VI/ Les entretiens

Entretiens avec certains membres du collectif Alerte

Entretien avec Marie Magdeleine Hilaire, Conseillère technique à Uniopss

  • 1/  Pouvez vous d'abord vous présenter à nous ?

Marie Magdeleine Hilaire, conseiller technique à l’UNIOPSS sur la lutte contre la pauvreté et l’exclusion de 1996 à décembre 2000. En appui à Hugues Feltesse, animation du réseau ALERTE et préparation des travaux de la commission lutte contre la pauvreté et l’exclusion de l’UNIOPSS, organisation du lobbying auprès des représentants institutionnels : parlementaires et services de l’Etat. Participation au réseau EAPN notamment sur toutes les questions touchant à l’emploi.

Travail sur la première loi avant la dissolution, puis sur le deuxième texte qui a aboutit en Juillet 1998 puis sur les décrets d’application.

Depuis que j’ai quitté l’UNIOPSS je dirige Vacances Ouvertes, association créée il y a 16 ans par Edmond Maire (alors président de VVF) dont l’objectif est de permettre l’accès aux vacances de publics qui ne partent jamais. (familles et 16/25 ans pour l’instant). http://www.vacances-ouvertes.asso.fr/

Par ailleurs j’entame mon deuxième mandat en tant que déléguée des associations membres d’EAPN France (European anti poverty network) au comité exécutif de cette association européenne.

  • 2/ Que représente pour vous cette loi contre les exclusions ?

L’aboutissement d’un travail collectif inter associatif et la mise en place d’outils pour développer des actions de lutte contre l’exclusion, mais aussi de prévention.

Un exemple : l’article 140 sur l’accès aux loisirs et aux vacances, constitue aujourd’hui, une référence permanente pour mon travail sur la question. Depuis la loi de 36 sur les congés payés (qui concerne comme son nom l’indique les travailleurs) il n’y avait eu aucun texte donnant une légitimité à la question de l’accès de tous aux vacances. Pas simplement d’ailleurs dans une optique « des vacances comme tout le monde », même si c’est cet aspect qui est perçu en premier par les vacanciers, mais comme le dit l’article 140 dans une perspective de développement de la citoyenneté. Une telle formule, n’est pas qu’un mot, c’est bien de cela qu’il s’agit quant on aides des familles ou des jeunes vivant dans des quotidiens très enclavés d’aller à la découverte d’un ailleurs. Il s’agit juste d’un exemple, à partir d’un article, mais je suis sûre que beaucoup d’articles pourrait donner lieu à des développements de ce genre. Même s’il faut déplorer qu’aujourd’hui une partie des décrets d’application de la loi aient été « détricotés » soigneusement depuis 5 ans.

  • 3/ Pourquoi l'Uniopss ne travaille pas traditionnellement avec les groupes de cause "radicaux" comme AC! Ou le DAL par exemple ?

Il s’agit avant tout d’une différence de sensibilité. Le 40 associations qui composaient ALERTE ont réussi, au fil du temps à travailler sur des plateformes communes, à faire aussi progressivement évoluer leurs réseaux sur certains points. Les associations plus radicales entrent mal dans ce travail au long cours d’élaboration des textes, souvent assez technique. Mais si l’on considère un mouvement comme le DAL, pendant la période où j’étais à l’UNIOPSS, nous les avons régulièrement rencontrés pour arriver à des constats d’accords partiels. Les questions de logement ont plus été traitées en dialectique avec cette association, qu’en opposition. ALERTE sait rencontrer des députés et effectuer un lobby efficace, mais ne savait pas regrouper des manifestant devant l’Assemblée Nationale. A plusieurs reprises nous avons travaillé avec le DAL dans cette optique de mobilisation/négociations.

  • 4/ Quels sont les rapports que l'Uniopss  entretient avec les Uriopss ?

Pendant la période où j’étais à l’UNIOPSS fonctionnait le « GRI » ou Groupe Insertion qui regroupait les responsables de chaque URIOPSS sur les questions de coordination en matière de lutte contre l’exclusion. Pendant cette même période, la convention qui liait l’UNIOPSS à la DGAS nous conduisait à soutenir financièrement les URIOPSS qui avaient fait le choix de rémunérer tout ou partie d’un temps de travail sur cette question. Seule une moitié des URIOPSSS se sentait concernées par cette question de la lutte contre l’exclusion :

Nord pas de Calais, Picardie, Champagne Ardennes, lorraine, Ile de France, centre, Pays de Loire, PACA, Languedoc Roussillon, Rhône Alpes et Auvergne. Les autres URIOPSS soit, estimaient qu’il s’agissait d’un champ d’implication en dehors de leur sphère traditionnelle d’intervention, soit disposaient de très peu de personnel et n’avaient pas de temps de travail à affecter à ces questions.

Le GRI qui se réunissait environ 5 fois par an permettait à la fois de faire remonter des pratiques de terrain sur une partie des thèmes de la loi de 1998 et d’élaborer conjointement des points de proposition de l’UNIOPSS sur ces mêmes thèmes.

  • 5/ Pendant le processus d'élaboration de la loi, l'Uniopss faisait-elle parvenir ses propositions aux 22 Uriopss ? 

On était au début de l’utilisation d’internet, et le travail au moyen de cet outil n’était pas encore fluide, néanmoins nous essayions de mettre dans le coup les URIOPSS, partenaires du GRI.

  • 6/ Peut-on qualifier l'Uniopss de force de propositions?

Formulation absolument justifiée, nus étions force de proposition auprès du collectif ALERTE, ces propositions étaient alors considérablement enrichies et étaient ensuite répercutées au niveau institutionnel (gouvernemental et législatif)

  • 7/ Pourquoi avoir choisi "Alerte" comme dénomination de votre collectif ? Qu’exprime-t-il ce nom ? Et quel est le but de ce collectif ?

Je suis arrivée après la campagne de communication ALERTE. Je pense qu’il s’agissait d’alerter la société civile, l’un des points forts de la communication ALERTE était de bien mettre en lumière que différents intervenants étaient concernés, la société civile, mais aussi le gouvernement, les pouvoirs législatifs, les médias, etc...

  • 8/ Pourquoi selon vous, l'Uniopss a toujours été considérée par les pouvoirs publics comme un interlocuteur pertinent en matière de politiques publiques sociales et sanitaires?

Représentativité et compétences réelles.

  • 9/ Pensez vous que la campagne "Alerte" a eu un impact réel sur l’opinion publique ?

C’est très difficile à dire, la seule « mesure » de cet impact pourrait être dans les enquêtes menées notamment par l’IFOP sur l’opinion des ménages en matière de pauvreté, mais les résultats de ces enquêtes semblent plus en corrélation avec les statistiques du chômage qu’avec les campagnes d’ALERTE.

  • 10/ Pendant les travaux parlementaires aviez-vous exercé des pressions sur les députés et les sénateurs ? Si oui, peut-on dire que l'Uniopss est un groupe de pression ?

Oui, nous avions eu des rencontres régulières avec les groupes parlementaires et avec les parlementaires au sein des divers groupes qui rapportaient ou intervenaient dans le cadre de la loi.

  • 11/ Pensez-vous que les décideurs politiques ont suffisamment pris en compte les propositions des associations de défense de la cause des plus démunis ?

La prise en compte est toujours partielle, mais le travail de lobby a fait progresser les prises de conscience et donc le texte final. Au delà du travail parlementaire il existe un « deuxième round », c’est le travail réglementaire, c’est d’ailleurs ce travail de 1999/2000 qui vient d’être largement réécrit à la baisse dans la période récente. (Exemple de l’aide médicale AMU).

  • 12/ Considérez-vous cette loi comme une avancée sociale?

Oui, il est d’ailleurs regrettable que la charte sociale qui devait être reprise par le traité constitutionnel ne l’ai pas été, elle aurait permis de solidifier des pans de la loi.

  • 13/ Le fait de voir certains responsables de l’uniopss exercer des fonctions politiques, cela ne rapproche-t-il pas ces derniers et donc l’Uniopss des sphères politiques ?

Qu’appelle t-on responsabilités politiques ? Je peux simplement témoigner d’une expérience, il s’agit du travail avec René Lenoir qui était, d’une part, président de l’UNIOPSS et d’autre part conseiller social de Chirac. A mon arrivée à l’UNIOPSS, j’ai évalué cela comme étant potentiellement porteur de confusion. Dans la réalité, il n’en a rien été, jamais, le Président de l’UNIOPSS n’a revu à la baisse ou demandé des modifications d’ordre « politique » dans nos propositions. Au contraire, il nous a aidé à porter nos demandes et questionnements en nous ouvrant des portes au niveau du gouvernement de l’époque.

  • 14/ Peut-on dire que la Commission Lutte contre la pauvreté et l’exclusion  de l’Uniopss constitue un cadre de construction des discours et des actions communes ?

Jusque 2001 oui, sans doute toujours. Je ne suis plus les travaux de puis mon départ de l’Uniopss.

  • 15/ Le consensualisme qui caractérise la prise de décision du collectif Alerte ne constitue-t-elle pas un handicap ?

Non. Il ne s’agit pas d’un consensualisme mou, mais plutôt d’un lieu de dialogue qui permet aussi à chacun de proposer des évolutions dans son organisation. Un exemple, en 1997/98, l’un des sujets à ne pas aborder car il aurait risqué d’entrainer des oppositions fortes était celui de l’immigration et plus particulièrement des clandestins. Aujourd’hui non seulement ALERTE s’exprime très clairement sur la question, mais aussi on remarque que certaines organisations qui composent ALERTE ont fortement évolué sur cette thématique, tant dans le discours que dans la pratique.

Cet exemple recouvre bien un aspect du fonctionnement, ALERTE n’intervient pas à priori, drapé dans le bon sentiment où la posture politique, mais lorsqu’un phénomène s’impose, déborde les permanences des associations de terrain, et interpelle concrètement toutes les organisations, celles-ci mettent alors en oeuvre les outils pour élaborer des positions précises qui se nourrissent du quotidien et elles s’entendent entre elles pour porter ces questions au niveau politique.

  • 16/ Quelle place accordez-vous aux médias dans votre action de défense de la cause des plus démunis ?

Dès la première campagne ALERTE, cette question des médias était au coeur de la communication, notamment leur responsabilité dans le regard qu’ils jetaient sur l’exclusion et la pauvreté

  • 17/ Pourquoi Alerte ne compte pas de syndicat en son sein ? Ne sont-ils pas aussi compétents à agir avec vous contre les exclusions sociales ?

Une bonne question - les prises de contact avec les syndicats en 1998 furent fraîches en gros le message était : « occupe toi des pauvres, je m’occupe des travailleurs et des chômeurs et chacun ses ouailles... » je caricature à peine !

Une évolution récente est intervenue puisque il y a deux mois ALERTE a réussi à rencontrer tous les syndicats et à mettre en place un communiqué commun. Il semblerait qu’il y ait une évolution dans la façon dont ils considèrent le continuum exclusion, chômage, emploi. A suivre...

En la matière, des pays comme l’Irlande, la Belgique notamment ont mis en place des partenariats structurés entre associations de lutte contre les exclusions et syndicats. Nous n’en sommes pas encore là.

  • 18/ Pensez-vous qu’ATD Quart-Monde a joué un rôle essentiel dans l’émergence de l’idée de loi contre les exclusions sociales ?

Historiquement ATD Quart Monde a joué un rôle fondamental et ce sur plusieurs points :

un premier rapport Wresinski devant le Conseil Economique et Social qui positionne le questionnement sur la pauvreté dans un lieu ad hoc justement où figurent les partenaires sociaux, et où sont débattues les questions économiques, sortant ainsi le social de la sphère caritative

vis à vis d’autres associations d’inspiration catholique qui sur les 20 dernières années sont passées d’une vision du pauvre à qui ont doit la charité à une vision de l’accompagnement, et du soutien au développement des potentiels de chacun., chacun étant d’ailleurs porteur de droits.

Cet apport de l’importance de partir des forces et non des manques s’est aussi traduit en matière de travail social. Faut-il donner tout le crédit de ces évolutions fortes à ATD, sans doute pas ? mais sur ces questions ce mouvement a été un inlassable précurseur.

Dernier point la mise en place assez rapide d’une demande de loi de lutte contre l’exclusion et la poursuite de cet objectif sur plus de 15 ans.

  • 19/ La qualification ou la représentation de l’exclusion sociale en termes d’atteinte aux droits fondamentaux, n’a-t-elle pas été un facteur de rapprochement et de consolidation de l’action collective des associations ?

Oui évidemment. La question des droits fondamentaux est au coeur de ces nouveaux dispositifs. Aujourd’hui, c’est la question de l’accès de tous aux droits de tous qui est l’objectif. Rien ne sert d’écrire du droit s’il n’est pas mis en oeuvre concrètement.

  • 20/ Pensez-vous de la position de la Fédération entraide protestante qui dénonçait durant le processus d’élaboration l’intérêt d’une loi d’orientation contre les exclusions sociales ?

Justement cette question est en rapport avec la précédente, lors de la préparation de la loi de 1998, l’Entraide protestante a soudainement estimé que la loi ne changerait rien concrètement (ou si peu).

Il faudrait regarder précisément ce qui s’est passé à cette époque dans les équilibres internes de la fédération et comment cette position est sortie de leurs instances.

Il est vrai que tout texte législatif est avant tout formel et que beaucoup de choses se jouent dans la mise en application, la façon dont les acteurs locaux et les personnes concernées se saisissent des avancées juridiques etc...

  • 21/ En 1996, Médecins du monde alors membre du collectif « Alerte » crée undeuxième collectif baptisé collectif « Contre la précarisation et l’exclusion ». L’existence de ce second collectif n’est-elle pas l’expression des insuffisances d’Alerte ? Ce collectif a-t-il été vécu par les membres du collectif « Alerte » comme un collectif concurrent ou complémentaire ?

Pas que je m’en souvienne, je n’ai d’ailleurs pas de souvenir de ce deuxième collectif, le seul souvenir c’est en 1997, je crois une communication commune, dans la salle des Petits Frères des Pauvres avec les associations type DAL, Droits devant et quelques autres, mais il faudrait que je retrouve des archives pour être plus précise.

  • 22/ Peut-on dire que l’Uniopss et le collectif « Alerte » sont les porte-parole des « exclus » ?

Ouille – difficile de s’ériger en « porte parole » de qui que ce soit... ce qui est certain c’est que chacun des grands réseaux dispose d’un lieu d’observation particulièrement pointu sur ce qui se passe dans le réel, ainsi les rapports annuels du Secours catholique, de Médecins du Monde, de la Fondation Abbé Pierre, d’ATD ... j’en oublie ...sont des coupes très précises et très riches sur la façon dont évolue la pauvreté et l’accès aux droits. Est –on porte parole pour autant ?

Je verrai plutôt ALERTE et l’UNIOPSS comme des représentants du lobby des pauvres auprès des décideurs institutionnels.

La question de la participation des personnes en situation d’exclusion est actuellement au coeur des travaux menés tant par ALERTE que par EAPN. Lorsque cela sera arrivé à maturité, je crois que nous pourrons passer à une définition de type « porte parole. »

  • 23/ A l’adoption de la loi contre les exclusions, aviez-vous le sentiment que l’exclusion allait, enfin, reculer ?

C’est toute la question des indicateurs,comment « mesurer » le recul de l’exclusion ? l’idée était d’arréter la progression puis d’éradiquer la pauvreté comme le dit ATD. Même si l’on sait qu’il s’agit d’une utopie, allons y et faisons au moins reculer le nombre de personnes qui vivent dans des conditions insupportables matériellement et humainement.

Sur les indicateurs les travaux de l’observatoire sont remarquables, ainsi que ceux de la DRESS, par ailleurs se reporter au travaux de la MRIE et aux travaux européens qui ont associé des personnes en situation de pauvreté à la réalisation d’indicateurs ; (autre que 50 ou 60% du revenu médian)

  • 24/ Que pensez-vous du mode opératoire des associations de chômeurs, de sans-abri, de mal logés qui est diamétralement opposé à celui du collectif « Alerte » et des associations caritatives ?

Déjà répondu : diamétralement opposé ou complémentaire ? nous avons besoin de l’un et l’autre

  • 25/ peut-on dire que l’Uniopss et le collectif « Alerte » sont des acteurs publics puisqu’elles traitent des questions qui ont une nature sociale et politique ?

Non il s’agit bien d’acteurs associatifs qui représentent la société civile et en cela ne sont ni des partenaires sociaux ni la puissance publique, même si en tant que représentants de la société civile, il y a une pleine légitimité à intervenir dans ce dialogue.