C/ L’intervention du Premier ministre Lionel Jospin ou le nécessaire renforcement de l’unité gouvernementale

Le Premier ministre Lionel Jospin décide donc de débloquer un milliard de Franc pour venir en aide aux plus démunis. Cette décision est prise dans le but de répondre aux revendications des organisations de défense de la cause des chômeurs. Le Premier ministre prend, en outre, une série de mesures d’urgence visant à faire face à la demande pressante des groupes de défense de la cause des chômeurs 767 . Ces mesures consistent, ainsi que nous l’avons déjà dit, en l’attribution immédiate d’une allocation financière.

Au-delà de la nécessité de répondre à l’urgence, l’intervention du Premier ministre Lionel Jospin a pour objet de tenter de briser le « pessimisme ambiant ». En prenant une telle décision, Lionel Jospin cherche à apaiser l’angoisse suscitée par l’impact du sentiment d’exclusion et de pauvreté qui prévaut au sein de l’opinion publique. En effet, les résultats du sondage exclusif CSA pour le journal La Croix et le groupe de cause la Fnars 768 révèle que 57 % des personnes interrogées ont peur de connaître eux-même l’exclusion. Pour les personnes interrogées, les mesures susceptibles de contribuer de manière significative à la lutte contre l’exclusion sont « la réquisition des logements vides et le refus de toute expulsion ». Pour 57% de sondés « l’accès au logement » vient en tête des droits qui permettent « l’inclusion ». Certes, le sentiment d’exclusion est dominant au sein de l’opinion publique, mais 84% des personnes interrogées avouent éprouver de la sympathie pour les « exclus » et 75% des personnes sondées partagent l’idée d’une mobilisation générale pour lutter contre l’exclusion.

L’intervention du Premier ministre Lionel Jospin répond aussi à une exigence proprement politique 769 . Celui-ci cherche à rassurer les partis politiques non socialistes de la majorité plurielle qui soutiennent l’action de son gouvernement. Il veut ainsi apaiser la « colère » des organisations de défense de la cause des chômeurs. Le Premier ministre Lionel Jospin prend trois mesures urgentes : il crée le 9 janvier 1998 un fonds d’urgence sociale pour les personnes privées d’emploi auquel il affecte un milliard de francs 770  ; cette somme d’argent étant destinée à répondre aux besoins matériels des précaires, des « exclus », des Rmistes et des chômeurs 771 . Ensuite,   il pérennise les missions d’urgence sociale mises en place dans les départements par les préfets fin décembre 1997. Enfin, il confie à Marie–Thérèse Join-Lambert 772 la mission de conduire une réflexion sur les ressources financières des chômeurs.

A priori, les mesures que le Premier ministre propose n’enthousiasment pas les groupes de défense de la cause des chômeurs. Les leaders de groupes de cause les estiment insuffisantes. Pour le quotidien Le Monde 773 , par exemple, « les quatre associations à l’origine du mouvement AC ! APEIS, MNCP, comité de défense des chômeurs CGT ont estimé que les mesures annoncées par M. Jospin en faveur des chômeurs étaient « un premier pas », mais qu’elles étaient « insuffisantes ». Elles ont toutes regretté l’absence de relèvement des minima sociaux et d’une allocation pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans ». La déclaration de M. Richard Dethyre, Président de l’Apeis résume assez bien la position des responsables des groupes de défense de la cause des chômeurs : « les mesures qui viennent d’être annoncées par le gouvernement sont intéressantes mais probablement insuffisantes » 774 . Si le dispositif financier ne recueille pas l’adhésion des leaders de ces groupes de cause, en revanche, le rapport de Marie–Thérèse Join-Lambert baptisé « Chômage : mesures d'urgence et minima sociaux. Problèmes soulevés par les mouvements de chômeurs en France fin 1997-début 1998 « 775 , orienté sur la problématique de la lutte contre le chômage et le pouvoir d’achat des chômeurs, est accueilli plus favorablement par les responsables de groupes de défense de la cause des chômeurs et les syndicats 776 .

La promptitude dont fait preuve le Premier ministre Lionel Jospin pour créer ce groupe de réflexion sur la précarité dont sont victimes les chômeurs, et la nécessité de prévoir les mécanismes d’insertion, démontrent l’intérêt que les pouvoirs publics portent au chômage en tant que problématique sociale. Certes, « une partie des réponses que contient ce rapport étaient déjà dans le dossier de préparation avant même le mouvement [ des organisations de défense ] des chômeurs » 777 , mais les autorités publiques ne souhaitent pas laisser l’initiative des solutions aux seules organisations de lutte contre les exclusions.

La mission de Marie-Thérèse Join-Lambert prend alors la forme d’une réflexion menée en concertation avec les organisations de défense de la cause des chômeurs puisque ces dernières sont associées à cette étude 778 . Ce rapport s’articule autour de trois volets : d’abord veiller à la bonne installation des missions d’urgence sociale chargées d’attribuer des sommes affectées aux personnes les plus démunies ; analyser les conditions d’articulation et de cohérence sociale entre les systèmes d’indemnisation du chômage et de solidarité nationale et les minima sociaux ; et enfin, faire des propositions en vue d’améliorer le traitement des chômeurs en grande difficulté. Mais, ce rapport 779 a-t–il un réel impact sur le contenu du projet de loi en préparation ?

Les revendications des groupes de défense de la cause des chômeurs portent, ainsi que nous l’avons déjà affirmé, sur le pouvoir d’achat et sur le statut social des chômeurs. En effet, les organisations qui défendent la cause des chômeurs posent une multitude de revendications : une prime de 1.500 francs, la revalorisation des minima sociaux, l’extension du revenu minimum d’insertion aux jeunes, un « guichet unique » pour les demandes d’aides, la « dégressivité » des allocations chômages et la représentation des chômeurs au niveau national dans les instances telles l’Unedic, l’Anpe 780 .

Marie-Thérèse Join-Lambert tient compte, dans son rapport, des revendications portées sur l’espace public par les groupes de défense de la cause des chômeurs puisqu’elle propose de « rattraper les pertes de pouvoir d’achat » par l’accumulation de l’allocation de solidarité spécifique et de l’allocation d’insertion. Elle préconise par ailleurs de « relever le niveau » du Revenu Minimum d’Insertion, qu’elle juge « particulièrement bas ». Pour éviter que les chômeurs ne sombrent dans la grande précarité, Marie-Thérèse Join-Lambert suggère la revalorisation des minima sociaux et l’octroi du revenu minimum d’insertion aux jeunes.

Ces propositions confortent la position des groupes de défense de la cause des chômeurs 781 . Celles-ci portent également respectivement sur le rattrapage des retards de revalorisation de l’allocation de solidarité spécifique 782 . Ces mesures concernent également l’indexation de tous les minima sociaux dont ceux de l’allocation de solidarité spécifique et de l’allocation d’insertion sur les prix dès le 1er janvier 1998. Elle préconise, enfin, que les chômeurs de plus de 55 ans qui ont cotisé cent soixante trimestres puissent toucher l’allocation de solidarité spécifique et l’allocation d’insertion.

Les mécanismes de garantie des revenus aux jeunes de moins de 25 ans tiennent une place importante dans ce rapport. C’est une revendication essentielle et unanime des organisations de lutte contre le chômage. Marie-Thérèse Join-Lambert n’est pas indifférente à cette demande puisqu’elle suggère l’attribution du Revenu Minimum d’Insertion et l’allocation de solidarité spécifique pendant un an aux jeunes, dans la limite d’un S.M.I.C. Elle soutient enfin, comme le premier ministre Lionel Jospin, l’extension du Revenu Minimum d’Insertion aux jeunes de moins de 25 ans dépourvus d’emploi 783 , et suggère au gouvernement Jospin de mettre en œuvre cette demande essentielle des groupes de défense de la cause des plus démunis.

Le rapport Join-Lambert 784 propose, des mesures qui confortent bon nombre de revendications des responsables des organisations de défense des chômeurs. Il convient de préciser que l’action de ces derniers a réussi à fragiliser l’unité de l’institution gouvernementale. En effet, les critiques contre le gouvernement de la majorité plurielle proviennent pour certains de ses propres membres, en particulier des ministres Vert et Communiste, comme on a pu le voir.

Notes
767.

Michel Bezat et Olivier Biffaud, « Le gouvernement débloque un milliard de franc pour un fonds d’urgence », Le Monde, 10 janvier 1998, p. 1.

768.

Archives Fnars : sondage exclusif CSA pour le journal La Croix et la Fnars, 4 mars 1998.

769.

Archives Médecins du Monde : dépêche AFP du 4 mars 1998 : une loi « ne suffira pas à faire reculer l’exclusion » pour 81% des Français.

770.

Rafaël Rivais, « Les préfets ont mis à l’ouvrage les travailleurs sociaux », Le Monde, 19 janvier 1998, p. 7 et Bruno Causé et les correspondants en région, « Les préfectures commencent à distribuer les 320 millions de francs débloqués par l’Etat », Le Monde, 15 janvier 1998, p. 6.

771.

Michel Bezat et Olivier Biffaud, « Le gouvernement débloque un milliard de franc pour un fonds d’urgence », Le Monde, 10 janvier 1998, p. 6.

772.

Mme Join-Lambert est Inspectrice générale des affaires sociales. Elle a, par ailleurs, exercé les fonctions de conseillère technique et sociale au sein des cabinets des Premiers ministres Bérégovoy et Michel Rocard. Source : Who’s who France 2000-2001, 32è édition, dictionnaire Lafitte Paris, p. 964.

773.

Le Monde, « Première victoire pour les chômeurs », 12 janvier 1998 p. 11.

774.

Ibid

775.

Documentation française, « Chômage : mesures d’urgence et minima sociaux. Problèmes soulevés par les mouvements de chômeurs en France : fin 1997, début 1998 » Marie-Thérèse Join-Lambert, Collection des Rapports officiels, 1998.

776.

Olivier Biffaud et Laurent Mauduit, « Lionel Jospin se refuse à anticiper sur la reprise économique », Le Monde, 27 février 1998, p. 6.

777.

Entretien n° 3 avec M. François Landais.

778.

Les résultats de ce sondage placent « l’exclusion sociale » au rang de préoccupation majeure des Français. Ces sondages n’expriment-ils pas simplement le niveau de sympathie que les actions des organisations de chômeurs de décembre 1997 et janvier 1998 ont suscité auprès de l’opinion publique ? A notre avis, la préoccupation que les personnes interrogées accordent à la problématique de l’exclusion sociale ne peut être valablement dissociée du mouvement des chômeurs. Ce sondage semble traduire l’émotion et l’inquiétude que les problèmes des chômeurs ont suscitée auprès de l’opinion publique. Certes, l’exclusion sociale est une réalité sociale incontestable et qui a même tendance à s’enraciner auprès d’une frange de la population. Mais les résultats de ces sondages ne traduisent ils pas finalement un sentiment réactif et conjoncturel après la médiatisation de la mobilisation des organisations des chômeurs ?

779.

Revue de presse sur l’exclusion, « Sur les problèmes soulevés par les mouvements de chômeurs en France fin 199-début 1998 », Bibliothèque Municipale de Lyon ( BML).

780.

Lors de son audition par la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions sociales, Eric Ducoing affirme le souhait de voir les groupes de défense de la cause des chômeurs devenir membres des comités d’usagers auprès de l’ANPE et de l’AFPA, ainsi qu’auprès des Assedic, voir : rapport du député Jean Le Garrec Tome I : présentation générale p. 56.

781.

Le 21 janvier 1998 sur TF 1 et le 26 février, c’est-à-dire le lendemain de la remise du rapport au Premier ministre, Lionel Jospin confirme sur France 3, les cinq engagements qu’il a déjà pris.

782.

Par une augmentation de 6 % au 1er janvier 1998 et une autre augmentation de 29 % à compter du 1er janvier pour l’allocation d’insertion.

783.

TSA H – 6 mars 1998 – N° 681.

784.

Chargée officiellement de rédiger le rapport le 9 janvier 1998, Mme Marie-Thérèse Join-Lambert remet celui-ci au Premier ministre Lionel Jospin le 25 février 1998. Olivier Biffaud et Laurent Mauduit, « Lionel Jospin se refuse à anticiper sur la reprise économique »,Le Monde, 27 février 1998, p. 6.