Conclusion générale:

Notre recherche nous a permis, au fil des observations faites sur les corpus étudiés, de dévoiler le déséquilibre existant entre d’un côté, les résultats réels de l’investissement didactique effectué et de l’autre côté, les expectatives du système éducatif tunisien quant aux compétences linguistiques et scripturales dont devraient faire preuve les apprenants, surtout à ce niveau d’études (1ère année d’enseignement supérieur) qui suppose une maîtrise plus ou moins exemplaire de ces capacités. C’est l’étude des performances des étudiants confrontés à la résolution d’une situation-problème précise qui nous a permis de faire transparaître leur degré d’appropriation des enseignements qui leur ont été proposés, leurs carences linguistiques ainsi que plusieurs problèmes rédactionnels adjacents. Notre regard s’est focalisé ainsi, tout au long de notre travail de recherche, sur les mises en pratique effectives des savoirs inculqués par les apprenants tunisiens.

Cette recherche centrée sur l’étude du produit écrit élaboré par les apprenants a pris également en considération le processus oral de production qui gère le travail scriptural collectif. Il renseigne sur les mécanismes mentaux mis en œuvre pour la réalisation de la tâche scripturale, ainsi que sur la maîtrise orale du français des étudiants.

Nous nous sommes d’abord intéressée à la situation langagière du pays afin de cerner le rapport que peut avoir le jeune tunisien aussi bien avec la langue française, dont il est appelé à maîtriser toutes les composantes, qu’avec l’écrit qui se place au cœur de notre problématique. Cette étude sociolinguistique a permis de rendre compte de la place qu’occupe la langue française au sein de la société tunisienne et du rôle qu’elle y joue. Cette situation linguistique est complexe puisqu’elle se caractérise par un bilinguisme arabe/français voire un plurilinguisme manifeste associé à une réalité diglossique (arabe littéral/arabe dialectal) qui contribue à complexifier encore plus l’univers linguistique tunisien. Cette coexistence de différentes formes de la langue arabe adjointes à des langues étrangères (tel l’anglais qui gagne du terrain ces dernières années) et à une langue française considérée comme une langue étrangère privilégiée et -de plus en plus- comme langue seconde, contribue à nourrir une insécurité linguistique chez certains apprenants. En effet, la richesse linguistique au sein du pays a pour corollaire le savoir-faire précaire d’étudiants en proie à des incertitudes linguistiques.

En conséquence, le paysage pédagogique tunisien se caractérise par une précocité de l’enseignement du français qui apparaît dès la troisième année du primaire, année à partir de laquelle la langue française commence à coexister avec la langue arabe. L’apprenant tunisien est, de ce fait, confronté dès les premières années d’enseignement à un apprentissage simultané de deux langues différentes. Comme le fait remarquer Mohamed Miled (2005), « l’arabe et le français, ne sont pas des langues voisines, ni des langues de la même origine ; ils présentent aussi des systèmes linguistiques fort éloignés l’un de l’autre, à commencer par l’écriture de droite à gauche dans le cas de l’arabe. Leurs fonctions institutionnelles ou éducatives sont complémentaires mais quelquefois conflictuelles ». En conséquence, l’apprenant tunisien fait montre d’une « bilittératie » fragile qui est le résultat de cet apprentissage concomitant des deux langues citées en amont.

Si la population tunisienne compte de plus en plus de personnes parlant le français, cette évolution quantitative ne s’accompagne pas qualitativement d’une amélioration des compétences en langue française. Ceci est imputable, comme le signale Samir Marzouki (2006) 38 , à la démocratisation de l’enseignement et à la scolarisation bilingue au sein du pays. Ce qui étaye nos précédents propos.

Par ailleurs, nous ne pouvions passer sous silence le constat d’une hétérogénéité régionale, sociale et interindividuelle existant au sein de l’environnement scolaire qui se présente telle une micro-société où les différences des uns et des autres sont appelées à co-exister. Ces disparités sont aussi bien géographiques (avec une exposition à la langue française qui diffère d’une région à une autre), socio-culturelles (les apprenants affichent un rapport différent avec le français selon qu’ils appartiennent ou non à une catégorie sociale aisée), que relevant de l’affect (ou les représentations que se fait l’apprenant tunisien de la langue française et les sentiments d’attirance/répulsion qu’elle peut susciter en lui). Ces multiples variables font que la relation que peut entretenir l’étudiant tunisien avec le français est loin d’être triviale.

Ajoutons que la présence et la disponibilité – matérielle et économique – de l’écrit en français est bien sûr très sensible à la variation sociolinguistique que nous venons d’évoquer . Cette variation a pour conséquence que certains étudiants sont de fait exposés à très peu d’écrit en français en dehors de l’école puis de l’université.

Dans ce contexte, notre travail visait à rendre compte des capacités rédactionnelles des étudiants (de la Faculté des Lettres de la Manouba et de l’Institut Supérieur des Langues de Tunis ou ISLT), mais aussi à déceler les carences et les besoins qu’ils ont en langue française. Nous ne visions pas à comparer les deux institutions mais à déceler autant les ressemblances que les différences existant entre ces deux publics d’étudiants afin de repérer la diversité éventuelle des besoins langagiers des uns et des autres.

Plus nous avons avancé dans notre analyse, plus nous avons été à même de valider, ou au contraire, de rejeter les hypothèses énoncées en amont. Le fait de déclarer que le problème des étudiants réside essentiellement au niveau de leur mobilisation du savoir laissait entendre que les plus grandes difficultés se situaient au niveau du savoir-faire des apprenants. Ce ne sont certainement pas les aspects théoriques et intellectuels de l’apprentissage qui sont alors remis en cause, mais plutôt la manifestation pratique de cet apprentissage. Cet état de fait nous amène à attester de l’existence de compétences chez des apprenants tunisiens dont les performances demeurent, malencontreusement, assez confuses. Cependant il est nécessaire d’insister également sur l’existence de déficiences linguistiques patentes chez certains apprenants en dépit du cursus scolaire suivi.

Les erreurs observées résident dans une mauvaise gestion des différentes opérations scripturales et pas seulement dans un maniement erroné de la langue. Le problème des étudiants c’est qu’ayant à affronter une situation-problème comme celle que nous leur avons présentée, ils ont été amenés à mobiliser plusieurs compétences et à gérer un nombre important de contraintes scripturales diversifiées. Pour réussir un produit écrit, plusieurs paramètres doivent être satisfaits et les bons scripteurs savent réunir aussi bien des compétences linguistiques, discursives que procédurales. Toutefois, le fait est que certains étudiants se trouvent impuissants face à tant de responsabilités et qu’ils ont des difficultés à concilier les diverses capacités scripturales exigées, pour lesquelles ils manifestent des habiletés différentes. Plusieurs d’entre eux négligent certaines sous-tâches scripturales en faveur d’autres. Ils focalisent leur attention sur une sous-tâche qu’ils jugent plus importante au détriment d’une autre qu’ils décident de reléguer au second plan en ne lui octroyant pas ou peu d’attention (comme c’est le cas pour les étapes préliminaires à savoir le plan et le brouillon). Cette attitude ne peut qu’avoir des répercussions négatives sur le texte produit. Il est indéniable qu’il existe des activités scripturales qui exigent plus de réflexion et d’application de la part des étudiants et auxquelles ces derniers doivent allouer plus de ressources cognitives qu’à d’autres, mais il est primordial qu’ils consacrent un certain temps à chacune d’elles, et ce dans le but d’éviter de nuire à l’équilibre du texte qui est automatiquement affaibli par ce type de comportement scriptural partiel et partial.

En outre, nous pensons qu’il est important de nous interroger sur la nature de l’échec que connaît l’apprenant tunisien. Correspond-t-il davantage à un échec pédagogique ou s’identifierait-il plutôt à un échec scolaire ? Bald J (1994) différencie l’échec scolaire de l’échec pédagogique en les définissant comme suit : « Si un élève ne veut rien faire, il entre dans le premier cas. S’il travaille sans rien ou presque rien apprendre, il entre dans le second ». Force est de constater, alors, que l’échec est loin d’avoir toujours des origines sociolinguistiques ou affectives. Il semble que, dans une grande majorité des cas, il soit d’origine pédagogique puisque les apprenants s’approprient mal certains enseignements ou trouvent des difficultés à les investir au cours de la résolution d’une situation-problème particulière. C’est pourquoi, des interrogations sur le type de formation prodiguée à l’apprenant tunisien nous ont semblé essentielles à formuler.

Notes
38.

Marzouki Samir. (2006). In Le français dans le monde arabe n° 343, Janvier-Février