B/ La sensibilité des Parlementaires à la pression des groupes de cause

Les parlementaires sont-ils sensibles aux sollicitations des groupes de défense de la cause des plus démunis ? La participation des groupes de cause est d’autant plus importante que ces derniers ont régulièrement fait des propositions normatives. Aussi, ainsi que le révèle Michel Offerlé, les groupes de cause sont capables d’utiliser

‘« un type particulier d'assemblage de moyens d'action et donc [leur] capacité à imposer de nouveaux enjeux et de nouveaux problèmes » 605 .’

L’exercice de la pression sur les pouvoirs publics est une ressource que les organisations de défense de la cause des plus démunis utilisent régulièrement pour parvenir à leurs fins. Les groupes de cause réunis au sein du collectif Alerte semblent d’ailleurs être plus expérimentés en ce sens. Ils ont l’habitude de le faire depuis la création de la Commission Lutte contre la pauvreté et l’exclusion en 1985. Geneviève de Gaulle-Anthonioz n’hésite pas à déclarer que les organisations de défense de la cause des plus démunis doivent se mobiliser et faire pression sur le pouvoir politique : « nous allons essayer d’y travailler et continuer notre lobbying utile » 606 .

Les organisations de défense de la cause des plus démunis se sont ainsi fortement mobilisées, soit à titre individuel, soit à titre collectif, aussi bien lors des travaux parlementaires consacrés à l’élaboration des projets de loi de Renforcement de la cohésion sociale et de Lutte contre les exclusions. L’envoi de nombreux courriers aux membres du Conseil économique et social, de l'Assemblée Nationale et du Sénat, et la multiplication de rencontres avec les députés et sénateurs sont autant d’actes de pression qui traduisent la volonté des leaders de groupes de cause de convaincre le plus grand nombre de conseillers et de parlementaires de retenir les propositions qu'ils élaborent 607 .

Les organisations réunies au sein de la Commission lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale sont celles qui ont le plus développé la « culture » de la pression. Elles sont secondées par les groupes de cause qui se réclament du collectif Contre la précarisation et les exclusions, puisque ces derniers veulent aussi convaincre les politiques de les rencontrer et de prendre en compte leurs suggestions :

‘« Nous souhaitons que ces propositions soient intégrées dans le projet de loi, et nous sommes à votre disposition pour des auditions et des rencontres afin de vous fournir des informations complémentaires » 608 .’

Par l’envoi de propositions aux parlementaires, les organisations coordonnées par Médecins du Monde cherchent aussi à marquer leur « présence » dans le processus d’élaboration de la loi. Cette démarche est la preuve que ces groupes de cause pensent également détenir une connaissance utile à la compréhension et à la résolution du phénomène d'exclusion. Elles cherchent à faire avancer le texte de loi dans le sens de leur « vision «. Sur ce point,la stratégie des organisations radicales est la même que celle que pratiquent les organisations de la Commission Lutte contre la pauvreté et l'exclusion de l'Uniopss. Si les groupes de cause réformistes entretiennent des rapports « fluides « et permanents avec les membres du parlement et du gouvernement, ceux dits radicaux s’y efforcent également puisqu’ils sont membres de collectif comprenant des acteurs tels Médecins du Monde ou ATD Quart-Monde 609 , acteurs rompus également à l’exercice des discussions et contacts institutionnels.

La sensibilité que les députés et les sénateurs éprouvent face aux sollicitations des leaders d'organisations de lutte contre l’exclusion se mesure, en partie, à la « qualité » des réponses que les parlementaires adressent aux responsables des groupes de cause. A l'unanimité, les députés et les sénateurs remercient ainsi les groupes de cause de leur avoir fait prendre connaissance des résultats de leur réflexion et avouent être sensibles à leurs propositions 610 . Ces réponses « parlementaires » témoignent de l'intérêt que les députés portent au projet de loi contre les exclusions. Elles sont aussi le signe incontestable de l’impact des actions de pression que les groupes de cause exercent sur les décideurs.

Certaines organisations de défense de la cause des plus démunis et certains députés semblent même avoir conclu une sorte de contrat de confiance ou une sorte d’alliance  qui ne dit pas son nom. Ce projet de loi a en effet permis aux députés et les groupes de cause d’entretenir des liens particulièrement étroits. Il naît alors une véritable « proximité relationnelle « entre les groupes de lutte contre l'exclusion et les députés. Ainsi, par exemple, le député Gérard Terrier 611 prend la responsabilité de poser une question écrite à la Ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Mme Martine Aubry. En effet, pour se rassurer face à leurs inquiétudes, certains groupes de cause demandent au député Gérard Terrier de poser la question à la ministre Martine Aubry sur sa détermination et celle du gouvernement à faire aboutir ce projet de loi. Pour manifester sa « fidélité » à Médecins du Monde de sa région, le député de la Mozelle, Gérard Terrier demande à la Ministre Martine Aubry de,

‘« bien vouloir lui confirmer la volonté du gouvernement de proposer au Parlement un projet de loi à la lutte contre l'exclusion et, le cas échéant, lui indiquer si la discussion de ce texte devenue urgente pourra intervenir très rapidement, c'est-à-dire avant la fin de l'année » 612

Cette proximité relationnelle pousse les députés et les sénateurs à devenir de véritables défenseurs, au niveau du Parlement, de la cause des plus démunis. Pour marquer leur attachement aux aspirations des organisations de défense de la cause des plus démunis, les députés du groupe communiste n’hésitent pas à s’engager davantage en prenant l'initiative d'une procédure législative en faveur justement des plus démunis :

‘« Nous envisageons le dépôt d'une proposition de loi sur l'exclusion, à partir des propositions élaborées par les diverses associations qui interviennent pour venir en aide aux personnes confrontées à l'exclusion ». 613

Les parlementaires restent ouverts au dialogue avec les groupes de défense de la cause des plus démunis. Mais leur sensibilité à la cause des plus démunis ne suffit pas à convaincre les groupes radicaux d’ériger les actions d’occupation en système d’accès à l’espace public.

Notes
605.

Michel Offerle, Sociologie des groupes d'intérêt, op. cit., p. 106, cité in « Usages et enjeux associatifs de la construction du champs de l’exclusion » de Eric Cheynis, p. 73.

606.

Libération, 10-11 décembre 1996, cité in Eric Cheynis, « Usages et enjeux associatifs de la construction du champs de l’exclusion », op. cit. p. 73.

607.

Archives Uniopss, « Lettre ouverte aux candidats », document non daté.

608.

Archives Médecins du Monde. Ces derniers avaient envoyé, en juin 1996, un courrier à plusieurs personnalités. Il s'agit de Philippe Seguin, Gilles de Robien, Michel Pericard, Laurent Fabius, Alain Bocquet, Jean Royer et Bruno Bourg Broc. Ils occupaient, respectivement, les fonctions de Président de l'Assemblée Nationale, président du groupe Union pour la Démocratie Française, président du groupe Socialiste, président du groupe communiste, président du groupe République et Liberté et président de la Commission des Affaires Culturelles et Sociales. Elles s’adressent aussi à René Monory, Fourcade, Claude Estier, Guy Cabanel, Henri de Raincourt, Maurice Blin, Josselin de Rohan, Hélène Luc respectivement président du Sénat, président de la Commission des Affaires Sociales, président du groupe Socialiste, président du groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen, président du groupe Union Centriste, président du groupe Rassemblement Pour la République et président du groupe communiste. Courrier du collectif CPE, daté du 5 juin 1996.

609.

Les groupes radicaux se sont toujours abstenus d’organiser des manifestations « populaires » sous la bannière du collectif CPE ou GTI. Autrement dit, dès que ces derniers acceptent de s’associer dans des collectifs avec les groupes réformistes, les radicaux exercent la pression sur les décideurs politiques dans le cadre des institutions.

610.

Archives Médecins du Monde : lettre que le député Maurice Leroy adresse à M. Michel Watrin, président des demandeurs d’emploi du Vendômois ( lettre non datée). Lettre que René Monory adresse à M. René Lenoir, président de l’Uniopss. Paris, 19 mars 1996. Lettre que M. Christian Poncelet adresse à René Lenoir. Paris, 3 avril 1996. Lettre que M. Jean François-Poncet adresse à M. René Lenoir. Paris, 3 avril 1996.

611.

Archives Médecins du Monde : il s'agit du député de la Moselle et maire de Maizière-lès-Metz, Gérard Terrier. Il a adressé une correspondance à Médecins du Monde, le 24 octobre 1997.

612.

Ibid

613.

Archives Médecins du Monde : le député Alain Bocquet confirme ainsi l'ambition des députés de sa formation politique au responsable de Médecins du Monde. Courrier que le Président du groupe communiste adresse à Médecins du Monde, le 8 juillet 1996.