Conclusion chapitre II Partie II

Cette loi fait de la France le premier Etat européen à s’être doté d’un texte d’orientation contre les exclusions. La loi ainsi adoptée se donne pour ambition d’améliorer la situation des citoyens les plus fragiles par la mobilisation de la solidarité nationale. Cette démarche présente l’avantage de renforcer la cohésion de la communauté nationale contre l’accentuation de la fracture sociale. Il y a aussi dans cette loi, une volonté de rompre avec la politique d’assistance qui a toujours prévalu en matière de lutte contre la pauvreté. D’où le choix fait par les pouvoirs publics de concevoir un projet qui responsabilise les plus démunis.

La philosophie de ce texte de loi consiste à affirmer la dignité de tout être humain par le respect des droits fondamentaux. Il suffit de se référer à l’armature même de la loi pour s’en convaincre. Celle-ci s’articule autour de trois axes : d’abord la phase curative avec la garantie de l’accès aux droits fondamentaux par l’accès à l’emploi, au logement, aux soins mais aussi à une citoyenneté pleine et entière, ensuite la seconde phase qui consiste en des dispositions veillant à anticiper le basculement vers l’exclusion, et enfin la mise en place d’institutions sociales de lutte contre le phénomène d’exclusion. Outre les mesures de premier plan, le législateur a prévu également de traiter un certain nombre de situations en amont, notamment celles relatives au surendettement, aux risques de perte du logement, aux moyens d’existence, et enfin à l’affirmation du droit à l’égalité de chances par l’éducation et la culture. Cette loi a donc vocation à créer les conditions d’une vraie démocratie, et à la renforcer,. Elle suppose la participation pleine et entière de chacun à la vie sociale, économique, politique et culturelle de la cité, d’où l’édification d’un ensemble de dispositifs civiques en faveurs des personnes considérées comme « exclues ».

La loi relative à la lutte contre les exclusions est le symbole de la prise en compte des résultats du travail d’analyse et de réflexion réalisé par les groupes de défense de la cause des plus démunis. Les gouvernements et le Parlement s’inspirent de ce travail pour bâtir le dispositif législatif de lutte contre l’exclusion sociale favorisant l’accès des « exclus » à la citoyenneté. En effet, toutes les organisations de défense de la cause des plus démunis ont apporté des contributions même si certaines estiment ne pas avoir été écoutées par les autorités publiques.

Aussi, doit-on reconnaître aux groupes de cause et plus particulièrement à ATD Quart-Monde, la paternité de l’idée de la loi d’orientation contre les exclusions exprimée au sein du Conseil Economique et Social en 1987 et 1995 et largement explorée, analysée puis reprise par les collectifs de groupes de cause réunis au sein des collectif Alerte et CPE, avant d’être appropriés par les décideurs politiques et les institutions publiques exécutives et législatives.

La loi contre les exclusions présente la caractéristique de ne pas être une superposition d’actions ou de mesures partielles et spécifiques. Sur le plan conceptuelle, elle marque une rupture avec les politiques publiques de lutte contre la pauvreté qui ont toujours dominé jusqu’alors. Toutefois, du point de vue de l’ordonnancement juridique, la loi relative à la lutte contre les exclusions compléte les lois antérieures. La majorité des articles a pour objet de corriger ou de modifier les dispositions déjà existantes dans d’autres lois. Tels sont les cas des contrats emploi solidarité et des contrats emploi consolidés qui sont recentrés sur un public particulier : celui des demandeurs d’emploi qui traversent de longues périodes de chômage ou les jeunes qui éprouvent de graves difficultés à s’insérer sur le marché de l’emploi.

Il en est de même des minima sociaux. Ceux-ci ne sont ni élargis ni fusionnés, encore moins augmentés, mais plutôt réaménagés tant dans leurs conditions d’attribution qu’en ce qui concerne leurs statuts. Il en est ainsi du volet relatif à la prévention des expulsions locatives qui complète utilement la loi Louis Besson sur le logement votée en 1990. De même, le chapitre sur « le surendettement » approfondit et complète utilement la loi Neiertz adoptée en 1989.

La loi relative à la lutte contre les exclusions réalise un triple objectif  : elle innove dans la méthode d’approche et de traitement de la question de l’exclusion puisqu’elle aborde et met en œuvre une démarche stratégique basée sur le département comme le territoire, véritable et seul repère physique pour réaliser la lutte contre l’exclusion. Ensuite, elle élargit le champ des acteurs impliqués dans la lutte contre les exclusions dans la mesure où plusieurs institutions sont désormais associées à la résolution de cette problématique sociale : l’ANPE, l’Association Nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes, la Préfecture, les Hôpitaux qui exercent une mission sociale, les services de protection maternelle et infantile, etc…. Enfin, cette loi étend le champ des publics concernés par l’exclusion sociale (jeunes sans qualification professionnelle, chômeurs de longue durée, personnes qui n’ont pas accès aux soins de santés, les mal-logés, les sans abris, etc) et englobe des domaines ou secteurs aussi multiples que variés.

L’approche territoriale de la lutte contre les exclusions constitue la seconde grande innovation de la loi relative à la lutte contre les exclusions : c’est le repère, le lieu de manifestation et d’expression de tous les acteurs publics et privés engagés dans la lutte contre les exclusions. La loi consacre le territoire, ici le département, comme espace et cadre géographique à partir duquel doivent être mis en œuvre des politiques de lutte contre toutes les formes d’exclusion : emploi, logement, culture, éducation, au sport, formation, etc…

Le « territoire » constitue désormais le niveau pertinent pour recueillir, obtenir, analyser et étudier les besoins des plus démunis. On passe alors de la logique de gestion des mesures « au cas par cas » à la construction et à la mise en oeuvre d’une dynamique de concertation au niveau de chaque département. Nous nous permettons de voir dans cette stratégie d’action une manière, pour les décideurs politiques, de concevoir la lutte contre les exclusions comme une entreprise qui nécessite la contribution active des institutions publiques locales. En effet, selon le texte de loi, les groupes de défense de la cause des plus démunis, les acteurs politiques et publics sont associés à la définition et à la mise en œuvre des politiques publiques de lutte contre les exclusions. Ce texte de loi renforce la coopération entre services et représentants de l’Etat au niveau du département, collectivités territoriales et groupes de défense de la cause des plus démunis, afin de maximiser l’insertion des personnes « exclues ».

La prise en compte du territoire comme « lieu » d’expression des politiques publiques de lutte contre les exclusions coïncide avec la « révolution » conceptuelle de la lutte contre la pauvreté. En réalité, la logique de décentralisation des politiques de lutte contre les exclusions semble répondre à un impératif d’efficacité : permettre la prise de décision, rapide et adéquate en associant les plus démunis eux-mêmes aux processus de décision et d’action publiques qui les concernent.