B/ L’exclusion comme problème appelant désormais un traitement global

Les exclusions sociales sont de nature et de formes diverses : elles peuvent être physiologiques, psychologiques, sociales, éducatives, culturelles, économiques et politiques. C’est un phénomène complexe et multidimensionnel. Or, le traitement des situations de détresse sociale sous la forme globale a été largement inspiré par les groupes de cause des collectifs Alerte et CPE. Cette approche constitue une véritable « révolution conceptuelle » 1097 . Les décideurs politiques s’accordent, eux aussi, à reconnaître que la lutte contre les exclusions n’est désormais possible qu’à travers une vision d’ensemble des différentes situations d’exclusion.

La ministre Martine Aubry reconnaît à cet effet « qu’il faut s’attaquer à la source du problème, davantage que par des dispositifs spécifiques, la lutte contre les exclusions passe par une politique plus globale d’amélioration du pouvoir d’achat ou de mesures en faveur de l’emploi » 1098 . C’est une loi d’orientation qui donne un cap et fixe un cadre pour l’action contre le phénomène d’exclusion, la pauvreté et la précarité.

Cette loi marque aussi un changement de logique dans la mesure où elle prône le passage de la solidarité, c’est-à-dire de l’assistance aux plus démunis, à l’octroi des outils qui permettent à ces derniers de devenir eux-mêmes acteurs de leur vie. Il n’est donc plus question de construire une loi d’assistés sociaux ou d’assistance, ni un texte de loi qui conférerait une citoyenneté de seconde classe aux « exclus » puisque la loi ne crée pas un droit des « exclus ». Autrement dit, l’objectif de la loi contre les exclusions n’est pas d’afficher des droits nouveaux mais de permettre aux plus démunis de devenir des citoyens à part entière au même titre que tous ceux qui sont normalement insérés dans la « société » et qui de ce fait exercent leurs droits civiques.

Pour relever ce défi, la loi se fonde sur l’accès aux droits fondamentaux et s’articule autour de cinq priorités : l’emploi, le logement, la santé, l’éducation et la culture. Ces droits constituent les conditions d’une insertion sociale réussie. L’expression de ces différentes aptitudes révèle que les politiques publiques de lutte contre les phénomènes d’exclusion et de pauvreté ne peuvent se concevoir en dehors de la réalisation et de l’effectivité de ces principaux droits. Ces droits ne sont pas une simple énonciation. Ils doivent être effectifs car, il n’est pas possible de concevoir une véritable politique de cohésion sociale ou de lutte contre les exclusions si l’accès à l’emploi, l’obtention d’un logement ou encore la prévention et les soins demeurent des principes théoriques sans efficacité pratique.

La pluralité des droits comme fondements d’une insertion réussie indique clairement que les gouvernements et les parlementaires ambitionnent de mener un combat contre toutes les exclusions quelle que soit leurs formes,

‘« Nous l’avons donc abordée sous plusieurs angles : des mesures pour l’emploi, pour l’accès aux soins, l’hébergement d’urgence pour l’emploi, pour l’accès aux soins, l’hébergement d’urgence, l’exercice de la citoyenneté, l’accès à l’éducation et à la culture, le droit au logement, la mixité sociale et géographique dans l’habitat, le traitement des situations de surendettement » 1099 . ’

La prise en compte de ces différents aspects résulte du caractère multidimensionnel de l’exclusion même. Et, c’est probablement cette caractéristique qui justifie le fait que cette loi soit finalement un « condensé » de plusieurs spécialités juridiques. On peut y trouver des aspects de droit du travail, de la sécurité sociale, du logement, du droit bancaire. Cette loi comporte également des mesures juridiques qui touchent à la lutte contre les expulsions, contre la ségrégation sociale par l’habitat, aux règles du cautionnement, au traitement du surendettement, à l’accès à la culture et à l’éducation et à la lutte contre l’illettrisme… La garantie de tous ces droits  dans un texte de loi témoigne de l’engagement des décideurs politiques à faire en sorte que la dignité des plus démunis soit reconnue et respectée.

Il convient d’apporter ici une remarque fondamentale : la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions n’a pas vocation à changer « la culture » ambiante d’un coup de baguette magique. Ce n’est qu’un outil qui doit pousser au changement. Il ne faut donc pas voir dans cette loi, une espèce de vertu aux effets immédiats. Cette loi n’est qu’un acte qui exprime une vision sur le processus complexe de lutte contre la pauvreté et les exclusions. Cette loi a pour vertu de ne pas favoriser l’émergence d’une société à deux vitesses.

L’adoption de cette loi ne peut donc, à elle seule, être considérée comme un acte débouchant systématiquement sur un changement réel des conditions de vie des populations particulièrement fragiles. Ce texte de loi est, à ce titre, un outil de mobilisation collective, et c’est pourquoi il y a dans cet engagement des décideurs politiques une volonté, au fond, de déceler un pacte qui permet à l’ensemble des parties prenantes de savoir dans quelle condition elles avancent :

« On voulait à la fois éviter une loi qui soit uniquement une loi de proclamation, c’est-à-dire une loi creuse et en même temps, on savait qu’il y avait à indiquer dès le préambule un certain nombre d’axes extrêmement forts » 1100 .

Les organisations de défense de la cause des chômeurs ont conscience de la capacité des pouvoirs publics d’être à l’écoute des difficultés de vie auxquelles sont confrontées les plus démunis. Ils essayent, à l’approche de l’adoption du projet de loi, de faire passer leurs idées ou propositions et plus particulièrement de devenir acteurs des politiques publiques de lutte contre les exclusions qui sont prises au niveau local. ( Section II).

Notes
1097.

Cette approche défendue par les groupes de cause de la lutte contre les exclusions, réaffirmée au sein du Conseil Economique et Social a été prise en compte par les pouvoirs publics. Les deux rapports du Conseil économique et social des présidents successifs d’ATD Quart-monde à savoir Joseph Wresinski en 1987 puis de Geneviève de Gaulle-Anthonioz en 1995. Cette approche fait de la lutte contre la pauvreté une exigence éthique liée à l’égale dignité de tout être humain. Les responsables politiques se sont engagés, depuis l’élection présidentielle de 1995, à élaborer une loi d’orientation contre les exclusions. Une telle loi implique une action globale cohérente et prospective, au niveau des pouvoirs publics comme des partenaires sociaux, et l’établissement d’un partenariat avec les personnes, familles et communauté très pauvres.

1098.

Jérôme Feneglio, « Les associations déplorent le silence des politiques sur la pauvreté »,Le Monde 18 octobre 1997, p. 12.

1099.

Entretien n° 50 avec le député Georges Hage.

1100.

Entretien n° 5 avec Mr Durrleman.