B/ La pression des collectifs Alerte Bouches du Rhône et Rhône-Alpes sur les élus : la proximité comme démarche d’efficacité ?

Les responsables des collectifs Alerte de toutes les régions ont rendu « visite » à tous les décideurs politiques locaux qui pouvaient jouer un rôle décisif ou important dans le cadre du processus d'adoption du projet de loi contre l’exclusion 565 . Les techniques et les formes de pression que les organisations membres du collectif Alerte utilisent  sont les mêmes dans les Bouches du Rhône 566 et en région Rhône-Alpes 567 . Le repérage du personnel politique parlementaire n’est pas qu’une simple étape du processus d’élaboration de la loi, c’est un objectif essentiel à atteindre. Comme nous l’avons déjà dit, les groupes de défense de la cause des plus démunis identifient les interlocuteurs politiques qu’ils souhaitent rencontrer et convaincre de la pertinence de leurs propositions.

Ainsi, dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, le collectif Alerte de cette région a rencontré et interpellé en mars 1997 les principaux parlementaires : Jean Claude Gaudin (Sénateur des Bouches du Rhône et maire de Marseille), Louis Colombani (Député du Var), Guy Teissier (Député du Var), Bernard Muselier (Député des Bouches du Rhônes), Robert Vigouroux (Sénateur des Bouches du Rhône), Alain Dufaut (Sénateur du Vaucluse) et Charles Ginésy (Sénateur des Alpes Maritimes) 568 . Tous ces parlementaires se prononceront en faveur de l’adoption de la loi sur le Renforcement de la cohésion sociale.

La volonté des parlementaires de faire aboutir les propositions des groupes de cause s'exprime ainsi de deux manières différentes : soit, ils leur répondent favorablement par écrit, soit, ils acceptent de les recevoir en entretien. Pour soutenir les propositions des groupes de cause de leur régions, les députés des Bouches du Rhône Marius Masse et Henri d'Attilio déposent ainsi au parlement une question écrite directement insufflée par l'Uriopss des Bouches du Rhône 569 . Mais l’action des députés de la majorité de droite sera interrompue par la dissolution de l’Assemblée nationale.

Comme celui des Bouches du Rhône, le collectif Alerte de la région Rhône-Alpes a effectué, pendant la phase préparatoire de la loi contre les exclusions, des actions de pression en direction des responsables politiques locaux. Celles-ci ont eu lieu soit à l’intérieur des institutions consultatives sociales régionales, soit en direction des parlementaires, élus de la région 570 . Au niveau de la région Rhône-Alpes, les groupes de défense de la cause des plus démunis accordent une attention particulière au sénateur Fischer,

‘« Si on prend le cas de la loi du 29 juillet 1998 au niveau national, les grandes fédérations nationales et le réseau Alerte ont fait pression, envoyé des textes, fait des propositions d'amendement et nous au niveau régional, pareil. Mr Fischer par exemple Sénateur communiste du Rhône qui est très impliqué dans la loi contre les exclusions, membre de la Commission des affaires sociales du Sénat, on a travaillé avec lui, travaillé avec lui, ça veut dire qu'on l'invitait à nos réunions, discutait avec lui, réfléchissait avec lui sur la loi et son contenu et ensuite chaque fois qu 'un article de la loi ne nous paraissait pas assez précis, pas assez complet ou qu'il fallait d'autres articles parce que d'autres problèmes n'avaient pas été évoqués on faisait des propositions et on envoyait à Mr Fischer en lui disant voilà l’article tant de la loi, nous ne sommes pas d'accord, nous proposons la formulation suivante (...) Alors, je dirais que de manière globale, en Rhône-Alpes, le réseau Alerte, nous avons systématiquement envoyé les courriers aux 75 parlementaires députés et sénateurs » 571

Au-delà de la pression exercée sur les 75 Parlementaires de la région par l’Uriopss Rhône-Alpes, notre attention s’arrête sur les efforts que le collectif Alerte Rhône-Alpes a menés en direction du sénateur Fischer. L’intérêt particulier que les groupes de cause locaux portent au sénateur Fischer semble clairement indiquer que la sélection des « cibles » politiques fait partie intégrante des stratégies d’action des groupes de défense de la cause des plus démunis. Cette opération de ciblage est d’autant plus utile qu’elle est susceptible de faire aboutir la demande sociale puisque le sénateur Fischer est membre de la Commission des affaires sociales du Sénat. Il y a donc, dans la démarche des responsables de groupes de cause, une logique de ciblage « qualitatif » des personnalités politiques à convaincre.

A l'échelle régionale, la pression que les organisations qui luttent contre les exclusions sociales exercent sur le personnel politique se manifeste par l'organisation de rencontres avec les députés et les sénateurs. Les groupes de cause tentent d'éclairer les parlementaires, de les influencer et de les convaincre d'adhérer à leur vision. Ces rencontres qui visent à amener les Parlementaires à soutenir et à partager leurs positions, ont largement contribué à rapprocher les élus des positions défendues par les groupes de défense de la cause des plus démunis. Certains députés ont même « succombé « aux propositions des dirigeants de groupes de défense. Ainsi, Yves Bur, député du Bas-Rhin reconnaît, dans un courrier adressé à Médecins du Monde de la région d'Alsace, vouloir assurer la fonction de porte-parole des organisations de défense de la cause des exclus lors des débats au parlement,

‘« je souhaiterais recevoir dans les plus brefs délais vos remarques, critiques et propositions. Elles me seront particulièrement utiles lors de la discussion générale et de l'examen détaillé de ce texte notamment pour des amendements que je pourrais proposer. Vos observations me permettront d'informer l'ensemble du Parlement des attentes urgentes des acteurs du terrain » 572 .’

La réponse du député Yves Bur, n'est-elle pas la preuve de l'efficacité des pressions incessantes que les dirigeants de groupes de cause mènent localement ? Cette réponse semble montrer que l’action de pression que les groupes de cause exercent sur les acteurs politiques n’est pas restée infructueuse puisque certains responsables politiques se proposent de défendre leurs propositions au sein de l’hémicycle. En effet, en ciblant certaines personnalités et en nouant des relations privilégiées avec certains parlementaires, les groupes de défense de la cause des plus démunis réussissent à trouver de véritables « partisans » au sein de l’hémicycle.

Notes
565.

Archives Uniopss : compte rendu de la réunion de la Commission Lutte contre la pauvreté et l’exclusion, 25 mars 1997, p. 2.

566.

L'Uriopss Provence Alpes Côte d'Azur et Corse a été créée en 1947 pour ambition de soutenir l'expression et l'initiative associative dans la défense des droits des personnes et la réponse aux besoins de ces mêmes personnes. Localement, son tissu associatif sanitaire et social est fort de plus de 500 associations gestionnaires de quelques 688 établissements implantés dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence (04), Hautes-Alpes (05), Alpes-Maritimes (06), Bouches-du Rhône (13), Var (83), Vaucluse (84) et les deux départements de la Corse (20A et 20B). Son slogan est : « l’ambition associative ». Sources : http://www.uriopss-pacac.asso.fr

567.

L'Uriopss Rhône-Alpes a été créée en 1948, sous le statut de loi 1901, elle a pour but d'unir les associations et organismes non lucratif des secteurs sanitaire, social, médico-social pour développer les solidarités. L’Uriopss, au cœur des évolutions du secteur social, médico-social et sanitaire, est au service de ses 550 associations adhérentes et des 1 000 établissements et services qu’elles gèrent. Elle remplit une mission politique de représentation et de défense des associations et une mission technique de conseil. Ses objectifs sont notamment: d’affirmer et de défendre la pertinence du modèle associatif ; de travailler à développer le savoir-faire, la compétence, la qualité des services rendus, la qualification et la reconnaissance de leurs professionnels ; de faire un usage transparent des financements publics ou privés en utilisant tous les moyens nécessaires à une bonne gestion, rigoureuse et soucieuse de l’intérêt général. Son slogan est : « Unir les associations pour développer la solidarité en Rhône-alpes ». Sources :http://www.uriopss-ra.asso.fr

568.

Archives Uniopss : « le point sur les démarches régionales auprès des parlementaires », 25 mars 1995, p. 3.

569.

Ibid. p. 3.

570.

Archives AC !Lyon : lettre que les groupes « radicaux » de Lyon et les syndicats « alliés » adressent à « Tous les Parlementaires du Département du Rhône ». Lyon, 7 mai 1998.

571.

Entretien n° 1 avec François Boursier.

572.

Archives Médecins du Monde : lettre que le Député Yves Bur adresse à Médecins du Monde de la délégation régionale d'alsace, Paris, le 20 avril 1998.