texte amènent les scripteurs à repenser leurs choix scripturaux et à s’interroger sur la qualité de leur produit écrit. Une fois cette prise de conscience établie, les apprenants s’appliqueront davantage à relire et à réviser leur texte en vue d’une réécriture méliorative de leur produit.

En insistant sur ces procédures de (ré)écriture, l’enseignant vise, de fait, à modifier le rapport qu’a l’apprenant avec l’écriture. Par la mise en pratique de ces exercices (ayant pour objectif d’apprendre à faire face aux difficultés précédemment traitées), l’apprenant est encouragé à changer les représentations qu’il se fait de son texte et du texte écrit en général.

L’enseignant amène alors l’élève à savoir reconnaître ses erreurs et, par la suite, à tenter de les corriger. L’étape la plus importante dans tout ce processus est celle de l’identification de l’erreur qui suit une relecture/révision du produit écrit et qui permet, ce faisant, au scripteur de tenter de trouver une solution à la situation-problème repérée.

Mais écrire c’est aussi maîtriser simultanément différentes opérations scripturales complexes. Pour aider les étudiants dans la maîtrise de cette compétence, il serait intéressant de recourir à un apprentissage « fractionné ». Cette segmentation du savoir-faire leur ferait découvrir crescendo plusieurs contraintes scripturales qu’ils apprendront à isoler et à gérer séparément puis globalement au fur et à mesure d’un apprentissage toujours continué de l’écrit.

Enfin notre étude du processus de production écrite à travers une écriture collaborative nous amène à penser que ce dispositif n’est pas uniquement un dispositif de recherche mais pourrait être aussi un processus d’apprentissage. Il nous semble intéressant de proposer des situations de rédaction collaborative à nos étudiants de première année de français. Les conflits socio-cognitifs susceptibles de naître de la collaboration-affrontement entre les étudiants ne peuvent qu’être bénéfiques au travail rédactionnel. A travers cette confrontation des savoirs et des savoir-faire, chacun d’eux est amené à objectiver ses propres pratiques et représentations à travers les remarques de son partenaire : l’étudiant prend ainsi conscience de ses carences et de ses capacités en prenant conscience différentiellement des carences et des capacités de l’autre. Cela lui permet de cerner ses propres difficultés scripturales et le pousse à y remédier en lui fournissant pour une part au moins des solutions. En outre, « …le recours à des groupes asymétriques ou à un bas niveau de connivence motive naturellement un discours plus explicite et présente, en principe, des conditions plus favorables à l’acquisition » (in Bouchard R, Billiez J, Colletta J.M, De Nucheze V & Millet A. 1992). Au seul et hypothétique auto-contrôle s’ajoute un hétéro-contôle effectif qui optimise les chances des scripteurs de réussir à produire un texte de « bonne qualité ».

Enfin, nous pensons également qu’il serait nécessaire de former les enseignants de l’enseignement supérieur au guidage des étudiants dans cette réflexion sur leurs propres opérations d’écriture. S’il existe une formation dispensée aux enseignants de collèges ou de lycées concernant plusieurs facettes de l’enseignement/apprentissage des langues, nous estimons qu’une formation didactique des professeurs d’université serait bénéfique aussi bien pour les étudiants que pour les enseignants eux-mêmes, chargés de leur faire transmettre un savoir mais surtout un savoir-faire.

Après avoir abordé dans cette conclusion des problèmes de didactique d’intervention portant sur l’enseignement de la langue et de l’écriture notre dernière remarque portera sur la recherche didactique elle-même sur la maîtrise progressive de l’écrit en langue étrangère ou seconde.

En prenant en considération les limites que pourrait présenter notre travail empirique, il nous semble qu’il serait intéressant dans le cadre d’une étude ultérieure, de concevoir une recherche basée cette fois-ci sur une étude longitudinale de corpus d’étudiants. L’intérêt étant de pouvoir suivre l’évolution - dans le domaine de la production écrite en FLS - des étudiants tunisiens d’une année universitaire à une autre. Cela aurait pour avantage de nous renseigner sur les progressions et/ou les régressions que pourraient connaître ces apprenants au fil de leur parcours universitaire et des programmes successifs qui leur sont proposés. D’autre part, en enregistrant un plus grand nombre d’interactions entre étudiants, nous pourrons tenter de manière moins hasardeuse de généraliser nos résultats et conclusions les concernant.

Notes
37.

Ajoutons que nous n’avons pas pu déterminer si cet ouvrage – de 1998 – a été ou est effectivement utilisé dans les universités tunisiennes auxquelles il était expressément destiné.