Entretien avec Jacqueline Sainte-Yves, Présidente de la Coorace

  • 1/ Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Mme Jacqueline Sainte-Yves. J’exerce une activité bénévole depuis 1992 où j’ai créé une association intermédiaire parce que je me suis très rapidement intéressée au secteur de l’insertion par l’activité économique.

Très vite, j’ai pris des responsabilités dans le secteur de la Coorace au niveau de la région et j’ai été Présidente nationale. Et, c’est pendant ces périodes au titre de mes responsabilités que j’ai été amenée à intervenir d’une manière active dans toute la négociation de la loi relative à la lutte contre les exclusions.

  • 2/ Qu’est-ce qui distingue la Coorace des autres associations de lutte contre le chômage ?

AC, la MNCP sont des associations qui ont été constituées par des personnes au chômage, par des chômeurs eux-mêmes. Et des chômeurs qui ne pas eux-mêmes en grande difficulté pour retrouver un emploi. Quant à la Coorace, c’est une Fédération qui a été créé en 1985. Elle a deux valeurs fortes : elle cible les personnes [ uniquement ] qui sont en difficulté particulière pour retourner à l’emploi du fait de leurs problèmes personnels, de la structuration du marché de l’emploi et des difficultés économiques et puis elle mobilise l’ensemble des acteurs socio-économiques et les citoyens eux-mêmes puisque la base de notre association, c’est de regrouper un très grand nombre de structures associatives qui mènent à la fois les bénévoles et les salariés permanents.

  • 3/ Votre démarche semble se différencier de celle des associations tels AC, le MNCP et l’APEIS par exemple ?

Nous ne sommes pas a priori des chômeurs, au contraire. Mais, nous essayons d’aider les chômeurs alors qu’AC ! et son starter sont des associations montées par des chômeurs et pour des chômeurs.

  • 4/ Que recouvre concrètement le terme insertion par l’activité économique ?

Concrètement, notre objectif est de ramener les personnes qui ont été éloignés de l’emploi et qui peuvent avoir des difficultés d’ordre professionnel et social. C’est de prendre la personne dans la totalité de ces difficultés et de tout faire pour le remettre dans l’emploi de droit commun.

Le levier qui est utilisé pour accompagner ces personnes, pour les mobiliser et les réorienter à se professionnaliser, c’est-à-dire à les remettre au travail. C’est la raison pour laquelle on dit insertion par l’activité économique.

  • 5/ Concrètement où orientez-vous ces personnes à la recherche d’emploi ?

On va chercher des heures de travail de ces personnes auprès des entreprises, des collectivités, des particuliers, voire d’autres associations. En tout cas, notre démarche consiste à aider au cheminement de l’accompagnement dans ce parcours au retour au travail de droit commun. Nous faisons de la mise de situation de travail, c’est pour ça qu’on dit insertion par l’activité économique.

  • 6/ La loi contre les exclusions accorde-t-elle une importance au secteur del’insertion par l’activité économique ?

Oui, absolument. Je pense que c’est la première fois que le secteur de l’insertion par l’activité économique a une reconnaissance législative et parallèlement, c’est la médaille et le réveil de la médaille. C’est une tendance assez forte à instrumentaliser le secteur et à tenter de le faire revenir dans le levier des politiques publiques.

On ne voulait pas totalement être instrumentalisé même si depuis des années la problématique des personnes en difficulté économique sont telles qu’on est obligé de plus en plus de recourir à des fonds publics pour effectuer cet accompagnement socio-professionnel qui nous aide à ramener des personnes vers l’emploi. Mais on a toujours essayé de garder un équilibre entre les politiques publiques, l’emploi et ces actions qui émanaient des citoyens comme moi.

  • 7/La loi contre les exclusions constitue-t-elle une avancée selon vous ?

Certainement parce que c’est une loi dont les deux premiers articles disent clairement qu’il faut faire tous les efforts possibles pour l’accès de tous aux droits de tous. Donc ça c’est quant même l’essentiel dans la mesure où le droit de travailler et le droit à l’emploi sont inscrits dans la constitution de 1946.

La seconde chose, c’était la reconnaissance de l’ensemble des acteurs qui concourent à l’accès de tous aux droits de tous.

L’autre avancée aussi me semble-t-il, c’était que la ministre Martine Aubry avait bien compris que pour ces personnes en grande difficulté, il y avait outre l’emploi mais aussi la santé, le logement, la mobilité. Et donc pour permettre à des personnes de revenir à l’emploi, il fallait traiter la globalité du problème.

Dans la loi contre les exclusions, c’est l’ensemble de ces secteurs qui a été envisagé qui a bénéficié d’un certain nombre d’avancées législatives et réglementaires et financières.

Et enfin pour la première fois, nous avons obtenu la mise en place d’une Commission parlementaire de suivi de la mise en œuvre de la loi et qu’il était inscrit dans la loi aussi l’obligation d’une évaluation régulière de la loi devant le Parlement (…).

Cette loi indique clairement qu’il faut faire des efforts pour l’accès de tous aux droits de tous puisque le droit de travailler et le droit à l’emploi sont inscrites dans la Constitution de 1946. Le second élément de satisfaction est la reconnaissance de l’ensemble des acteurs qui concourent à l’accès aux droits de tous. Enfin, pour la première fois, nous [les groupes de cause Alerte] avons obtenu la mise en place d’une Commission parlementaire de suivi de la mise en œuvre de la loi avec l’obligation d’une évaluation régulière de la loi devant le Parlement.

  • 8/ Peut-on considérer la Coorace comme un groupe de pression ou une force de proposition ?

C’est surtout les deux, c’est-à-dire qu’on veut à la fois être des acteurs qui sont dans l’action parce que les personnes qui sont en difficulté et avec lesquelles nous essayons de travailler ne peuvent pas attendre que l’on réfléchisse, que les choses changent. En même temps, on a travaillé très en amont dès l’élaboration de cette loi comme force de propositions. Bien sûr on peut être écouté sur certains points par les politiques et moins sur d’autres.

Et en même temps, concernant les associations intermédiaires, on avait mené une action médiatique extrêmement forte auprès des médias, des députés, auprès de tous les élus locaux que nous avons rencontré puisque nos adhérents sont repartis sur l’ensemble du territoire.

Effectivement, nous sommes des forces de pressions, de témoignages, d’information. Nous sommes une force de propositions et d’action. Voilà ce que nous essayons de faire.

  • 9/ Que représente pour vous la Commission Lutte contre la pauvreté et l’exclusion de l’Uniopss ?

Je pense que chacun des grands réseaux associatifs qui y siègent à son histoire, sa culture, son mode d’intervention, ses diagnostiques et qu’il est extrêmement intéressant et capital de confronter ses diagnostiques et ses modes d’action aux autres et à la critique des autres par moment. C’est bien de voir aussi comment nos actions sont complémentaires ? Voir ensemble là où il y a encore des trous dans les mailles du filet. Ensuite il y a la conscience selon laquelle on est une force d’impact plus grande quand on agit ensemble que quand on va séparément à la bataille surtout auprès des pouvoirs publics.

Ainsi le collectif Alerte qui a été porté par l’Uniopss et auquel on a participé activement a conduit des conférences de presse, des actions médiatiques fortes. C’est vrai qu’on est plus écouté quand on arrive à se mobiliser et à mobiliser la presse et qu’on se présente à trente plutôt que chacun de son côté.

  • 10/ Pensez-vous que la campagne Alerte a eu un impact sur l’opinion publique ?

Je pense que le regard sur les personnes en grande difficulté peut changer à la faveur de ces grandes campagnes parce que finalement les gens font plutôt l’impression que ceux qui bénéficient de minimas sociaux sont des fainéants parce qu’ils ne veulent pas travailler. Le regard peut dans ce cas être négatif. Et nous, notre rôle consiste à faire le témoignage fort qui vient de divers horizons. Et à force on peut amener les gens à modifier leur regard sur les exclus.

Ces campagnes là sont toujours un peu conjoncturelles parce que après l’oubli se réinstalle. La conjoncture change et les opinions changent. Donc, il faudra pouvoir se re mobiliser et en même temps on voit bien que la presse devient attentive à nos mouvements lorsqu’on a des occasions particulières.

  • 11/ Pensiez-vous à l’adoption de la loi que l’exclusion allait enfin reculer ?

La conviction non. L’espoir oui. Mais la situation économique a fait que la situation s’est dégradée.