B/ La fragilité gouvernementale comme conséquence directe de la mobilisation

Les médias et les groupes de cause exercent une pression constante sur le gouvernement de Lionel Jospin 756 , créant ainsi une sorte de « schisme » au sein de la coalition gouvernementale. Cette disharmonie met à mal l’unité gouvernementale. Cette dernière est sérieusement mise en difficulté du fait du soutien que certains ministres Vert et Communiste apportent aux groupes de défense de la cause des chômeurs. Ils font en effet des déclarations favorables à l’action revendicative des groupes de cause radicaux. Ils critiquent même la manière dont le gouvernement de Lionel Jospin gère la « grève » des groupes de défense de la cause des chômeurs.

Ainsi, les leaders du Parti communiste se prononcent en faveur des manifestations de chômeurs 757 . Tel est le cas du député Alain Bocquet, président du groupe communiste de l’Assemblée Nationale. Celui-ci critique vivement l’évacuation par les forces de l’ordre des chômeurs qui occupent les antennes Assedic, « le CRS n’est pas pour moi le meilleur médiateur de la République. Il vaut mieux l’envoyer là où il y a de l’insécurité » 758 . Comme l’ont fait les leaders communistes, les responsables nationaux des Verts apportent, eux aussi, leur soutien aux organisations de défense de la cause des chômeurs 759 . Ces différents responsables politiques, membres de la majorité plurielle, affirment ainsi « soutenir la manifestation contre le chômage [et] condamnent vivement l’intervention des forces de l’ordre contre les chômeurs qui occupaient la bourse du commerce de Paris »  760 . Mieux, les ministres Dominique Voynet et Marie-Georges Buffet, toutes deux membres du gouvernement de Lionel Jospin, apportent ouvertement leur soutien aux groupes de défense de la cause des chômeurs 761 .

Le soutien que les ministres et les députés accordent aux groupes de cause en « grève » constitue un sérieux revers pour l’action et l’unité du gouvernement de Lionel Jospin 762 . En effet, la ministre en charge de l’environnement, Dominique Voynet, prend position officiellement pour l’accès des jeunes de moins de 25 ans au RMI, en rappelant même à Lionel Jospin, Premier ministre, que « l’accord passé entre les Verts et le Parti socialiste pour les législatives prévoyait de façon explicite un R.M.I pour les jeunes » 763 . Les prises de position publique de certains leaders politiques issus de la majorité plurielle tendent manifestement à fragiliser l’institution gouvernementale. En effet, ces derniers auraient normalement dû soutenir l’action du gouvernement de Lionel Jospin au nom de la solidarité de la coalition politique. La « défiance » que certains responsables politiques de gauche non socialistes manifestent affaiblit l’unité et la dynamique du gouvernement de Lionel Jospin.

Face aux voies discordantes qui proviennent pour certaines du gouvernement et des alliés traditionnels, ce qui, naturellement, a pour conséquence de porter un sérieux revers à la position et à l’image du gouvernement, le Premier ministre Lionel Jospin est obligé de monter au créneau. Il souhaite ainsi réussir à convaincre ses alliés Communistes et Verts de soutenir l’action gouvernementale, c’est-à-dire de faire preuve d’unité. Il ne manque pas d’ailleurs de souligner « la nécessité de la cohésion gouvernementale et majoritaire » 764 .

Les déclarations des décideurs politiques ne reflètent pas le clivage traditionnel droite-gauche, tant le soutien aux groupes de défense de la cause des chômeurs dépasse le cadre de la bipolarisation de la vie politique. Ces organisations reçoivent en effet le soutien des leaders de partis politiques de droite et de gauche. En fait, la mobilisation des groupes de défense de la cause des chômeurs ne semble laisser indifférent aucun responsable politique. Les leaders de partis de droite saisissent alors cet événement pour dire comment ils conçoivent la lutte contre l’exclusion.

Ainsi, pour le parti libéral, la « révolte » des chômeurs est une démarche légitime 765 . En effet, Alain Madelin considère que les manifestations des groupes de défense de la cause des chômeurs traduisent un fort sentiment de dégradation du tissu social. Ces mobilisations massives à l’échelle nationale, déclare-t-il, rendent suffisamment compte de « la déchirure sociale [et] de cette misère qui rongent la société française ». Il dénonce vivement ce « mal social » parce que selon lui, « (...). Des familles entières sont enfermées dans la dépendance et la dépendance héréditaire quand la RMI devient héréditaire ». Pour le libéral Alain Madelin, le libéralisme est la seule voie possible pouvant permettre aux « exclus » de sortir de leur situation de leur précarité sociale : « le véritable remède, affirme-t-il, n’est pas une prime de charité, mais une autre politique, libérale ». A l’évidence, le discours du leader du Parti libéral a été en partie entendu puisque la loi relative à la lutte contre les exclusions rompt avec les politiques publiques d’assistance sociale qui ont toujours été menées jusqu’alors.

Sur le plan politique, nous constatons une sorte d’unanimité quant au soutien aux groupes de cause qui défendent les chômeurs. Tous les acteurs politiques s’accordent à reconnaître la nécessité de lutter contre les exclusions. La mobilisation les groupes de défense de la cause des chômeurs permet ainsi aux acteurs politiques de gauche ainsi qu’à ceux de droite de relever l’intérêt qu’ils portent à la question du chômages 766 . Le soutien de toute la classe politique aux organisations des chômeurs a eu, semble-t-il, un impact sur les décisions gouvernementales et a certainement poussé le Premier ministre Lionel Jospin à intervenir de manière à rassurer les chômeurs et les organisations qui défendent leur cause, mais aussi ses partenaires politiques de la majorité plurielle notamment le parti Communiste et les Verts.

Notes
756.

Le Monde, « Les chômeurs bousculent Lionel Jospin »,8 janvier 1998, p. 1.

757.

Mr Robert Hue a jugé l’action « légitime », apportant ainsi son soutien à l’action des sans-emploi. Quant à Mr Alain Bocquet, président du groupe communiste de l’Assemblée Nationale, il considère qu’ » il faut faire droit à la juste revendication des chômeurs » : Le Monde du 1er janvier 1998, p. 5. 

758.

Le Monde, « Les Verts et le PCF soutiennent les manifestants », 15 janvier 1998, p. 6.

759.

Ibid. p. 6.

760.

Ibid.

761.

Le Monde, « CGT et PCF appellent les chômeurs à imposer les 35 heures au patronat. Cinq semaines de conflit », 19 janvier 1998, p. 6.

762.

Les réactions de la classe politique, aux engagements du Premier ministre, sont plus réservées à droite.

763.

Judith Waintraud, « Jospin se méfie des emballements »,Le Figaro, 27 février 1998, p. 6.

764.

Alain Beuve-Méry et caroline Monnot, « Les mouvements de chômeurs réclament le relèvement des minima sociaux »,Le Monde, 14 janvier 1998, p. 5.

765.

Toutes les déclarations qui suivent sont tirées du quotidien Le Monde daté du 14 janvier 1998, p. 5.

766.

Les critiques dont sont victimes la ministre Martine Aubry ainsi que l’ensemble du gouvernement obligent le Premier ministre Lionel Jospin à intervenir officiellement. Cette intervention est fondamentale, car elle marque la « présence »  du gouvernement sur un sujet qui interpelle toute la société. Le Premier ministre qui avait confié depuis la constitution du gouvernement en juin 1997 à Martine Aubry, le soin de coordonner l’action interministérielle relative au projet de loi de lutte contre l’exclusion, prend l’engagement de se mettre en première ligne à la suite du mouvement des groupes de défense de la cause des chômeurs.