C/ « L’exclusion », un champ fragmenté mais uni par un même objet : la défense de la cause des « exclus »

L’identification des groupes de cause, membres des collectifs Alerte et CPE, permet-t-elle d’établir une typologie des organisations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ? Autrement dit, tous les groupes de cause présentent-ils les mêmes caractéristiques ? Le collectif Alerte est composé de trente et un groupes de défense de la cause des plus démunis 162 . Les activités des membres du collectif Alerte sont variées : l’accueil, les soins, le soutien de personnes se trouvant confrontées temporairement ou durablement à des difficultés de vie. Ce collectif est composé de groupes de cause dont l’activité a trait au social, à la santé et à l’action humanitaire.

Sur la trentaine d'organisations de lutte contre les exclusions labellisée Grande cause nationale en 1994 par le Premier ministre Edouard Balladur, dix ont été créées avant ou en 1945 163 , vingt cinq après cette date 164 . Dix sont des Fédérations 165 et vingt et une sont des organisations simples 166 . Elles peuvent être classifiées selon différents critères : anciennes ou nouvelles, généralistes ou spécialisées, connues ou peu connues, gérant un ou plusieurs établissements ou pas du tout, organisations simples ou fédérations, locale ou nationale, humanitaires, sociales ou caritatives. Elles sont toutes dans l’action et agissent pour les plus démunis. 

La classification rigoureuse de ces organisations de lutte contre les exclusions sociales n’est, a priori, pas possible à établir, car une même organisation peut revêtir plusieurs caractéristiques à la fois. Elle peut être ancienne, gérer plusieurs établissements, être fédérale. Ainsi, un groupe peut répondre simultanément à plusieurs critères d’identification. La classification que nous établissons n’est donc pas « inamovible ». Elle est susceptible de modifications puisqu’une organisation de lutte contre les exclusions sociales peut répondre à plusieurs critères à la fois. Elle peut être de nature sociale, caritative et humanitaire, ce qui est justement le cas du Secours populaire français.

Une première classification qui nous apparaît appropriée repose sur les principales fonctions revendiquées par ces groupes de cause : caritative 167 , sociale 168 et humanitaire 169 . Ainsi, des groupes de cause qui composent le collectif « Alerte » sont avant tout généralistes et caritatifs. Ces organisations visent pour la plupart des publics aussi divers que variés. En fait, ils s’adressent à plusieurs publics « d’exclus » à la fois. Tel est également le cas du Secours populaire et du Secours catholique dont les actions concernent aussi bien l’éducation, la formation, le logement, la santé etc. Ils ne visent pas ainsi une catégorie de pauvres bien identifiés ou un domaine particulier de l’exclusion.

Quant aux organisations sociales qui sont membres du collectif  CPE, elles sont de nature assez différente. En dehors de quelques groupes de cause réformistes issus du collectif « Alerte » tels Médecins du Monde, la Fédération Nationale des Associations de Réinsertion Sociale, ATD Quart Monde, la Fédération des Comités et Organismes d’Aide aux chômeurs par l’Emploi, la Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés et Emmaüs France, tous les autres sont qualifiés d’organisations radicales. La plupart des groupes de cause qui composent ce deuxième collectif présente la particularité d’être spécialisés dans un domaine précis. Ainsi, nous recensons des organisations qui se spécialisent dans des domaines tels que la santé 170 , le logement 171 et l’emploi 172 . Nous comptons parmi les principaux domaines d’actions des organisations de lutte contre les exclusions sociales du collectif CPE la santé, le logement, l’emploi, les prisonniers, les immigrés, etc. Il apparaît donc, sur la base de ce constat que l’exclusion est une réalité qui prend forme aux travers de situations et de trajectoires de vie très diverses.

A chaque groupe de défense de la cause des plus démunis correspond, en principe, un public « d’exclu »: les usagers de drogue 173 , les chômeurs, les mal logés, les sans logis, les personnes atteintes de la maladie du sida 174 , les jeunes de banlieues, les organisations de professionnels du travail social et médical, les organisations de défense des détenus 175 , les sans papiers et les immigrés 176 , les organisations communautaires 177 ainsi que certaines organisations de solidarité à caractère généraliste 178 . Ainsi, contrairement aux organisations du collectif Alerte qui ont été fondées pour la plupart dans les années 1945 et qui revendiquent une vocation « universaliste », celles du collectif CPE sont toutes de jeunes organisations d’aide et de solidarité. Elles sont pour la plupart nées entre 1980 et 1992. Les plus emblématiques parmi ce collectif sont : Droit au Logement (1990), le groupe de cause Agir Ensemble contre le Chômage (1983), le Mouvement National contre le Chômage et la Précarité (1993), l’Association pour l’Emploi l’Information et la Solidarité des Chômeurs et Travailleurs Précaires (1995) et enfin le Comité des Sans logis et Droit devant (1994).

Tous ces groupes de cause dits radicaux ont une existence plus récente puisque leur date de création remonte pour l’essentiel aux années 1990. Mais malgré leur jeunesse, ils ont déjà marqué l’opinion publique par leur engagement pour l’accès à certains droits fondamentaux, tel le droit au logement. La « jeunesse » de ces groupes de cause ne les a pas empêché de bénéficier de l’appui des médias, de s’affirmer comme médiateurs sociaux au même titre que les groupes de cause caritatifs classiques, et d’accéder à la position de membres à part entière de la communauté des groupes de défense de la cause des plus défavorisés. Les différentes actions publiques, parfois fortement médiatisées, ont permis à ces jeunes groupes de cause de revendiquer une légitimité en tant que groupes de cause qui s’impliquent de manière significative dans la lutte contre l’exclusion et la pauvreté. Cette légitimité semble s’être renforcée avec le soutien que l’opinion publique semble apporter à leur actions.

Notes
162.

Michel Castaing, « Des associations souhaitent que l’Etat s’engage plus nettement dans la lutte contre la pauvreté », Le Monde, 1er juillet 1995, p. 10.

163.

Armée du salut (1881) ; ANPA (1872) ; Croix-rouge (1864) ; Fédération française des équipes Saint-Vincent (1617) ; familles rurales (1943) ; Société Sant-Vincent de Paul (1833) ; FNAFAD (1945) ; Secours populaire ( 1945) ; UFCS ( 1925) ; ADMR ( 1945).

164.

Uniopss (1947) ; Adie (1989) ; Setton (1992) ; ATD Quart-monde (1957) ; Coorace (1985) ; Association Emmaüs (1985) ; Entraide protestante (1985), etc.

165.

Uniopss, Fédération française des équipes Saint-vincent ; Fédération française des banques alimentaires ; Fédération nationale aide familiale a domicile ; Fnars ; FNAFMA ; UFCS ; ADMR ; Entraide protestante et la FNAFAD.

166.

ATD Quart-Monde ; Secours populaire ; Secours catholique ; Fonds social juif unifié ; France terre d’asile, etc.

167.

Armée du Salut ; ATD Quart–Monde ; Emmaüs France ; Entraide Protestante ; Emmaüs France ; Entraide Protestante ; Fédération française des Equipes Saint–Vincent ; les Petits frères des pauvres ; Secours Catholique ; société Saint Vincent de Paul ; Fonds Social Juif unifié ; le Secours populaire français Familles rurales ; Fédération nationale des associations d’accueil et de Réadaptation Sociale (FNARS) et la Fédération Nationale des Associations Familiales des Maisons d’Accueil (FNAFMA).

168.

Association Nationale de Prévention de l’alcoolisme (ANPA) ; Association Setton ; Croix – rouge française ; Fédération française des banques alimentaires ; France terre d’asile ; Médecins du Monde ; Relais Médical aux Délaissés.

169.

Union nationale Interfédérale des Organismes Privés sanitaires et Sociaux (UNIOPSS) ; Association pour le Droit à l’Initiative Economique (ADIE) ; Coordination des Organismes d’Aide aux Chômeurs par l’Emploi (COORACE) ; Fédération relais ; Fédération Nationale Aide familiale à domicile (FNAFAD) ; Solidarités nouvelles face au Chômage ; Union Féminine civique et Sociale (UFCS) et enfin l’Union Nationale des Associations d’Aide à domicile en Milieu Rural (UFCS).

170.

Médecins du Monde.

171.

Droit Au Logement, Bellevilleuse, le Comité des sans logis et enfin l’organisation Droits devant, Fondation Abbé Pierre, Emmaüs, etc.

172.

Agir ensemble contre le Chômage ! le Mouvement National des Chômeurs et Précaires, AITEC, l’Association pour l’Emploi, l’Information et la Solidarité des Chômeurs et des Travailleurs et la Fédération des Comités et Organismes d’Aide aux Chômeurs par l’Emploi, etc.

173.

L’Association des Usagers de Drogues.

174.

AIDES, ARCAT Sida, l’APSIS, le comité médico social, Sol en Si, F.F.S.M et MSL.

175.

L’Organisation internationale des Prisonniers France.

176.

Le groupe d’Information et de soutien des Immigrés et le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples et le FASTI.

177.

L’Association Tzigane solidarité.

178.

Le Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée, Solidarité paysanne, Emmaüs France, la Fnars et ATD Quart–monde et la Coorace.