B/ La Croix et France inter,  entre politisation et « humanisme » : deux médias, défenseurs de la cause « des plus démunis » ?

La presse a-t-elle joué un rôleessentiel dans la politisation et la structuration de la thématique de l’exclusion, et contribué ainsi à faire de « l’exclusion » un sujet de débat public ?Pouvons nous affirmer que le colloque organisé par La Croix et la Radio France Inter a servi de détonateur au point de convaincre, voire même de contraindre les différents candidats à l’élection présidentielle d’inscrire cette problématique sur leurs agendas politiques ? Ces organes de pressecherchent, eux aussi, à véhiculer un message d’humanisme et à mobiliser l’opinion publique vis-à-vis de la cause « des plus démunis ».

La médiatisation de la problématique de l’exclusion semble, en effet, être l’œuvre de tous les quotidiens, tant nationaux 820 que régionaux 821 .

En réalité, les organes de presse ne souhaitent pas laisser l’initiative de la lutte contre les exclusions aux seuls groupes de cause. Ils pensent eux aussi pouvoir jouer un rôle politique en faveur de la cause des plus démunis. L’engagement de ces médias en faveur de la cause des plus démunis tend à confirmer l’idée selon laquelle la presse est un « instrument de « reliance » sociale » 822 . Les deux médias agissent en faveur d’une plus grande prise de conscience d’un mal social dont il va falloir trouver des remèdes. Ils renforcent ainsi l’action revendicative des groupes de cause et contribuent à exercer une forte pression sur les décideurs politiques :

‘« La presse ne réussit peut-être pas, la plupart du temps, à dire aux gens ce qu’il faut penser, mais elle est extrêmement efficace pour dire à ses lecteurs à quoi il faut penser » 823 .’

Les médias ont la faculté de créer des « espaces » de rencontres, de débats, de confrontations d’idées entre groupes de cause et décideurs politiques. Ces « lieux » sont faits pour susciter et contribuer à la mise en place de politiques publiques de lutte contre les exclusions. Ces actes correspondent à leur vocation d’informer et de servir de relais aux organisations de défense de la cause des plus démunis, puisque ces derniers souhaitent alerter l’opinion publique et interpeller les acteurs politiques sur cette problématique sociale.

Les médias jouent donc un rôle très important tant dans la diffusion et la prise de conscience que dans la capacité de mobilisation collective en faveur de la cause des plus démunis, car comme l’affirme Tonino Sérafino «  dans un pays libre, la presse joue un rôle décrypteur, porte sur la place publique des faits de société, assume une fonction de contre-pouvoir. A ce titre elle contribue à faire vivre le débat démocratique (…) » 824 .Les médias ont ainsi permis aux citoyens, aux « exclus » et aux groupes de défense de prendre connaissance des propositions des responsables politiques puisque selon Tonino Sérafino, « La presse n'a fait que porter sur la place publique un fait de société [ici, la lutte contre les exclusions]. Mais en l'analysant, en le décryptant, en le mettant en perspective » 825 .Ils se sont par ailleurs constitués en groupes de pression vis-à-vis des décideurs politiques.

Toutefois, affirmer que cette rencontre marque l’essor social et politique de la problématique de l’exclusion est une appréciation qui peu paraître un peu exagérée. En réalité, la maturation de la question de la lutte contre les exclusions date de la fin des années 1970, avec notamment, l’évocation progressive des thématiques de « nouveaux pauvres », de « précarité », « d’insertion », de « relégation » de « chômage » de longue durée ou même « d’inadaptés sociaux » 826 . Tous ces thèmes précurseurs ont largement contribué à la prise de conscience collective de la problématique de l’exclusion et des conséquences néfastes qu’elle induit sur les individus, les familles et même sur la cohésion nationale. Il semble que la rencontre organisée par ces médias ait plutôt permis le positionnement public des candidats à l’élection présidentielle, de sorte que les électeurs prennent acte de l’engagement des différents acteurs politiques face à ce qui apparaît comme un véritable fléau social.

La tenue de la rencontre organisée à la maison de la radio a été le premier acte symbolique que des médias La Croix et France Inter ont posé pour marquer leur soutien à l’action des groupes qui se mobilisent pour cette cause. Cette rencontre entre différents acteurs de la lutte contre les exclusions a favorisé l’émergence d’une nouvelle représentation des médias et du rôle que ceux-ci peuvent jouer dans un contexte d’élection présidentielle. En effet, l’implication des médias dans le processus de « politisation » de la lutte contre les exclusions laisse supposer que ces derniers ne sont plus de simples observateurs et ne servent plus uniquement de tribunes aux décideurs politiques et aux organisations de défense de la cause des plus démunis. Désormais, ces organes de presse semblent accéder au statut d’acteurs sociaux et peut-être aussi de groupes de pression.

La réunion convoquée par les deux organes de presse donne alors une consistance à la thématique de la Lutte contre les exclusions, puisque tous les acteurs acceptent d’en débattre : les représentants du collectif Alerte, les spécialistes de l’exclusion et du chômage, des universitaires spécialistes des questions de pauvreté et de l’exclusion, et les principaux candidats à l’élection présidentielle. Ces derniers incarnent le pouvoir décisionnel de l’Etat. Ils sont la clef politique du dispositif d’éradication de ce phénomène social. Tous expriment alors leurs préoccupations et tentent de formaliser leurs schémas de lutte contre les exclusions de manière à répondre favorablement aux attentes des plus démunis.

En prenant l’initiative d’organiser une réunion dont le thème est « Vaincre l’exclusion », La Croix et France Inter s’engagent à jouer un rôle central dans la politisation de la thématique de l’exclusion. Les médias ne constituent-ils pas parfois des vecteurs dont usent les groupes de pression pour contraindre les responsables politiques à prendre des décisions publiques lors des consultations électorales ?

Notes
820.

Le Monde, Libération, Le Figaro, l’Humanité, etc.

821.

Plusieurs quotidiens ont largement fait écho de la problématique de lutte contre l’exclusion : La Renaissance du Loir et Cher, 2 et 24 décembre 1994 ; L’Aurore du Bournonnais 2 décembre 1994 ; Réforme, 10 décembre 1994 ; Les dernières nouvelles d’Alsaces, 13 décembre 1994 ; Autrement dit, 25 novembre 1994 ; Ouest France, 1 er décembre 1994 ; La Provence Libérée, 10 décembre 1994.

822.

Grégory Derville, Le pouvoirs des médias, PUG, p. 50.

823.

Ibid. p. 61.

824.

Entretien n° 31 avec le journaliste Tonino Sérafino

825.

Ibid

826.

François Bonnet et Franck Nouchi, « Les pouvoirs publics n’ont pas su enrayer la montée de la grande pauvreté »,Le Monde, 30 mars 1995, p. 9. Lire également Sous la direction de Serges Paugam, L’exclusion, l’état des savoirs, Paris, La découverte, 1996.