A/ Les groupes de cause réformistes et la pression sur les institutions exécutive et républicaine : une posture de collaborateur des pouvoirs publics

Les organisations de défense de la cause des plus démunis de nature caritative qui composent le noyau dur du collectif  Alerte optent généralement pour une collaboration avec les pouvoirs publics 582 . Elles ne cherchent pas à entrer en confrontation avec les pouvoirs publics. ATD Quart-Monde constitue selon Bernard Lahire l’exemple même de l’organisation de défense de la cause des plus démunis qui, dès sa création en 1956, fait le choix de devenir l’allié de l’establishment. En effet, contrairement à d’autres groupes de défense de la cause des plus démunis, « ATD [ va dès sa création ] bénéficier du capital relationnel de multiples personnalités issues de la haute bourgeoisie, de l’aristocratie ou de la fonction publique qui le rejoignent dans la grande tradition philanthropique » 583 . Cette stratégie d’action permet à ce groupe de cause d’accéder à l’honorabilité publique, et d’avoir la considération des responsables qu’ils soient politiques, médiatiques ou même administratifs.

Le choix stratégique qui consiste à « cultiver » une posture de groupe de pression tout en maintenant des relations pacifiques avec les pouvoirs publics est partagé par toutes les autres grandes organisations à vocation sociale ou humanitaire, en particulier celles qui sont membres du collectif Alerte 584 . Toutes ces organisations de cause accomplissent un immense travail de pression sur les décideurs politiques durant le processus d’élaboration de la loi contre les exclusions. Elles s'adressent aux différents organes du pouvoir exécutif : Président de la République, Premiers ministres, ministres en charge de ce projet ; membres des cabinets ministériels. Ces groupes de cause orientent également leurs efforts vers les membres des deux chambres du Parlement : députés et sénateurs.

Les démarches entreprises en direction des autorités se font soit de manière collective, c'est-à-dire dans le cadre d'une entité réunissant plusieurs groupes de cause, soit de manière individuelle, c'est-à-dire en leur nom propre. Aucune autorité publique qui détient « une parcelle » de pouvoir dans le processus d'élaboration de la loi n'échappe à la pression des groupes de défense de la cause des plus démunis engagés dans la lutte contre l'exclusion : le Président de la République (1), le Parlement (2) et le Conseil économique et social (3).

Notes
582.

Archives Médecins du Monde : les organisations de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, en particulier les grandes et vieilles structures à caractère caritatif, social ou même humanitaire, membres du groupe Alerte, tiennent principalement deux conférences de presse : les 2 octobre 1996 et 12 décembre 1996. Les interventions « ensemble » devant la presse présentent l'avantage de donner l'image d'un groupe qui reste homogène malgré les points de désaccord qu'elles peuvent avoir entre elles. Cette image de structures unies leur fait gagner la confiance de l'opinion publique et accentue la pression qu’elles exercent sur les décideurs politiques. Document « Loi d’orientation relatif au renforcement de la cohésion sociale, avril 1997.

583.

Bernard Lahire, L’invention de l’illettrisme, Rhétorique publique, éthique et stigmates, édition La découverte, 1999, Paris, p. 40.

584.

Archives ATD Quart-Monde : dans leur dynamique de pression, certains dirigeants de groupes de cause publié de nombreuses lettres qu’ils ont adressées aux responsables politiques afin que ces derniers s'engagent devant la nation à s'investir dans le combat contre l'exclusion. Précisons que le groupe de défense de la cause des plus démunis ATD Quart Monde est la première organisation de solidarité à avoir demandé publiquement l'adoption d'une loi d'orientation de lutte contre l'exclusion sociale et à envoyer une lettre aux candidats à l'élection présidentielle de 1995. Le mouvement du père Wrésinski souhaite que « la lutte contre l'exclusion soit placée au cœur du débat électoral ». Ilne se prive pas d’interpeller les candidats à la présidentielle sur la nécessité de faire voter une loi cadre contre l'exclusion et la pauvreté. Source : Communiqué diffusé par le groupe de cause ATD Quart-Monde à Pierrelaye le 11 décembre 1995.