Introduction générale

« Les associations ont été globalement entendues par des candidats à l’unisson pour placer la lutte contre les exclusions au cœur des problèmes à venir » 1 .

La thématique de l’exclusion occupe l’espace public et revient de manière récurrente dans les discours des décideurs politiques depuis l’élection présidentielle de 1995. Cette « question sociale est [aussi] une question politique » 2 dans la mesure où elle met en lumière le double rôle que les groupes 3 de défense de la cause des plus démunis ont joué tant dans l’émergence de celle-ci dans l’espace public que lors du processus de construction de la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998. Ces groupes de cause ont joué tout à la fois les rôles de médiateurs et de groupes de pression : « Nous [ATD Quart-Monde] et d’autres [tous les groupes de défense de la cause des plus démunis] – avec bien sûr les pauvres - sommes à l’origine de cette démarche [l’adoption de la loi contre les exclusions] » 4 .

Les propos tenus par Lucien Duquesne, porte-parole de l’organisation ATD Quart-Monde, ont été confirmés par la Ministre Martine Aubry, puisque celle-ci affirme que cette loi est «  d’abord l’aboutissement d’un travail formidable qui a été fait par les associations » 5 . En s’exprimant ainsi, la ministre reconnaît, de manière non équivoque, le rôle essentiel joué par les organisations de lutte contre les exclusions. Cette déclaration indique qu’il y aurait bien eu une réelle interaction entre les représentants de différents ministères et les Parlementaires impliqués dans le processus d’élaboration de la loi d’un côté et, de l’autre, les responsables des groupes de défense de la cause des plus démunis puisqu’a priori, « l’objectif affiché [des groupes de cause] est de procurer, ou au moins favoriser, certains changements dans l’état de la société ou les pratiques des membres du corps social » 6 de manière à permettre une réelle insertion ou réinsertion sociétale des « exclus ». La fluidité relationnelle qui caractériserait ces deux groupes d’acteurs soulève alors une interrogation sur la posture que les institutions étatiques adoptent à l’égard des organisations de défense de la cause des plus démunis tout au long de la phase de construction du problème « exclusion sociale », puis de la loi.

Depuis l’élection présidentielle de 1995, la lutte contre les exclusions est en effet un enjeu politique majeur pour tous les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, et pour les leaders de groupes de défense de la cause des plus démunis qui se réunissent au sein des collectifs Alerte, CPE puis GTI. La création des collectifs Alerte en 1985, Contre la Précarisation et l’Exclusion en 1995puis le Groupe de travail et d’échange inter-associatif sur le projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions  en 1998 sont des « espaces » de rencontres et de construction d’une dynamique unitaire de défense des groupes de cause caritatifs, humanitaires et culturels. La mise en place de ces collectifs semble directement liée à la recrudescence de la pauvreté, du chômage et de la détresse sociale. Le collectifs Alerte est composé de groupes de cause issus pour l’essentiel de la Commission Lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Quant au collectif CPE puis GTI, ils sont composés, pour partie, de groupes de cause « transfuges » d’Alerte et de groupes de cause radicaux. Tous luttent contre le phénomène d’exclusion sociale.

L’exclusion a une dimension « politique » et sociétale. Cette problématique représente un enjeu académique en termes « d’analyse des politiques publiques ». Ainsi, les pouvoirs publics la déclinent sous la forme d’un programme gouvernemental et d’une loi d’orientation. Mais dans quel cadre les gouvernements et le Parlement articulent-ils, au cours du processus d’élaboration de la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, leurs relations avec les leaders de groupes de défense de la cause des plus démunis ? Par cette interrogation, nous souhaitons indiquer que notre démarche consiste à analyser la manière dont les pouvoirs publics et les groupes de défense de la cause des plus démunis produisent l’acte législatif qui a pour objet d’agir sur la vie des « exclus ».

Notes
1.

François Ernenwein et Robert Migliorini,« Chirac, Jospin, Balladur en force contre l’exclusion », La Croix, 29 mars 1995.

2.

Jacques Commaille, Les nouveaux enjeux de la question sociale, Hachette Littérature, 1997, p. 11.

3.

Nous préférons utiliser le terme « groupe » pour indiquer que les personnes qui animent et dirigent ces organisations sociales partagent « un lien commun, un intérêt commun : [ la défense de la cause des plus démunis. Aussi, ] l’essence d’un groupe social serait donc d’être un tout fondé sur un intérêt commun et sur l’interaction de ses membres ». Source : Jean et Monica Charlot, « Les groupes politiques dans leur environnement » tiré de Traité de Science politique, L’action politique, Madeleine Grawitz, vol. 3, PUF, 1985, p. 431.

4.

Pierre Agudo, « La loi intervient après des années de lutte pour faire de l’action contre la pauvreté une priorité nationale », L’Humanité , 5 mars 1998,propos recueillis par Pierre Agudo.p. 5. Cette affirmation a été faite par Lucien Duquesne, membre du bureau national de l’organisation ATD Quart-monde.

5.

Clarisse Fabre,« Le vote du projet de loi contre les exclusions met en évidence les divisions de l’opposition », Le Monde, 22 mai 1998, p. 7.

6.

Antoine Jemmaud, « Evaluer le droit », Recueil Dalloz, 1992, chroniques, p. 264.