Conclusion Chapitre I Partie II

Pendant le processus d’élaboration de la loi contre les exclusions, les gouvernements d’Alain Juppé et de Lionel Jospin et le Parlement associent et négocient avec les groupes de cause. Cette démarche répondait à la volonté de créer une dynamique commune entre les pouvoirs publics et les groupes de cause afin d’éradiquer toutes les formes d’exclusion. Il s’agissait, au fond, de rechercher un rapprochement entre différents acteurs.

Les gouvernements d’Alain Juppé et de Lionel Jospin et le Parlement sont les seules institutions publiques habilitées à conférer le statut d’interlocuteurs aux organisations de défense de la cause des plus démunis. Cette « étiquette » est naturellement convoitée par la soixantaine de groupes de défense de la cause des plus démunis qui compose les deux collectifs Alerte et CPE. Il résulte de différents rapports entre les décideurs politiques et les groupes de cause, que les acteurs politiques préfèrent dialoguer avec les organisations caritatives, sociales et humanitaire, membres du collectif Alerte, c’est-à-dire les groupes de cause réformistes.

En procédant à la nomination du père Joseph Wrésinski au Conseil Economique et social en 1979, le Président Valéry Giscard d’Estaing affirme les liens « fraternels » qui existent entre les groupes de cause caritatifs et réformistes et les décideurs politiques. Cette nomination traduit une double signification : d’une part, elle témoigne de l’aptitude du pouvoir étatique à élever tel ou tel groupes de cause au rang de partenaire social légitime et, d’autre part, elle induit la proximité relationnelle qui existe entre les responsables politiques et les organisations caritatives de lutte contre les exclusions.

Il apparaît, que l’Uniopss et le groupe de cause créé par le père Joseph Wrésinski ATD Quart-Monde sont, historiquement, parmi les premières organisations de défense de la cause des plus démunis à être reçu par les décideurs politiques. Et pour cause, l’Uniopss et ATD Quart-Monde sont, depuis leur création, considérées par les pouvoirs publics comme des interlocuteurs pertinents des gouvernements et les Parlementaires. Ces organisations réformistes se caractérisent aussi par un discours parfois violent et des critiques acerbes sur l’action des décideurs politiques, notamment sur les choix politiques et économiques de ces derniers. Les prises de positions des leaders de groupes de cause radicaux donnent parfois l’impression que ceux-ci abordent la problématique de la lutte contre les exclusions en préconisant des solutions « politiques ». Une telle posture crée généralement des approches divergentes entre ces derniers et les décideurs politiques. L’existence de relations conflictuelles entre les groupes de cause radicaux et les pouvoirs publics ne favorise pas l’instauration de relations stables, apaisées et confiantes entre les représentants du gouvernement de Lionel Jospin et cette nouvelle catégorie d’organisations de défense de la cause des plus démunis.

Les organisations caritatives sont, sur la question de la lutte contre la pauvreté, régulièrement sollicitées par les pouvoirs publics 1030 . En effet, les groupes de cause détiennent une connaissance des problématiques de la pauvreté et de la misère qui pousse les décideurs politiques à se référer à ces groupes de cause avant d’initier un projet de loi ou de prendre des mesures administratives 1031 .

Les portes des administrations publiques s’ouvrent plus facilement aux organisations caritatives réformistes qu’aux groupes de cause radicaux. Les organisations caritatives accèdent facilement aux institutions étatiques parce qu’elles cultivent la stratégie de la non confrontation. Elles sont partisanes de la négociation pacifique avec les responsables de l’Etat. Ces groupes de cause ne se positionnent pas en contre-pouvoirs des gouvernements. Ils s’affichent plutôt comme des organisations qui portent des conseils à l’Etat, indiquent aux gouvernements les incohérences, les insuffisances, les lacunes de telle ou telle mesure sociale sans pour autant chercher à contester ou à affronter les pouvoirs publics.

Les revendications des organisations réformistes de défense de la cause des plus démunis restent circonscrites au champ institutionnel, c’est-à-dire à un répertoire « légal », contrairement aux organisations radicales de défense de la cause des chômeurs, des mal logés et des sans logis, groupes de cause radicaux dont les revendications peuvent parfois être qualifiées de « hors normes » 1032 . Elles se singularisent par un mode opératoire fondée sur l’action sur le terrain. Ces groupes de cause n’hésitent pas à descendre dans « la rue » pour exiger la prise en compte de leurs demandes ou à réaliser des actions d’éclats généralement médiatisées afin de susciter la sympathie et l’adhésion de l’opinion publique.

Notes
1030.

L’abbé Pierre a été reçu par le Premier ministre Laurent Fabius à l’hôtel Matignon en octobre 1984. A la suite de cette rencontre, le fondateur d’Emmaüs déclarait que : « Notre société [la société Française] est condamnée à un triple partage : l’emploi, les revenus de l’emploi et les loisirs pour tous ». Le Monde, « Des propositions de l’abbé Pierre », 11 octobre 1984. p.10. Fin Mars, le ministre des Affaires sociales et de la solidarité Pierre Bérégovoy reçoit des associations de lutte contre la pauvreté afin de « vérifier les conséquences des décisions gouvernementales sur le terrain » : Le Monde, « Le troisième anniversaire de la société Emmaüs », 30 mars 1984, p. 29.

1031.

Les groupes de défense de la cause des plus démunis que sont le Secours catholique, le Secours populaire et ATD Quart-Monde ont réagi positivement aux mesures prises par le gouvernement lors du conseil des ministres du 30 octobre 1985 : Le Monde, « Les sociétés caritatives réagissent positivement aux mesures contre la pauvreté », 6 novembre 1985, p. 34.

1032.

Pour le gouvernement de Lionel Jospin, il n’est pas question d’étendre par exemple le revenu minimum d’insertion aux jeunes de moins de 25 ans comme l’exigent les groupes de cause « radicaux ». Source : Judith Waintraub, « Jospin se méfie des emballements », Le Figaro, 27 février 1998. p. 6. Lire aussi Olivier Biffaud, « Lionel Jospin confirme ses engagements pour les exclus, mais refuse un RMI-jeunes », Le Monde, 28 février 1998, p. 6.