Entretiens avec certains membres du collectif CPE

Entretien avec Nathalie Simonnot

  • 1/ Pouvez-vous vous présenter à nous ?

Je suis Nathalie Simonnot, je travaille à la direction des missions de Médecins du Monde et suis responsable de l’ensemble des 7 programmes que nous menons en France (…).

  • 2/ Médecins du monde apparaît comme l’un des piliers du collectif Alerte ?

En fait on a rejoint l’Uniopss depuis 1995 au moment où le mot Alerte a pris vraiment des positions assez fortes contre la pauvreté et les exclusions. On s’est dit que Alerte est un collectif où on pouvait faire avancer des problèmes de santé, sachant que nous sommes la seule association à l’Uniopss qui soit complètement orientée vers la santé. On sait que la santé dépend de tant de déterminants qui sont le logement, les conditions économiques, les inégalités économiques, les droits des travailleurs, la famille, le droit de vivre en famille et on sait que plus on est précaire moins l’état de santé sera bon. Au travers de la santé, nous abordons finalement tous les grands thèmes de la précarité et de l’exclusion.

  • 3/ Pourquoi aviez-vous pris l’initiative de créer un second collectif alors que vous étiez déjà membre du collectif Alerte ?

Le collectif Alerte est composé de très grosses associations. Il y a certes des petites, mais la majorité, c’est-à-dire celles qui, véritablement mènent au niveau de la revendication politique ou de la prise de parole, sont de très grosses associations. Elles sont beaucoup plus prudentes dans leur prise de position. Mais à certains moments, on s’est rendu compte que pour faire avancer les prises de position sur un certain nombre de thèmes, c’était trop lent, en tout cas trop lent par rapport aux échéances politiques de notre pays. Donc, il fallait se regrouper avec des gens qui pouvaient aller plus loin.

  • 4/ Pourquoi selon vous les associations « militantes » ne font pas partie du collectif Alerte ?

Ils [les groupes de cause membres de l’Uniopss] ne disaient jamais on ne veut pas les voir. Ils disaient, elles ne font pas partie d’Alerte, euh.... Quand on se réunit, il faut un consensus. Or, le consensus n’est pas là euh...ou alors, elles prônent des positions que notre groupe n’a pas encore, euh on n’aura peut-être jamais. Ce n’était jamais, on ne veut pas les voir. Mais, je vous le dis tout était fait pour qu’on ne puisse pas les accepter : Agir ensemble contre le Chômage, le Comité Des Sans Logis, Droits Devant. Moi, je leur ai amené dans un premier temps des gens qui étaient plus faciles qu’AC, c’était le Mouvement national des chômeurs et précaires en me disant que c’est vrai qu’avec AC, ils sont trop radicaux, ils crient souvent. Bon donc, ça va être plus facile avec le Mouvement national des chômeurs et précaires, mais même là c’était difficile.

  • 5/ Pourquoi avoir choisi la dénomination de collectif Contre la précarisation et l’exclusion ?

Ce titre, on l’a décidé ensemble collectivement. Pourquoi la précarisation et les exclusions ? Parce qu’on s’est dit que la précarisation, c’est un processus c’est-à-dire qu’il n’y a pas des gens qui naissaient précaires mais qu’il y avait des processus dans la vie qui précarisaient les gens vis-à-vis de l’emploi, du logement, etc. Et que donc on défendait non seulement des gens qui étaient déjà dans un état d’exclusion vis-à-vis du travail, du logement, des ressources, mais aussi des gens qui avaient commencé à mettre pied dans cet espèce d’engrenage où on arrive à payer moins bien son loyer, où on commence à vivre dans l’angoisse. Cet état de précarisation qui s’installe dans une famille ou chez un individu et qui fait qu’on perd les pédales les uns après les autres. Enfin, c’est pour ça qu’on l’a appelé comme ça. C’était une décision collective. On avait discuté longuement.

  • 6/ En tant que coordinatrice du second collectif que recouvrent les termes précarisation et exclusion pour vous ?

Oui, ça bien sûr. Bien entendu […] Quand on dit les exclusions, les exclus quelque part ça fait un peu gentils messieurs et gentilles dames qui veulent s’occuper de ces pauvres. Quand on parle de précarisation, c’est une critique de la société et c’est en disant qu’on peut faire quelque chose. Il faut faire quelque chose, il ne faut pas laisser s’installer des phénomènes et des spirales qui vont mettre les gens dans des situations difficiles à vivre et trop difficiles. Donc, c’est aussi une histoire d’intervenir avant la catastrophe avérée essayer de dire avant oui on s’en occupe et on va se battre [......] On a en marre de se battre quand les gens sont dans la rue. On aimerait bien que les choses se fassent avant que les gens soient dans la rue, voilà.

  • 7/ Croyez-vous que le collectif Contre la précarisation et l’exclusion a permis aux « petits » groupes de cause d’exister dans l’espace public ?

Et c’était tout à fait fascinant. J’ai trouvé que l’un des points très forts de ce collectif, ça a été d’ouvrir les portes des ministères, du Sénat, de l’Assemblée Nationale à des gens qui jamais jamais n’auraient été reçus sans le collectif. Quand on voit qu’il y a des gens de l’Association des Usagers des Drogues (ASUD) euh ! ! Qui sont allés au Sénat, qui sont allés à l’Assemblée nationale, qui sont allés dans les ministères, jamais personne ne les avait reçu, personne ne voulait les recevoir. Le Comité des Sans Logis (CSDL), je parlerai du Droit Au Logement (DAL). Tout le monde les a déjà vu. Mais le comité des sans logis, c’est vraiment les gens qui dorment dehors euh ! ! ! Ce n’est pas des gens qui ont des appartements et qui se battent avec les familles. Ce sont les gens qui sont dehors et ils étaient là et on répétait avant, voilà il ne faut pas être trop long, il faut dire ça...et c’était super.

  • 8/ Pourquoi le CPE ne comportait pas des syndicats, alliés traditionnels des associations « militantes » tels AC !, DAL, MNCP, etc ?

Les syndicats non. Euh ! ! ! pour deux raisons : la première est qu’en 1996, les syndicats ne s’occupent absolument pas des gens sans travail. On s’occupe à peu près des gens qui ne travaillent pas ou qui travaillent peu, qui ont des petits boulots... deuxièmement est que l’objectif des syndicats est un autre objectif que celui des associations. L’objectif des syndicats est de défendre les intérêts des salariés qui leur sont affiliés. Or nous, on n’était pas dans cette optique, pas simplement pour défendre les intérêts même des plus précaires c’est parce qu’on dit qu’en défendant les intérêts des précaires, des personnes en situation d’exclusion, etc, on défend les intérêts de toute la société et qu’on ne voulait pas de vision partisane, de pouvoir parler avec tout le monde sans être étiqueté proche de tel parti. On est en dehors de ça, donc on n’a fait rentrer ni parti ni syndicat.

  • 9/ Pourquoi des associations comme le Secours catholiques, le secours populaires n’ont pas fait partie du collectif CPE ?

Non, pas du tout, pas du tout parce que quand on a constitué ce groupe, on a invité tout le monde. Ceux qu’on connaissait y compris ceux qui étaient dans le réseau « Alerte ». La toute première réunion pour préparer la réunion de 1995 qui a été la réunion fondatrice du collectif, on a invité la Croix rouge, l’Entraide protestante, le Secours catholique....enfin toutes les associations membres de l’Uniopss, absolument et après on a formé le groupe. Nous, on était tous ouverts, c’était notre force et c’est après par euh... telle association a dit à telle association de venir et c’est comme ça qu’on s’est retrouvé avec 40 autres associations. Mais au début, on voulait euh... travailler pour faire des propositions très concrètes sur la loi contre les exclus avec tous les gens de bonne volonté.

  • 10/ Le collectif CPE s’est-il positionné comme un collectif concurrent à l’action du collectif Alerte ?

Ce n’était pas un contrepoids. Ça n’a pas été pensé comme ça après dans les faits ça a pu apparaître comme ça parce que du coup il y avait deux groupes qui travaillaient de façon parallèle hein... nous en gros au milieu mais on était plusieurs à être dans les deux collectifs. Il y en avait 3 ou 4 qui étaient dans les deux collectifs. Non, ce n’était pas l’histoire de faire contrepoids, c’était vraiment de faire avancer les choses et puis nous à Médecins du Monde, on est très pragmatique. On se dit si ça avance bien avec ce groupe, on fait avec ce groupe et puis après on verra avec l’autre, ça ne nous a pas posé de problème difficile.

  • 11/ Vous qui apparteniez aux deux collectifs, le collectif Alerte a-t-il vu d’un bon œil la création du collectif CPE ?

Les associations membres du collectif Alerte disaient que c’était intéressant [la création du collectif CPE ] comme démarche mais que c’était trop tôt. En fait l’existence de ce second collectif les dérangeait. On ne peut pas vraiment dire qu’on avait été compris sinon an aurait eu moins de difficultés.

  • 12/ Comment expliquiez-vous votre « proximité » avec les associations « militantes » ?

Je veux dire que quand on est dans une mission à l’étranger, si on est en train de construire un dispensaire, on travaille avec la communauté et on travaille aussi avec le ministère de la santé pour que le dispensaire ait une pérennité, etc. Donc ça s’est inscrit dans l’histoire de Médecins du monde. C’est pas forcément écrit dans l’histoire de toutes les associations.

  • 13/ Pourquoi ne manifestiez-vous avec les associations « militantes » alors que vous étiez tous membres du même collectif ?

Ce n’est vraiment pas dans la culture des gens de Médecins du Monde d’aller manifester, d’une part et d’autre part, on travaille très souvent le samedi, ça nous paraît très hypocrite de dire qu’on appelle à manifester avec un tel alors qu’après il n’y a personne de Médecins du Monde. On préfère pas appeler à manifester si on n’est pas sûr qu’il y ait du monde, voilà. Or, on ne peut pas être sûr. Donc, ce qu’on fait par contre, c’est que en interne on passe l’information, les gens y vont à titre individuel hein, rarement d’ailleurs. Moi, je sais qu’à certaines manifestations du DAL, je me suis retrouvé seul membre de Médecins du Monde. C’est rare, les gens ne manifestent pas beaucoup, hein, par contre par exemple samedi dernier .... Je sais qu’il y a eu plein de gens de Médecins du Monde mais pas avec un truc de Médecins du Monde.

  • 14/ Certains responsables de groupes de cause « militants » vous reproche votre non présence dans la rue avec eux ?

Mais, oui parfois ils disent vous pouvez nous soutenir là. Mais cela sert à quoi ? Je vous dis oui, je vous soutiens et alors il n’y a aura personne à la manifestation. Ce n’est pas notre façon de faire. On vous soutient autrement. On est avec vous autrement. On travaille, on fait le collectif. On porte le collectif à bout le bras, mais voilà on se bat, mais... à chacun son truc, à chacun son truc. 

  • 15/ Pensez-vous que les gouvernements d’Alain Juppé et de Lionel Jospin ont pris en compte vos propositions ?

Sur le premier projet de loi Juppé-Barrot, il n 'y avait rien sur la santé en dehors de la tuberculose. Ils avaient refusé de mettre le saturnisme infantile, ils avaient refusé tous nos chapitres santé […] Mais on a été entendu puisqu 'on demandait à ce qu 'il y ait un accès aux soins dans les hôpitaux et il y avait le dispositif PASS auquel on avait beaucoup contribué dans l'élaboration puisqu'on allait tout le temps au ministère de la Santé et puis de toutes les façons, ils ont été construits sur le modèle de ce que faisait Médecins du Monde en France depuis 1986, donc là dessus on a été entendu. Ils nous avaient promis dans un second temps de faire une loi sur la couverture maladie universelle. Oui, à l'époque on était entendu puisque nos principales revendications ont été prises en compte.

  • 16/ Certaines sources affirment que contrairement au collectif Alerte, le collectif CPE a dû forcé les portes pour être reçu dans les ministères est-ce vrai ?

En effet, le secrétariat du conseiller technique appelle le secrétariat du collectif le 19 juin 1996 et l’informe de sa volonté de l’auditionner. Je signifie au secrétariat du conseiller que six représentants, « spécialistes » de différents thèmes doivent m’accompagner et prendre la parole afin d’exposer la vision et faire les propositions du collectif. Le conseiller n’apprécie pas le nombre particulièrement élevé d’intervenants et s’oppose à ce que tous prennent la parole. Le collectif maintiendra sa position, mais en vain puisque le conseiller ne changera pas de position. Les positions tranchées des deux interlocuteurs ne feront pas évoluer le débat.

  • 17/ Le dialogue avec les autorités publiques était donc difficile ?

(…) Il n’y avait pas de dialogue possible. Quand on disait quelque chose, on nous disait non et puis c’est tout. On mettait des mois à être reçu et quand on était reçu, c’était pour s’entendre dire NON, à tout.

  • 18/ Mais vous avez quant fait du lobbying auprès des parlementaires ?

Assez peu. On l’a fait en allant à l’Assemblée nationale. On a participé au débat, on a rencontré les différents groupes politiques et au sénat avant il y a quelques députés qu’on est allée voir spécifiquement en tête en têt pour essayer d’appuyer un certain nombre de points.

  • 19/ Aviez-vous l’impression que les autorités sont allées plus loin grâce à votre action de lobbying ?

Bien sûr, on les a entraîné beaucoup plus loin que ce qu’ils voulaient faire. Ce sont toutes les associations qui chacune dans leur champ disait attendez c’est bien mais il faut aller plus loin, ça ne suffit absolument pas. On les a poussé plus loin. On était tout le temps en train de les pousser jusqu’aux limites, jusque là où ils ne voulaient pas allés plus loin (…).

  • 20/ Peut-on affirmer que cette loi est une avancée sociale ?

On s’est dit que cette loi est une immense avancée sociale parce qu’il y avait des principes fondamentaux de la loi. Tout ce qu’ont voulait était énoncé pour la première fois dans un texte de loi. On reconnaissait, en gros, que la lutte contre les inégalités était un objectif constitutionnel en France et qu’un certain nombre de droits étaient reconnus comme absolument fondamentaux. C’était une immense avancée.