C : Les groupes de cause, acteurs des politiques publiques de lutte contre les exclusions

Nous relevions en introduction que la ministre Martine Aubry reconnaît de manière non équivoque que la loi contre les exclusions est le résultat de l’action des groupes de défense de la cause des plus démunis. Ce déclaration conforte l’idée selon laquelle « l’adéquation entre les revendications et/ou propositions initialement formulées par certains groupes et les décisions finalement prises par les acteurs politico-administratifs peuvent en effet attester de la part relative de chacun des groupes impliqués dans la genèse et la mise en place des réformes » 1229 . En effet, le projet de loi contre les exclusions sociales reprend la même approche et les mêmes principes que ceux déjà énoncés par les groupes de défense de la cause des plus démunis réunis au sein des collectifs Alerte  et CPE 1230 .

La ministre Martine Aubry qui partage la même représentation et les mêmes approches de lutte contre les exclusions que les groupes du champ de l’» exclusion » affirme que « le projet de loi a d’abord pour objet de garantir l’accès aux droits fondamentaux. Il est inutile de songer à mener une véritable politique de cohésion sociale si l’accès à l’emploi, l’obtention d’un logement ou encore la prévention et les soins demeurent des principes théoriques sans efficacité pratique »  1231 . Par cette déclaration, la ministre indique clairement que « son » projet de loi s’articule autour de l’emploi, de la formation, du logement, de la santé, de l’éducation et de la culture, du surendettement, de la citoyenneté, du sport, des loisirs et des transports. La pluralité de domaines concernés révèle à la fois l’étendue du champ de l’» exclusion « mais aussi la diversité des domaines d’action des groupes de cause.

Ceux qui sont réunis au sein des collectifs Alerte et CPE,  puis GTI, portent et défendent la cause « des plus démunis » dans l’espace public et politique. Ils jouent par conséquent un double rôle social et politique. Leur rôle social consiste à articuler les demandes des plus démunis pour en faire des propositions. L’exercice de cette « fonction » fait d’eux de véritables acteurs de terrains. Au delà de leur action sociale, les groupes de cause adoptent aussi la posture de groupes de pression dans la mesure où durant le processus d’élaboration, ils n’ont cessé de chercher à convaincre les décideurs politiques d’intégrer leurs propositions dans la loi. La double posture des collectifs de groupes de défense de la cause « des plus démunis » autorise à penser que ces derniers méritent bien d’être qualifiés d’acteurs « quasi-publics » 1232 .

Cette posture des groupes de défense de la cause des plus démunis est d’autant plus crédible que Didier Robert lui-même, auteur du rapport du Conseil économique et social sur « l’évolution de la situation depuis la vote de la loi d’orientation contre les exclusions sociales » 1233 , conçoit les politiques publiques de lutte contre les exclusions comme le résultat de l’interaction entre les groupes de cause, les décideurs politiques et l’appareil administratif 1234 . En fait, l’interaction entre les groupes de défense de la cause des plus démunis et les décideurs politiques semble bien avoir été nécessaire pour concevoir et mener les politiques publiques de lutte contre les exclusions. Cette interaction présuppose la définition des modalités de partenariat, des mécanismes et des procédures spécifiques d’action publique. La mise en œuvre d’une telle collaboration oblige les décideurs politico-administratifs et les groupes de cause à situer leur complémentarité sur une double échelle territoriale : locale et nationale.

La concertation et la coordination des actions entre pouvoirs publics et groupes de défense de la cause des plus démunis laissent supposer que le législateur a fait le choix de considérer le partenariat comme la « norme » de construction et de mise en œuvre des politiques de lutte contre les exclusions. L’institutionnalisation de ce « partenariat » révèle de manière sous jacente l’impossibilité pour les pouvoirs publics d’élaborer les politiques publiques de lutte contre les exclusions sans associer ou consulter les groupes de défense. En effet, la loi contre les exclusions du 29 juillet 1998 consacre les groupes de cause comme des acteurs de politiques publiques de lutte contre les exclusions à part entière, puisque ces derniers peuvent désormais siéger dans des institutions locales et nationale d’insertion sociale par l’emploi 1235 , de lutte contre l’illettrisme 1236 et d’accès au logement 1237 .

Les groupes de cause qui siègent au sein d’organisations locales de lutte contre les exclusions ont alors le droit d’émettre des avis et donc d’être consultés par les représentants des pouvoirs publics. Ce positionnement fait des groupes de cause de véritables producteurs des politiques publiques locales et nationales. Car, ainsi que l’affirme Patrick Hassenteufel « une politique publique est le produit d’interaction entre plusieurs acteurs collectifs organisés. Ces acteurs (…) interviennent dans toutes les séquences d’une politique publique (de la mise sur l’agenda à la mise en œuvre) » 1238 .

Notes
1229.

Yves Mény et Yves Surel, Politique comparée, op. cit., p. 165.

1230.

Dans le cadre de leur engagement contre l’exclusion sociale, les collectifs Alerte  et CPE ont publié respectivement « Pour la participation de tous. Lutter contre la pauvreté et l’exclusion : une priorité nationale » et Contre la précarisation et l’exclusion ».

1231.

Discours de Martine Aubry à l’Assemblée Nationale, J. O., 2ème séance du 5 mai 1998, p. 3395.

1232.

Grant Jordan, William A. Maloney et Lynn G. Bennie,« Les groupes d’intérêt », Pouvoirs, Les groupes d’intérêt publics, n°79, édition Seuil, 1996, p. 69.

1233.

Avis et rapport du Conseil économique et social présenté par Didier Robert « L’accès de tous aux droits de tous par la mobilisation de tous », 2003 n° 12, séance des 17 et 18 juin 2003 : éditions Journaux Officiels, p. II–111.

1234.

Selon Didier Robert, les politiques publiques pourraient désormais être conçues à partir des « politiques intersectorielles, [de] l’action concertée, [des] approches globales, [des] approches territoriales, [des] coordinations partenariales [et des] accompagnements personnalisés », Ibid, p. I–53.

1235.

L’article 16 de la loi prévoit qu’il « est institué dans chaque département un conseil départemental de l'insertion par l'activité économique, présidée par le Préfet. Il comprend des représentants : de l'Etat ; des collectivités locales ; des organisations professionnelles ou interprofessionnelles ; des organisations syndicales de salariés représentatives et de personnalités qualifiées notamment issues du mouvement associatif ».

1236.

L’article 24 de la loi prévoit que « La lutte contre l'illettrisme fait partie de l'éducation permanente. Y concourent l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics et privés, les associations, les organisations professionnelles, syndicales et familiales, ainsi que les entreprises ».

1237.

L’article 31 de la loi prévoit que « Les associations de défense des personnes en situation d'exclusion par le logement sont consultées au plan national, départemental et local sur les mesures visant à la mise en oeuvre du droit au logement ». L’article 34 prévoit de manière non équivoque la prise en compte des groupes de cause qui luttent pour le droit au logement puisqu’il énonce clairement que « les associations de défense des personnes en situation d'exclusion par le logement sont associées à l'élaboration du plan départemental ».

1238.

Patrick Hassenteufel,« Les groupes d’intérêt dans l’action publique : l’Etat en interaction », Pouvoirs Les juges, n° 74, édition Seuil, 1995, p. 164-165.