C/ De la sphère « sociale » au champ « politique », la trajectoire classique de certains leaders des groupes de cause réformistes 

Les exemples de responsables de groupes de défense de la cause des plus démunis qui vont du champ « exclusion » vers l’administration publique ne sont pas rares non plus 535 . La trajectoire professionnelle de M. Patrick d’Outreligne en est une illustration. En effet, après avoir occupé des responsabilités auprès de l’Uniopss île-de-France et avoir a exercé la fonction de Président de la Sous-commission logement de la Commission Lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale de l’Uniopss, il est nommé conseiller social auprès du cabinet du Secrétaire d’Etat au Logement Louis Besson. Il a, par ailleurs, été nommé secrétaire général du Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées. Aujourd’hui, il exerce la fonction de Délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, une association caritative. Ainsi, son parcours professionnel peut être résumé de la manière suivante : responsable de groupe de cause – conseiller du Secrétaire au logement – responsable de groupe de cause. C’est un bon exemple de responsables qui font les va-et-vient entre le champ « exclusion » et les cabinets ministériels.

Il semble exister une tradition de passerelle des groupes de cause réformistes vers les fonctions administratives d’Etat sans que cela pose problème, du moins au sein de l’Uniopss ou d’autres grandes organisations caritatives nationales. Ces passerelles « fonctionnelles » ne s’observent qu’entre l’administration publique et les grandes organisations caritatives de lutte contre les exclusions sociales. Il semblerait que ce soit cette capacité ou possibilité de changer de sphères qui facilite le rapprochement entre les pouvoirs publics, l’Uniopss et les groupes de cause membres du collectif Alerte. Outre, le transfert de cadres des groupes de cause réformistes vers les cabinets ministériels et les administrations étatiques, nous constatons aussi l’existence d’une proximité relationnelle entre certains acteurs politiques à titre individuel et certaines organisations de défense de la cause des plus démunis. Ainsi, en est-il de Pierre de Saintignon, conseiller de la ministre Martine Aubry. Celui-ci revendique entretenir une proximité relationnelle et sociale, vieille de deux décennies avec le groupe de cause ATD Quart-Monde,

‘« Avec les dirigeants [d’ATD Quart-Monde] on se connaît bien, on est vraiment devenu des amis avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz, ou Didier Robert, parce qu’on a appris à les connaître. Geneviève de Gaulle-Anthonioz depuis longtemps, Didier Robert plus récemment, mais c’est des gens avec qui on partage des valeurs de fond et puis, puis dans notre vie militante, c’est vrai que, moi ça fait 20 ans que je vais à la soirée de Nöel d’ATD Quart-Monde,….ça fait 20 ans. [ Il nous indique ensuite, par ailleurs, avoir repris l’association d’insertion développant une activité de maraîchage ] comme on se connaissait, on se voyait moi j’étais président, je le suis toujours d’ailleurs, bénévole de « Vitamine T » qui est un regroupement d’entreprises d’insertion maintenant très gros, y a je sais plus près de 4000 personnes en insertion et euh, et ils [les dirigeants d’ATD Quart-Monde]avaient souhaité qu’on le prenne en gestion parce qu’ils étaient en train de se planter sur la gestion. Pendant des années et des années, on a cogéré ça avec ATD Quart-Monde, et bon, c’est vrai que c’est des gens qu’on aime bien parce que c’est des gens authentiques et c’est vrai que moi je suis souvent allé dans leur mouvement » 536

Les représentations communes de l’exclusion que les organisations membres du collectif Alerte et les pouvoirs publics adoptent, tiennent compte du fait que ces deux réseaux d’acteurs partagent finalement les mêmes conceptions de l’exclusion. L’aboutissement de ce compromis peut s’expliquer par la présence de toutes les personnalités que nous avons citées des « deux côtés de la table ».

Le domaine de l’» exclusion » n’est pas complètement distinct du pouvoir « politique » ou de l’administration publique. Il existe une « continuité de territoire » entre les deux sphères. C’est en cela qu’il n’y a pas d’incompatibilité de fonctions entre ces deux espaces. Nous avons même tendance à croire qu’une bonne carrière au sein des groupes de cause institutionnels de solidarité conduit inexorablement vers des postes politiques ou vers la prise de fonction dans des administrations publiques.

Ces mutations « fonctionnelles « créent des compromis et surtout des convergences de points de vue tant dans l’approche référentielle, dans la méthode de travail, qu’en termes de définition du corpus du texte de loi. Ces « va-et-vient » entre champ « ministériel » et direction des groupes de défense de la cause des plus démunis ont, à notre avis, réduit les écarts d’approches et de représentation de l’objet « exclusion » 537 .

Notes
535.

« Usages et enjeux associatifs de la construction du champ de l’exclusion. Éléments pour une genèse de la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions 1994-1998», op. cit.

536.

Entretien réalité par Eric Cheynis avec un membre du cabinet de Martine Aubry, le 7 juin 2000 cité dans le mémoire d’Eric Cheynis. p. 56.

537.

Dans toutes les correspondances adressées à Madame la Ministre Martine Aubry, il est clairement indiqué à l’entête le Président de l’Uniopss et à la fin son titre de « ancien Ministre ».