II : Des groupes de cause aux groupes de pression, ou le changement de posture des défenseurs des plus démunis

Etudier le processus de construction de la loi relative à la lutte contre les exclusions revient à s’interroger sur l’interaction entre les collectifs ou groupes de cause et les pouvoirs publics. L’intérêt de cette analyse réside dans la prise en compte des processus permettant à ces groupes de passer de la fonction et du rôle de médiateurs sociaux à ceux de groupes de pression. L’analyse du processus de construction de la loi contre les exclusions révèle en effet que les groupes de cause ne sont plus des organisations dont l’action se limiterait à faire simplement du caritatif ou à assister les plus démunis. Elles se positionnent désormais comme des interlocuteurs pertinents et légitimes des pouvoirs publics.

Car l’objectif final des groupes de cause est bien d’intervenir auprès des pouvoirs publics afin d’influencer la politique publique de lutte contre les exclusions. Pour cela, ils utilisent divers répertoires d’actions pour rendre publics leurs revendications : la « scandalisation », le « lobbying » et parfois la simple sensibilisation de l’opinion publique. L’objet de ces différents répertoires est de rendre visible la cause qu’ils défendent. Et, l’emploi des thèmes « exclusion », « pauvreté » et « précarité » dans la dénomination des collectifs témoigne bien de la volonté des groupes de cause de délimiter le public auquel il s’adresse et d’identifier leur champ d’action, c’est-à-dire de circonscrire la cause qu’ils défendent. Il s’agit en l’occurrence des sans abri, des mal logés, des personnes et familles « surendettées », des personnes qui n’ont pas accès aux soins de santé, etc. La défense de ces catégories de publics traduit ainsi l’objet central de ces collectifs: alerter l’opinion publique, c’est-à-dire porter sur la place publique les revendications des plus démunis, et tenter d’influencer les pouvoirs publics afin que les décisions de ces derniers soient conformes aux demandes des groupes de cause et donc aux besoins identifiés des publics concernés.

Les groupes de cause semblent assez rapidement avoir convenu d’une démarche commune : pour eux, la seule dénonciation ne peut déboucher sur l’élaboration d’une politique publique concrète et seul le dialogue noué avec les membres des gouvernements et du Parlement doit permettre de peser sur le débat et surtout sur la construction de la loi. De la posture de médiateurs sociaux, ces acteurs collectifs se muent alors en groupes de pression. Ils tentent ainsi d’influencer le président de la République, les premiers ministres Alain Juppé et Lionel Jospin, les différents ministres concernés, les membres de cabinets ministériels ainsi que les parlementaires afin qu’ils adoptent un texte de loi qui intègre leurs propositions.

Le partenariat pouvoirs publics/groupes de cause est donc fondé sur la possible participation de ces derniers à l’action des autorités publiques. Il tend à montrer que les politiques publiques de lutte contre les exclusions ne sont plus envisageables sans la participation des groupes de cause. Ces derniers finissent par devenir alors de véritables producteurs des politiques publiques, désormais reconnus comme des acteurs incontournables des politiques publiques de lutte contre les exclusions.Ils ne servent plus de simples relais aux décisions des pouvoirs publics. Ils se sont transformés en véritables groupes de pressions.

Les groupes de cause jouent plusieurs rôles à la fois : ils recueillent les doléances des plus démunis, sont des promoteurs ou des entrepreneurs de la cause des plus démunis et revendiquent enfin une capacité d’expertise sur la lutte contre les exclusions. Ces différentes actions nous amènent à considérer les groupes de cause comme des groupes qui assument la double fonction de médiateurs sociaux et de groupes de pression.