Conclusion Partie I chapitre II

Le projet de loi de lutte contre les exclusions est donc le résultat de la mobilisation « intellectuelle » et « physique » des groupes de défense de la cause des plus démunis. Celle-ci peut s’expliquer par la longue maturation de la question de la pauvreté et de la détresse sociale qui a eu lieu au sein de l’organisation ATD Quart-Monde, de la Commission Lutte contre la pauvreté et l’exclusion de l’Uniopss depuis sa création en 1985 puis lors des réunions des membres des collectifs Alerte  et Contre la précarisation et les exclusions.

Les groupes de défense de la cause des plus démunis se sont révélés être des interlocuteurs pertinents des pouvoirs publics avant et pendant le processus de construction de la loi. Ils sont à l’origine de la loi du 29 juillet 1998 et ont, à ce titre, joué un rôle important tant dans la définition de l’objet et du problème « exclusion » que durant la période d'élaboration de ladite loi. La posture sociale et politique de ces acteurs se fonde sur leur capacité à structurer la notion d’exclusion autour d’une image principale : celle du respect des droits fondamentaux et du respect de la dignité humaine. Car, c’est à eux que revient le mérite d’avoir établi, avant les pouvoirs publics, des liens directs entre les exclusions, la pauvreté et le respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine. Ils sont donc, à ce titre, des acteurs essentiels tant en termes de définition que de mise en œuvre de politiques publiques de solidarité et de cohésion sociale.

Contrairement à la « culture » du milieu « sociétal » qui se caractérise généralement par l’affrontement entre groupes de cause pour accéder aux ressources productives et pour défendre leurs positions, ceux des collectifs Alerte et CPE ne semblent pas s’être illustrés par une concurrence acharnée entre eux. La construction de la représentation commune de l’exclusion semble être le résultat d’un processus sinon consensuel du moins convergent. La définition de l’image commune de l’exclusion constitue un puissant facteur de cohésion des « familles » des groupes de défense de la cause des plus démunis. Car, en « s’unissant » autour d’une même représentation cognitive, les groupes de cause affirment leur rôle de forces utiles d'alerte, d'interpellation et de propositions des institutions étatiques et des décideurs politiques sur des questions sociales liées à la place des plus démunis dans la société.

Au-delà de la capacité à interpeller les autorités publiques, les organisations de défense de la cause des plus démunis sont des vecteurs essentiels du « développement » de la législation sociale puisqu’elles innovent, contribuent à la construction et à la consolidation de la cohésion sociétale. Elles ont mobilisé toutes leurs ressources afin de convaincre les décideurs politiques du bien-fondé de leurs propositions. Et, l’écoute que les gouvernements d’Alain Juppé et de Lionel Jospin accordent aux différents acteurs sociaux et à leur collectif prouvent que les institutions étatiques considèrent ces derniers comme des partenaires essentiels des politiques publiques. Les organisations de défense de la cause des plus démunis concourent d’ailleurs à l’intérêt général puisqu’elles considèrent que la pauvreté et les exclusions constituent une « entorse » majeure au respect des droits fondamentaux auxquels tous les êtres humains ont droit.

La loi contre les exclusions a un caractère curatif et préventif. Elle présente quelques innovations essentielles : elle initie, pour la première fois, l’approche globale des questions sur la pauvreté et identifie les principaux axes vers lesquels différents acteurs impliqués dans la lutte contre l’exclusion doivent orienter leurs actions. La loi énonce des repères qui permettent de circonscrire l’étendue d’un phénomène aussi hétérogène (l’emploi, la santé, le logement, l’éducation, la formation, les loisirs, etc.), d’où notre volonté d’affirmer que l’exclusion est « intersectorielle », car elle concerne plusieurs domaines. Cette qualité permet d’identifier l’objet d’analyse de ce phénomène social ainsi que les divers acteurs qui doivent concourir à la lutte contre l'exclusion. L’article premier de la loi du 29 juillet 1998 énonce les trois types d’acteurs principaux, à savoir : le secteur public dont l'Etat, les collectivités locales, les établissements publics, les organismes de sécurité sociale, les institutions sociales et médico-sociales ; le secteur privé avec les entreprises, les organisations professionnelles, les organisations syndicales, les organismes de prévoyance, les groupements de mutualité, les groupes de défense de la cause des plus démunis ; et enfin, les citoyens, les premiers concernés par cette loi.