A/ Une loi fondée sur la nécessité de rendre effectif les droits fondamentaux

La loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions se présente comme une norme législative dont le sens est entièrement centré sur la notion de respect de la dignité humaine puisqu’elle se fixe pour objet majeur d’assurer l’effectivité des droits fondamentaux. L’objectif de la loi correspond à celui affiché par les groupes de cause et les décideurs politiques. Ceux-ci ont en effet souhaité que les décideurs politiques adoptent une loi qui ne crée pas un droit spécifique pour les plus démunis, mais une loi qui favorise l’accès pour tous aux droits de tous.

La construction d’une loi pour les pauvres ou les plus démunis aurait d’ailleurs eu pour effet de créer des droits inférieurs à ceux des citoyens ordinaires. L’idée de garantir une égalité des chances à tous les citoyens a été soutenue par le Président de la République Jacques Chirac et par les gouvernements d’Alain Juppé et de Lionel Jospin. Pour ces deux gouvernements, la loi contre les exclusions ne doit pas consister à créer des dispositions législatives nouvelles ou de nouveaux droits spécifiques aux plus démunis. Elle doit plutôt assurer l’accès aux droits à tous les citoyens, et notamment bien sûr aux plus démunis. Les positions des deux gouvernements rejoignent alors les préoccupations des groupes de défense de la cause des plus démunis qui se sont toujours opposés à ce que la loi relative à la lutte contre les exclusions soit une loi spécifique pour les personnes en difficulté 1043 .

Ce texte de loi n’a pas vocation à créer une discrimination entre les citoyens. Il s’agit essentiellement et uniquement d’accorder aux plus démunis les droits reconnus à tous, d’où le choix des responsables politiques de concevoir la lutte contre les exclusions à partir de l’accès aux droits fondamentaux. En réalité, les décideurs politiques ne semblent pas seulement souhaiter répondre favorablement à une demande des collectifs Alerte et CPE  ainsi qu’à celle du groupe de cause ATD Quart-monde. Ils disent aussi vouloir réaliser un objectif humaniste : rendre effectif le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains par la garantie de l’accès effectif de tous aux droits fondamentaux.

Pour atteindre cet objectif, la loi confère au gouvernement la mission de jouer le rôle de pilote tant dans la définition que dans la mise en œuvre des mécanismes de lutte contre les exclusions. C’est aux institutions étatiques que revient la mission de faire appliquer et de faire respecter les droits de tous 1044 . Pour accomplir leurs missions, les pouvoirs publics identifient d’abord les dysfonctionnements, repèrent les facteurs qui génèrent l’exclusion sociale et définissent les processus de manière à mieux prévenir cette situation sociale. Les groupes de cause et les décideurs politiques qui participent à la construction de cette loi souhaitent que tous les outils d’insertion soient mis en œuvre afin d’éviter que les personnes ou familles ne (re)tombent dans des situations de grande pauvreté.

Et, ainsi que nous l’avons déjà dit, la loi relative à la lutte contre les exclusions n’a pas seulement pour objet d’afficher des droits nouveaux. Elle cherche d’abord à conforter les droits qui existent déjà dans l’arsenal juridique 1045 . Les décideurs politiques déclarent vouloir placer l’homme au cœur de leurs actions et restaurer la dignité de celui-ci. C’est cette démarche qui justifie le fait que la loi contre les exclusions soit centrée autour de l’affirmation des droits fondamentaux pour tous et mobilise les moyens pour concrétiser cette affirmation dans la réalité du quotidien.

En considérant la lutte contre les exclusions comme un acte d’» impératif national » 1046 , les gouvernements de Lionel Jospin et d’Alain Juppé se prononcent clairement en faveur de la mise en exergue des droits essentiels à tous les individus et pour la garantie ou la protection de ces droits contre d’éventuelles atteintes 1047 . Cette vision conforte la thèse que le groupe de cause ATD Quart-Monde défend et qui a été reprise puis soutenue par presque tous les groupes de cause, membres des collectifs Alerte  et CPE puis GTI.

La loi d’orientation ainsi adoptée, sous la pression des principaux groupes de cause, a pour objet d’inscrire la lutte contre les exclusions dans la durée et dans un cadre global et cohérent. Cette loi apparaît ainsi comme un acte de reconnaissance, ciment du lien social. Elle s’appuie sur l’autonomie et la responsabilité de chaque citoyen et affirme l’urgence qu’il y a à défendre les principes et les droits essentiels de vie en société puisqu’elle conjure le risque d’apparition de zones de non droit ou de droits de seconde zone qui affecteraient des « lieux » ou catégories de population en grandes difficultés sociales. Enfin, cette loi affirme le droit pour « tous » et cherche à concrétiser cet engagement dans la réalité quotidienne dans la mesure où elle ambitionne de placer l’homme au cœur des politiques publiques en permettant à celui-ci de retrouver sa dignité.

La réalisation d’un tel objectif suppose de rompre avec la logique d’assistance puisqu’il s’agit de redonner à « l’exclu » sa place dans la société par un accès à l’autonomie. Pour cela, les pouvoirs publics mettent en place des actions et des mécanismes. Ce dispositif comprend des outils pour faciliter l’accès à l’emploi, à la formation, aux soins médicaux et au logement, ainsi qu’un système d’aide financière et un accompagnement à la vie civile. Cette loi est donc le cadre qui fixe l’exercice des droits civiques et assure à chaque individu le droit et les moyens d’exercer sa responsabilité pour la conquête ou la reconquête de son autonomie.

En définitive, la loi contre les exclusions apparaît alors comme la manifestation « législative » de la mobilisation des énergies et des initiatives de l’ensemble des groupes de cause du champ « exclusion ». Les deux projets de loi, l’un dénommé projet de loi de Renforcement de la cohésion sociale présenté Jacques Barrot et Xavier Emmanuelli, et l’autre relatif à la Lutte contre les exclusions de Martine Aubry, incarnent la manifestation de cette mobilisation. Ces deux projets de loi procèdent de la philosophie formulée par Geneviève Anthonioz de Gaulle et par le collectif Alerte :

‘« Notre société doit refuser de mettre en place des droits au rabais marginalisant et stigmatisant. L’application des mêmes droits pour tous et le respect de ces droits sont le signe et le gage de l’accès à la pleine citoyenneté pour chacun » 1048 . ’

L’approche philosophique de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, fondée sur l’octroi des mêmes droits pour tous, constitue l’essence même du projet de loi du gouvernement de Lionel Jospin, dans la mesure où il symbolise

‘«  à la fois l’expression d’un retour à l’espoir et aussi le rappel que c’est une action qui doit s’inscrire quotidiennement dans la durée pour que ces personnes [les plus démunis] puissent retrouver leur liberté d’agir, une reconnaissance de leur participation à la vie économique et sociale [de notre pays] et donc une citoyenneté à part entière » 1049

Pour mieux lutter contre les exclusions, les décideurs politiques prévoient un corps de 150 articles. Cette loi comporte de nouveaux droits auxquels peuvent recourir les « exclus » pour s’insérer ou se réinsérer dans « la société ».

Notes
1043.

Pour les groupes de cause membres du collectif Alerte, la loi contre les exclusions sociales « ne doit pas mettre en place des droits au rabais marginalisant les plus pauvres ». Archives Uniopss, compte-rendu de la réunion entre les groupes de cause du collectif Alerte et le Secrétaire d’Etat au logement, le 19 septembre 1997. La CFTC par exemple, « refuse que le projet de loi contre les exclusions institue un droit spécifique qui établisse l’exclusion en état de fait ». Source : Archives Médecins du Monde : dépêche AFP « la CFTC ne veut pas d’un droit spécifique qui établisse l’exclusion », 3 mars 1998.

1044.

En proclamant que la lutte contre les exclusions sociales est un « Impératif national » l’action en faveur des plus démunis doit nécessiter la mobilisation effective de « l’ensemble des politiques publiques de la nation », au premier rang desquels les pouvoirs publics : l’Etat et les collectivités territoriales, les institutions en charge de la sécurité sociale et des institutions sociales et médico-sociales. Toutes ces institutions doivent concourir à l’éradication de l’exclusion sociale. Et pour cause, ces différentes institutions ont reçu la mission de « prendre les dispositions nécessaires pour informer chacun de la nature et de l’étendue de ses droits » et « d’aider éventuellement par un accompagnement personnalisé à accomplir les démarches administratives ou sociales nécessaires à leur mise en œuvre dans les délais les plus rapides ». Article 1er de la loi.

1045.

Article 2 du projet de loi.

1046.

L’article premier de la loi réaffirme de manière solennelle l’impératif national que constitue la lutte contre les exclusions à travers l’accès effectif aux droits fondamentaux de divers champs d’actions tels l’emploi, le logement, la santé, l’éducation, la formation, la culture et la vie familiale. Aussi, pour réaliser cet impératif national, de nombreux acteurs concourent à la mise en œuvre de ces principes : l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics, les organisations professionnelles ou interprofessionnelles, les organisations syndicales, les organismes de sécurité sociale ainsi que les institutions sociales. La contribution de toutes ces institutions est nécessaire à la lutte contre les exclusions, car chacune d’elle doit œuvrer au respecter de la dignité des plus démunis.

1047.

Les groupes de défense de la cause des plus démunis, notamment ceux réunis au sein du collectif Alerte, ont toujours souhaité que la lutte contre les exclusions soit érigée au rang de priorité nationale. Ils ont souhaité que ce texte de loi se réfère au préambule de la Constitution de 1946 qui « assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Source : document Uniopss : Alerte : Pour la participation de tous. Lutter contre la pauvreté et l’exclusion : une priorité nationale ». p. 1.

1048.

Archives Uniopss, document « Alerte », 19 mars 1998. p. 1.

1049.

Ibid. p.1.