B/ René Lenoir 528 et Geneviève de Gaulle-Anthonioz, deux exemples emblématique du rapprochement des sphères « politique » et « sociale » 

Le gouvernement et le Parlement sont des institutions publiques qui présentent la particularité d’être le lieu de confrontations, de négociations, voire de luttes d’influence entre différents groupes de cause et représentants de différentes institutions ministérielles et parlementaires. Cette interaction est fonction des positionnements que les décideurs politiques et les responsables de groupes de cause occupent et de la dynamique que ces derniers insufflent. En effet, « la rencontre entre les groupes d’intérêt et les structures étatiques s’est faite historiquement de manière différente selon les pays voire selon les secteurs (…). Quelle que soit la forme que prennent les rapports entre les hommes politiques et administrateurs et les autres, qu’ils soient institutionnalisés et publicisés ou gérés dans l’intimité des dominants, aucun appareil administratif, (…) ne peut fonctionner sans le secours des administrés, qu’il s’agisse d’individus notables ou de représentants de groupes d’intérêt organisés » 529 .

La régulation sociale, telle la prise en compte de la loi contre les exclusions ainsi que son processus d’élaboration, dépend principalement de deux facteurs : le partage d’une même représentation du problème « exclusion» et le degré de proximité relationnelle, physique et professionnelle entre les représentants des pouvoirs publics et les responsables des groupes de défense de la cause des plus démunis.

Certaines personnalités ont ainsi d’abord été de hauts responsables dans l’administration publique avant de devenir leaders de groupes de cause. Les plus connus d’entre eux sont René Lenoir et Geneviève de Gaulle-Anthonioz.

M. René Lenoir est certainement l’exemple le plus manifeste de la porosité des frontières entre la sphère politique et des groupes de cause. En 1995, René Lenoir exerce les fonctions de chargé de mission du candidat et maire de Paris, Jacques Chirac tout en continuant à exercer les fonctions de président de l’Uniopss. Ainsi, lors de la campagne présidentielle de 1995, René Lenoir est à la fois coordonnateur du collectif Alerte, principal regroupement d’organisations de défense de la cause des plus démunis tout en étant membre du cabinet du candidat à l’élection présidentielle, Jacques Chirac.

D’autres responsables des groupes de cause membres du collectif Alerte exercent également des fonctions politiques. Geneviève de Gaulle-Anthonioz, présidente du groupe de cause ATD Quart-Monde constitue un bel exemple de mutation « fonctionnelle ». Le parcours « politico-social » de cette dernière illustre bien l’existence de cette passerelle. En effet, Geneviève de Gaulle-Anthonioz a d’abord été conseillère auprès du cabinet du ministre de la Culture André Malraux, avant d’être élue présidente du groupe de cause ATD Quart-Monde. Elle accède à la fonction de conseillère au Conseil Economique et Social en 1987 en lieu et place du père Joseph Wrésinski décédé. Le parcours professionnel de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, du cabinet ministériel à la présidence d’un des principaux groupes de défense de la cause des plus démunis, constitue un excellent exemple de ces passages du champ « politique » au champ « social ».

René Lenoir a été quant à lui nommé Secrétaire d’Etat auprès du ministre de la santé, chargé de l’action sociale de 1974 à 1978 et a été de ce fait membre des gouvernements successifs de Jacques Chirac puis de Raymond Barre. Il accède à la présidence de l’Uniopss et y demeure de 1992 à 1998. René Lenoir bénéficie d’une certaine « aura » en tant qu’acteur reconnu et « historique » de la lutte contre les exclusions sociales, notamment depuis la publication de son ouvrage Les exclus 530 en 1974, puis à travers l’exercice de fonctions ministérielles 531 . Il est l’auteur de deux lois sociales importantes, car déclare-t-il « en 1975, j’ai fait voter les deux plus grandes lois : la loi sur les handicapés celle la seconde sur les institutions sociales et médico-sociales 532 . Et, c’est certainement sa connaissance des questions sociales qui favorise sa nomination à la fonction de Président de l’Uniopss.

Cette double « casquette » de haut fonctionnaire et de responsable d’une grande organisation de défense de la cause des plus démunis donne à celui-ci un champ de connaissance relationnelle plus vaste et une capacité à attirer l’attention des décideurs politiques sur les thèses ou positions que les groupes de cause du collectif « Alerte » défendent. La proximité relationnelle que René Lenoir entretient avec les décideurs politiques s’illustre par l’usage de termes « conviviaux ». Ils traduisent une absence de distance. Celui-ci n’hésite pas à traiter Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la solidarité de « chère amie » 533 ou de lui manifester ses « sentiments dévoués »  534 , ou enfin de lui exprimer sa profonde fidélité.

La proximité relationnelle qui existe entre celui-ci et la ministre Martine Aubry se mesure à la teneur plutôt « amicale » des correspondances qu’il adresse à la ministre. En effet, comme nous venons de le relever plus haut, les correspondances que le Président de l’Uniopss René Lenoir envoie à la ministre Martine Aubry révèlent de manière non équivoque que les liens qu’ils entretiennent ne sont pas régis par « la hiérarchie », la distance qu’exigent les rapports classiques avec un Ministre. Ce sont plutôt des rapports qui ont une forte empreinte amicale. Les relations entre les deux personnalités s’établissent sur la base du « tutoiement » et non du « vouvoiement ».

La construction du compromis entre les décideurs politiques et les responsables de groupes de cause réformistes semble donc s’être faite avec une relative facilitée. En effet, les responsables d’organisations de défense de la cause des plus démunis et les décideurs politiques avaient finalement une même approche de l’exclusion. Cette même représentation s’explique et est renforcée par une proximité « relationnelle » et « fonctionnelle ». Il est fréquent de rencontrer des responsables de groupes de cause qui exercent, par ailleurs, des fonctions au sein des administrations d’Etat et réciproquement. L’interférence de tous ces acteurs qui peuvent agir dans plusieurs « espaces » facilite la compréhension du problème à traiter ainsi que la mise en œuvre de stratégies et de moyens pour lutter contre et peut-être pour mieux influencer les décideurs politiques.

Notes
528.

René Lenoir, Who’s who France 2000 – 2001, 32ème édition, dictionnaire Lafitte Paris, p.1112 - 1113.

529.

Michel Offerlé, Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1998 p. 132 – 133.

530.

René Lenoir, Les exclus : un français sur dix, édition Du Seuil, Paris, 1974, 172 p.

531.

Il a été Secrétaire d’État à l'action sociale du 8 juin 1974 au 31 mars 1978. Source : http://fr.wikipedia.org.

532.

Entretien n° 59 avec René Lenoir, ancien Président de l’Uniopss.

533.

Archives Médecins du Monde, correspondance que Monsieur René Lenoir adresse à Madame la ministre Martine Aubry, 4 février 1998.

534.

Archives Médecins du Monde, correspondance que Monsieur René Lenoir adresse à Madame la ministre Martine Aubry, 5 novembre 1997.