D :La lutte contre les exclusions : quelle perspective pour une loi votée depuis huit ans ?

La loi relative à la lutte contre les exclusions constitue une avancée de principe en termes d’égalité de droits pour tous les citoyens, puisqu’elle a pour objet de donner et d’assurer la dignité à tout être humain. Les concepteurs de cette loi se sont ainsi refusés à « fabriquer » une législation nouvelle pour les seuls pauvres et plus démunis. Si tel avait été le cas, cette loi aurait eu pour effet de créer une sorte de droit des pauvres, une sorte de droit subsidiaire par rapport au droit commun. Cette loi n’a en fait pas vocation à créer une discrimination entre les êtres humains mais plutôt à accorder aux plus démunis les droits de base reconnus à tous. Pour parvenir à cette fin, la loi contre les exclusions sociales mobilise les décideurs politico-administratifs, les institutions et les groupes de cause qui luttent contre les exclusions.

En effet, en proclamant que « la lutte contre les exclusions sociales est un impératif national », le gouvernement de Lionel Jospin et les parlementaires affichent clairement leur ambition : mobiliser effectivement l’ensemble des acteurs publics et privés pour lutter ensemble contre les exclusions.Toutes les institutions doivent concourir à l’éradication de l’exclusion dans la mesure où elles ont reçu la mission de « prendre les dispositions nécessaires pour informer chacun de la nature et de l’étendue de ses droits » et « d’aider éventuellement par un accompagnement personnalisé à accomplir les démarches administratives ou sociales nécessaires à leur mise en œuvre dans les délais les plus rapides ». La mise en œuvre des politiques publiques de lutte contre l’exclusion ne peut alors se faire qu’à partir de la logique de partenariat entre les pouvoirs publics et les groupes qui défendent la cause des « exclus ». Mais la collaboration entre acteurs publics et acteurs privés a-t-elle fait reculer l’exclusion neuf ans après la promulgation de la loi contre les exclusions ?

La problématique des nouveaux enjeux de la lutte contre les exclusions se pose d’autant plus que neuf ans après l’adoption de la loi contre les exclusions, une jeune organisation de défense de la cause des sans abri, le groupe de cause « Les Enfants de Don Quichotte » vient de réussir, grâce à son action de mobilisation, à faire inscrire sur l’agenda du gouvernement de Dominique de Villepin, la problématique du projet de loi sur le droit au logement opposable 1239 .

Cette action à la fois sociale, politique et fortement médiatisée suscite deux réflexions. La première réflexion consisterait à conforter l’ancrage des groupes de cause ou des groupes d’intérêt comme acteurs légitimes des politiques publiques puisque désormais « les groupes d’intérêt deviennent structurants pour la société et représentent davantage de clivages que celui, désormais connu, entre patronat et syndicats. Ainsi vivre dans une société de groupes et de mouvements entraîne des conséquences importantes pour l’exercice du pouvoir dans l’Etat. Dans la mesure où les groupes d’intérêt jouent un rôle de producteurs de normes » 1240 . La deuxième réflexion qu’inspire l’adoption de la loi sur le droit au logement opposable neuf ans après la promulgation de la loi contre les exclusions semble conforter la remarque d’Antoine Jeammaud à savoir que « les normes juridiques ne font rien d’elles-mêmes sur le plan d’action. Leur influence suppose qu’elles soient connues, prises en considération, puis mises en contact avec les situations concrètes pour y recevoir application. Elle requiert donc que les acteurs « convoquent » ces règles, soit dans la préparation d’un acte juridique ou matériel (mobilisation dans le calcul), soit à l’appui d’une prétention ou pour nourrir une motivation (mobilisation dans l’argumentation ou la justification) » 1241

Notes
1239.

« Les enfants de Don Quichotte sont satisfaits mais reste prudents », Nouvel Observateur, 10 janvier 2007.

1240.

Sabine Saurugger, Emiliano, Grossman, « Les groupes d’intérêt : transformation des rôles et des enjeux politiques », Revue Française de science politique, Vol. 56, n° 2, avril 2006, p.199.

1241.

Antoine Jeammaud, Les règles juridiques et l’action, Recueil Dalloz 1993, p. 208-209.