B/ L’apport d’autres institutions sociales consultatives : des contributions spécifiques mais complémentaires

Le Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, le Conseil National des Politiques de Lutte contre la Pauvreté et l’exclusion et enfin le Haut Comité de la Santé Publique, ont également largement contribué à consolider et à légitimer l’idée selon laquelle il est nécessaire de faire adopter une loi d’orientation de lutte contre les exclusions. Ces différentes institutions ont été régulièrement consultées par les gouvernements d’Alain Juppé et de Lionel Jospin 847 . Elles ont donné leurs avis quant à l’orientation générale du texte de loi et aux mesures qui forment le corpus de cette loi. Mais la contribution de ces institutions est toutefois restée limitée à leur champ de compétence.

Les avis des institutions publiques consultatives apparaissent, soit sous forme de critiques, soit sous forme de soutiens à la philosophie, à l’architecture du texte projeté et au contenu des projets de loi. Nous ne pouvons affirmer que ce sont les institutions publiques sociales consultatives qui sont à l’origine de cette loi, ni même de son contenu. Cependant, elles ont joué le rôle de garant « moral » et politique de l’esprit et du contenu de la loi. En effet, les critiques émises par ces institutions contre l’avant-projet de loi de Renforcement de cohésion sociale du gouvernement d’Alain Juppé ont permis par exemple au gouvernement de Lionel Jospin d’améliorer « son » projet de loi. Objectivement, le gouvernement de la « majorité plurielle » a évité les lacunes, les carences et les insuffisances qui avaient déjà été reprochées au projet de loi présenté par le gouvernement Juppé.

Ainsi, par exemple, le projet de loi du gouvernement Jospin a intégré la recommandation du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées 848 , puisque la loi relative à la lutte contre les exclusions prévoit un ensemble de mesures visant à garantir l’accès au logement aux personnes les plus démunies.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme a apporté aussi sa caution « morale » au projet de loi contre les exclusions 849 . Cette institution dit se satisfaire de la philosophie générale du projet dans la mesure où ce texte de loi met l’accent, selon elle, sur des mécanismes d’insertion sociale par la mise en œuvre de garantie d’accès à tous aux droits fondamentaux, la prévention des situations d’exclusion en enfin, la mise en place des mécanismes d’urgence et d’actions préventives contre les exclusions sociales. Le projet de loi de lutte contre l’exclusion affiche des objectifs qui correspondent donc à l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Il résulte de l’avis de cet organisme que le gouvernement de Lionel Jospin a pris en compte les observations de la CNDH puisque cette dernière relève avec satisfaction que le projet de loi réaffirme « le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains » 850 .

Toutefois, la Commission nationale consultative des droits de l’homme regrette l’absence de référence à la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 et au préambule de la constitution de 1958. Elle exprime également des regrets quant au recours aux droits économiques, sociaux et culturels. En revanche, elle accueille favorablement des dispositions relatives à l’accès au logement, aux soins des plus démunis et à l’exercice de la citoyenneté. Elle souhaite que soient pris en compte le traitement des situations de surendettement, la saisie immobilière, l’interdiction bancaire et les moyens d’existence. Enfin, la Commission nationale consultative des droits de l’homme recommande la garantie des droits à l’éducation et à la culture, à la mobilisation et à la coordination des acteurs institutionnels 851 .

La position de la Commission nationale consultative des droits de l’homme reste par ailleurs mitigée sur le chapitre relatif à l’emploi. Elle se déclare favorable aux dispositions qui prévoient l’accès à l’emploi des personnes en difficulté et à la lutte contre l’illettrisme. Elle fait toutefois remarquer que le programme d’action d’accompagnement personnalisé pour les jeunes de 16 à 25 ans en difficulté reste en dessous des besoins annuels 852 .

Le projet de loi du gouvernement de Lionel Jospin cherche également à se saisir de la question de la dégradation de la situation sanitaire des personnes les plus démunies. En effet, aux termes d’une étude sur l’état de santé des « exclus », le Haut comité de la santé publique 853 a, dans un rapport baptisé La progression de la précarité en France et ses effets sur la santé , constaté que « la progression actuelle des phénomènes de précarisation qui fragilisent des secteurs entiers de la population est susceptible, à moyen terme, de provoquer une réelle dégradation de la santé des couches sociales les plus défavorisées et, au-delà, celle de la population toute entière » 854 . Selon cet organisme le phénomène d’exclusion atteint des proportions inquiétantes, car la précarité sanitaire touche 12 à 15 millions de personnes représentant 20 % à 25 % de la population. Face à cette situation sociale particulièrement critique, le HCSP interpelle les autorités publiques sur « l’absence d’envergure visant les jeunes peu qualifiés et d’origine modeste qui sont les plus exposés à la précarité », et suggère alors que «  la lutte contre la précarité de l’emploi, mais aussi contre la dégradation des conditions de travail », puissent « représenter la priorité des priorités, en particulier pour la jeunesse » 855 .

Le gouvernement Jospin a répondu favorablement à cette recommandation en élaborant une loi spécifique dite de couverture maladie universelle. Celle-ci vise à permettre aux plus démunis d’avoir accès aux soins gratuitement, et ce, à moindre coût. A priori, le gouvernement de Lionel Jospin a tenu compte des critiques qui avaient été adressées au projet de loi de Renforcement de la cohésion sociale 856 du gouvernement d’Alain Juppé. Il s’en est même servi pour élaborer une loi plus consensuelle puisqu’à la publication du projet de loi de Lutte contre les exclusions, celui-ci a suscité moins d’hostilité de la part des groupes de défense de la cause des plus démunis et des décideurs politiques.

Ainsi que nous l’avions déjà affirmé, les institutions publiques consultatives ne disposent certes pas du pouvoir de décider du sens et du contenu des projets de loi, mais elles ont, quant même, proposé certaines options et permis de conforter l’orientation philosophique et politique du texte de loi. Elles ont contribué, grâce à leurs avis, parfois critiques, à façonner le texte de loi. Les institutions consultatives n’ont donc pas été de simples organismes dont le rôle consisterait uniquement à légitimer les décisions du gouvernement ou du Parlement 857 .

Les institutions consultatives soutiennent au final les mécanismes d’insertion sociale prévues par les projets de loi de Renforcement de la cohésion sociale et de Lutte contre les exclusions.

Notes
847.

Archives Médecins du Monde, dépêche AFP, « La loi de cohésion sociale manque d’ambition, selon la Commission consultative des droits de l’Homme », Paris, 10 décembre 1996 ; Archives Médecins du Monde, dépêche AFP, « Loi de cohésion sociale : l’avis critique du CES massivement adopté », Paris, 11 décembre 1996.

848.

Archives Médecins du Monde : le Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées considère que le droit au logement doit être une réalité concrète et non un voeu pieux. Il préconise alors la mise en place d’une droit de recours dont pourraient user toutes les personnes et familles non logées ou mal logées. Ils font quatre propositions : la publication annuelle de l’occupation sociale des HLM, l’utilisation réelle des contingents préfectoraux, l’obligation pour les organismes d’HLM de leur politique d’attribution, de leurs objectifs, de leurs résultats aux préfets et aux maires et enfin, l’instauration d’une taxe d’inhabitation sur les logements vacants. Les membres du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisés ont émis cet avis le 10 octobre 1996, c’est-à-dire bien avant même que ne soit dissout l’Assemblée Nationale. Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale adopte un avis le 12 décembre 1996 dans lequel il souhaite l’instauration d’une taxe d’inhabitation.

849.

Il en est de même du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. il apprécie la philosophie de ce texte qui consiste à ne pas créer de droits pour les exclus, mais à organiser simplement l’accès de chacun aux droits reconnus à tous, c’est–à-dire l’accès effectif de tous les citoyens aux droits fondamentaux : citoyenneté, logement, emploi, santé, éducation et culture. Selon le C.N.L.E, ce projet de loi présente des avancées certaines parce que « l’objectif de résoudre la cohésion sociale devient l’affaire de tous » et qu’une fois adoptée, la loi garantira l’engagement de la nation dans la lutte contre ce phénomène. En dehors de ces aspects positifs, le C.N.L.E note quelques dispositions qui lui paraissent critiquables. Il dénonce la tonalité générale plus curative que préventive et l’insuffisance de moyens déployés par rapport aux objectifs affichés. Source : Document que M. Philippe Coste a mis à notre disposition lors de notre entretien. 

850.

Gérard Adam, « Un programme de trois ans pour lutter contre l’exclusion »,La Croix, 5 mars 1998, p. 3.

851.

Dépêche AFP : « La loi de cohésion sociale manque d’ambition » selon la CDH, Paris, décembre 1996.

852.

Archives Médecins du Monde : a vis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme portant sur le projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions.

853.

Selon le site internet du Haut Comité de la santé publique, (HCSP), cette institution créée par décret du 3 décembre 1991 est placée auprès du ministre chargé de la Santé. Elle a pour mission générale d’apporter des éléments d’aide à la décision en vue d’améliorer la santé publique :» Il [le HCSP] développe l’observation de l’état de santé de la population et contribue à la définition des objectifs de la politique de santé. Il établit à cet effet un rapport triennal La santé en France comportant des indicateurs régulièrement suivis ainsi que des analyses prospectives et globales sur des problèmes de santé publique. Il établit chaque année un rapport destiné à la conférence nationale de santé et au Parlement dans le cadre de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Saisi par le ministre sur des problèmes spécifiques de santé publique ou d’organisation des soins, il élabore des rapports et formule des recommandations qui participent à l’élaboration de mesures législatives et réglementaires ». Il publie une revue trimestrielle, Actualité et dossier en santé publique (adsp) qui propose un dossier thématique et des repères juridiques, économiques, épidémiologiques, politiques et institutionnels. Source : http://hcsp.ensp.fr

854.

Le Monde, 22 et 23 février 1998 p. 7.

855.

Ibid.

856.

Selon Actualités Sociales hebdomadaire, « Les associations [Celles du collectif Alerte] restent critiques [sur le projet de loi de renforcement de cohésion sociale] regrettant à nouveau les lacunes du texte en matière de soins médicaux et l’absence d’implication dans le projet des ministères de l’Education nationale et de la Culture […] Plus radicaux, les mouvements de sans-abri, chômeurs et autres « sans-droits » ont, après avoir occupé symboliquement le château de Versailles le 13 avril, manifesté le 15 avril devant l’Assemblée nationale pour demander « l’abolition de l’exclusion » et réclamer « la mise au placard de la loi » ». Actualités Sociales hebdomadaire, n° 2019 du 18 avril 1997 p. 13. 

857.

Archives ATD Quart-Monde, Geneviève de Gaulle-Anthonioz : « En un an, nous sommes passés de 3 à 51 milliards, ce n’est pas rien » proclame la Présidente d’ATD Quart-Monde. Dépêche AFP n°051317, datée du 5 mars 1998.