Section II : La consécration des groupes de cause comme acteurs locaux des politiques de lutte contre les exclusions

En quoi les groupes de défense de la cause des plus démunis peuvent-ils être considérés comme des acteurs des politiques publiques de lutte contre les exclusions sociales ? Cette question renvoie à une interrogation sur les mécanismes d’intégration des groupes de cause au sein des institutions de construction et de mise en œuvre des politiques publiques de lutte contre les exclusions à l’échelle locale et nationale.

Les politiques publiques ne peuvent être conçues et mises en œuvre s’il n’existe pas « des acteurs concrets » 1101 pour leur donner une « visibilité » et une consistance réelle. Parmi les acteurs de ce projet de loi figurent avant tout le gouvernement, le Parlement et les groupes de défense de la cause des plus démunis.En effet,ces derniersparticipent activement à la régulation sociale de la problématique de l’exclusion du fait de l’intérêt que les gouvernements d’Alain Juppé et de Lionel Jospin leur accordent et de la qualité des propositions que les groupes de cause publient régulièrement 1102 . L’importance du rôle des groupes de cause se justifie, à notre avis, parce que d’une part ce sont des médiateurs sociaux qui animent un réseau d’action publique et d’autre part, parce qu’ils revendiquent une connaissance et un savoir dont les autorités gouvernementales et parlementaires ont besoin pour élaborer la loi.

Les institutions gouvernementales et parlementaires consultent toutefois plus fréquemment les groupes de cause du collectif Alerte par rapport à ceux du collectif CPE. Et pourtant les groupes de cause du collectif CPE constituent, eux aussi, un pôle de défenseurs de la cause des plus démunis. Les cabinets ministériels et les parlementaires accordent au collectif Alerte un privilège de dialogue plaçant ainsi ce collectif au rang departenaire pertinent des pouvoirs publics. Le dialogue que les décideurs politiques nouent avec les collectifs Alerte et CPE légitime la posture de ces groupes de cause, car comme l’affirme Hugue Feltesse, la loi contre les exclusions « a permis de resserrer une réelle permanence d’échanges entre représentants du monde associatif et les institutions ou autorités publiques concourant à la lutte contre les exclusions » 1103 . Quant aux autorités publiques, elles tirent profit de ces contacts dans la mesure où les représentants de l’Etat accèdent à une plus grande connaissance du phénomène « exclusion ».

L’interaction entre les groupes de cause et les décideurs politiques est fondamentale. Ces deux catégories d’acteurs étatiques et de la société civile définissent le cadre intellectuel de l’exclusion. Mais au-delà de cette dynamique interactionnelle, c’est l’institution étatique qui a le monopole exclusif de la conduite de la construction et du contenu de la loi.

Comment les décideurs politiques conçoivent l’insertion sociale au regard de la diversité des processus conduisant à l’exclusion ? Quels méthode et procédé les décideurs politiques retiennent-ils pour lutter contre l’exclusion ou pour influer sur ce phénomène social ? Ces questionnements qui se situent au centre de notre étude vont nous amener à analyser les stratégies et les dispositifs que les décideurs politiques ont finalement retenu , à travers la loi, pour définir les actions, sécuriser les parcours et les trajectoires d’insertion.

La loi relative à la lutte contre les exclusions ne comprend pas que des principes d’insertion sociale, elle énonce également un certain nombre de mécanismes et de procédures qui permettent aux groupes de défense de la cause des « exclus » de jouer un rôle de représentation, d’insertion et d’action « politique » au niveau local (I). L’implication locale de l’action des groupes de cause doit s’inscrire dans une dynamique nationale de lutte contre le phénomène d’exclusion (II). Certes, l’esprit de la loi n’est pas contesté mais l’adoption de ce texte de loi se heurte à des logiques idéologiques contradictoires (III).

Notes
1101.

Pierre Muller  Les politiques publiques, op. cit., p. 50.

1102.

Archives Uniopss : le collectif Alerte publient sa contribution baptisée « Pour la participation de tous. Lutter contre la pauvreté et l’exclusion : une priorité nationale  Paris, mars 1996. 40 p. Archives Médecins du Monde : le collectif CPE publie sa contribution en mai 1996. Elle porte la dénomination de « Propositions contre la précarisation et les exclusions », Paris, mai 1996, 14 p.

1103.

Entretien n° 60 avec Hugues Feltesse.