A/ Les groupes de cause, acteurs des politiques publiques locales de lutte contre les exclusions

Les décideurs politiques ont souhaité, dès le processus d’élaboration du projet de loi, que les responsables de groupes de défense de la cause des plus démunis participent à la prise de décision publique concernant la lutte contre les exclusions. Cette ambition des pouvoirs publics a été confirmée par la ministre Martine Aubry qui déclare que, « chaque département sera conduit à réaliser une analyse de la situation, à laquelle seront étroitement associés les acteurs de terrain » 1104 . Le gouvernement de Lionel Jospin veut que les groupes de défense de la cause des plus démunis jouent un rôle actif et important tant dans l’élaboration que dans la mise en œuvre de cette politique publique. Ils peuvent ainsi prendre une part active à la définition des politiques locales de lutte contre l’exclusion.

Pour donner un « pouvoir » d’action aux groupes de cause, les autorités gouvernementales et parlementaires créent un certain nombre d’institutions locales au sein desquelles les groupes de défense de la cause des plus démunis sont conviés à donner leurs avis et à exprimer leurs points de vue. Ces « cadres » de concertation et d’expression « institutionnelle » concernent l’emploi, le logement et la santé particulièrement. En effet, les groupes de défense de la cause des personnes en situation d'exclusion par l’emploi sont membres du conseil départemental de l'insertion par l'activité économique 1105  ; ceux qui s’occupent des situation d’exclusion par le logement sont associées à l'élaboration du plan départemental 1106 ; et enfin les groupes de défense de la cause des plus démunis par les soins sont justement associées à l'élaboration du programme régional à la prévention et à l’accès aux soins 1107 .

La loi contre les exclusions institue à l’échelle locale et départementale des commissions d’aide sociale d’urgence 1108 , une coordination des différents comités et conseils départementaux et conçoit un système de préventions qui nécessite la contribution de tous les groupes de cause. Elle fait obligation par exemple, en son article 133, à l’Etat, aux régions, départements, communes, aux Assedic et aux directeurs d’entreprise de transports de se concerter pour mettre en œuvre des mécanismes d’aide aux chômeurs de sorte que ces derniers, en fin de droits, ainsi que les demandeurs d’emploi de moins de 26 ans, accèdent plus facilement aux transports collectifs 1109 . Toutes ces mesures constituent des moyens d’insertion locale des « exclus ». Ces institutions de politiques publiques d’insertion locale portent aussi le nom de conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, ou de Conseil d’administration des centres communaux d’action sociale.

La loi reconnaît que les groupes de la cause peuvent revêtir une double posture : soit, ils ont le statut de partenaires des autorités gouvernementales et parlementaires, soit les groupes de cause prennent la posture d’acteurs qui se positionnent en défenseurs de la cause des plus démunis. Cette double « identité » leur est en effet garantie par la loi.

Enfin, la loi prévoit la mise en place des comités de liaison locaux. Ceux-ci seraient rattachés aux agences locales pour l’emploi. Ces organismes ont pour objet «  d'améliorer l'information des demandeurs d'emploi et leur capacité à exercer leurs droits » 1110 .Les groupes de défense de la cause des chômeurs sont membres des instances locales des services publics de l’emploi. Cette disposition correspond, à notre avis, à la promesse que le premier ministre Lionel Jospin avait faite aux groupes de défense de la cause des chômeurs lors de leur mobilisation de l’hiver 1997-1998. Le premier ministre Lionel Jospin avait en effet pris l’engagement de faire en sorte que les représentants des chômeurs deviennent membres des organismes locaux de lutte contre le chômage. Ce « privilège » réservé aux groupes de défense de la cause des chômeurs apparaît comme la réponse concrète du premier ministre. Par cet acte, cette catégorie de groupes de cause accède à la reconnaissance des pouvoirs publics et au respect de la dignité des « exclus » et des chômeurs en particulier.

Les décideurs politiques mettent donc en place un dispositif institutionnel 1111 que nous pouvons qualifier de « novateur ». Ainsi, par exemple les Centres communaux d’action sociale comprennent désormais « un représentant des associations qui oeuvrent dans le domaine de l’insertion et de la lutte contre les exclusions » 1112 . Aux conseils s’ajoute l’institutionnalisation des Commissions de l’action sociale d’urgence 1113 . Ces dernières marquent l’engagement des pouvoirs publics à donner une base juridique à des pactes locaux contre la pauvreté et l’exclusion 1114 .

Ces pactes locaux se fondent sur la contractualisation d’initiatives et l’intervention conjointe de tous les groupes de cause et les décideurs politiques concernés 1115 par la lutte contre les exclusions. L’objet de ces conventions est de définir le niveau de territoire pertinent pour la coordination 1116 . Car, ces conventions visent à créer les conditions d’un meilleur accompagnement personnalisé et à maximiser le rendement de tous les acteurs en favorisant la mise en réseau des différents intervenants. Elles ont pour objet de faciliter l’orientation de la personne « exclue » vers l’organisme le plus à même de traiter sa demande. Ces mesures concernent aussi bien le logement, l’insertion par l’activité économique que la santé.

Les organisations de défense de la cause des plus démunis ne sont pas seulement des médiateurs sociaux, elles jouent un rôle « politique » dans la mesure où elles se positionnent généralement comme des forces de propositions dans le cadre du dialogue avec les autorités gouvernementales et parlementaires. Nous pouvons alors parler de « partenariat » entre les institutions étatiques et les groupes de défense de la cause des plus démunis.

Notes
1104.

Discours de Martine Aubry à l’Assemblée nationale. J.O. Débats Parlementaires, Assemblée nationale – 2e séance du 5 mai 1998, p. 3399.

1105.

Article 16.

1106.

Article 34

1107.

Article 71.

1108.

Article 154.

1109.

Article 133.

1110.

Article 2.

1111.

Elle porte également sur la complémentarité des modes d’intervention collective et des initiatives de développement social local et sur la simplification de l’accès aux services concernés. Les articles 154, 155 et 156 présentent deux atouts essentiels : ils instituent au plan local des organes dont l’objectif est de permettre une meilleure prise en compte et surtout la satisfaction des demandes des plus démunis par une politique de coordination des aides et des suivis.

1112.

Article 150 de la loi contre les exclusions.

1113.

La commission de l’action sociale comprend outre les représentants des services de l’Etat, du conseil général, des communes, de la Caisse d’Allocations Familiales mais aussi de tout autre organisme intervenant dans la lutte contre l’exclusion telles les organisations de solidarité. « Elle comprend notamment des représentants des services de l’Etat, du Conseil général, des communes, des CAF ainsi que tout autre organisme intervenant au titre de ces dispositifs » Article 154 de la loi de lutte contre les exclusions.

1114.

La Commission de l’action sociale d’urgence est mise en place par convention entre le préfet et le président du conseil général et a pour missions de distribuer des subsides aux plus nécessiteux, c’est–à-dire d’allouer des aides financières aux familles confrontés à d’énormes difficultés de vie. Cette commission a pour but de permettre la réalisation effective des engagements des programmes de l’Etat au niveau du département, un comité de coordination des politiques de prévention et de lutte contre les exclusions. Ce comité établit au niveau local un rapport dans lequel il établit un diagnostic des besoins et vérifie qu’il y a adéquation entre le rapport et les différents programmes d’action relatifs aussi bien à la prévention qu’à la lutte contre les exclusions. La mission de ce comité ne se résume pas à faire de la « comptabilité », elle se propose également de faire de la prospection à travers la construction de propositions qui favorisent le développement et l’efficacité des politiques au niveau du département par la cohérence des différents programmes, plans et schémas départementaux.

1115.

L’article 155 de la loi aménage aussi des dispositifs par rapport aux réalités locales dans la mesure où il peut proposer aux autorités compétentes des réunions conjointes d’instance intervenant en matière de prévention et de lutte contre les exclusions.

1116.

La prise en compte de la lutte contre les exclusions dans les contrats de plan au niveau local est prévue par l’article 156 de la loi qui crée la coordination des interventions de tous les acteurs engagés dans la prévention et la lutte contre les exclusions ainsi que des conventions entre les collectivités locales et les organismes dont ils relèvent.