Entretien avec Annie Pourre, responsable du groupe de cause Droits devants !

  • 1/ Pouvez-vous d’abord vous présenter ?

Je suis Annie Pourre. Je suis militante de ce qu’on appelle communément mouvement social. Je suis en outre co-fondatrice du mouvement Droit au logement puis de l’association Droits devant au moment de l’occupation de l’immeuble rue du Dragon à Paris qui était un lieu de « transversalité » et de solidarité avec les familles et d’espace culturel et universitaire. Je suis également membre de la direction nationale de l’association ATTAC.

  • 2/ Quel type de public d’exclus vise Droits devant ?

Droits devant s’intéresse à l’accès aux droits sociaux. Il vise les sans emploi, les sans papiers, les sans logement, etc, c’est-à-dire qu’on s’intéresse aux « Sans ». C’est un concept très large qui désigne tous ceux qui n’ont pas un accès aux droits. Notre but est de défendre ces derniers mais aussi d’en réclamer de nouveaux. Nous cherchons également les droits à naître et revendiquer de nouveaux droits. C’est pour cela que cela s’appelle Droits devant.

Nous nous intéressons également aux droits qui peuvent être envisagés dans la perspective d’une évolution de la société.

  • 3/ La loi contre les exclusions a-t-elle mis en œuvre des droits dont DD était porteur ?

Pendant que nous occupions la rue du dragon, nous occupions également le centre beaubourg. Et là, pendant une semaine nous avons essayé de travailler en convergence avec les mouvements sociaux qui le désiraient sur la question de la libération d’un nombre de droits qui nous paraissait être des droits fondamentaux à conquérir. Nous avons élaboré 180 droits. C’est ce qu’on appelle les propositions de l’appel du centre beaubourg. Il y a eu cinq volets. Et après sur la base de l’appel de beaubourg et en travaillant conjointement avec Médecins du Monde et d’autres, on a décidé de produire un texte commun qui serait la base minimum des droits à mettre en œuvre pour résoudre les questions d’exclusion.

  • 4/ Les propositions de l’appel de beaubourg reflétait-t-il la diversité des champs d’action des associations de lutte contre les exclusions ?

ça a été une collaboration collective. Toutes les associations ont enrichi ce texte. Evidemment, on retrouve dans ce texte de loi des aspects de l’immigration qui étaient plus portés par Droits devant. D’autres associations comme Médecins du Monde portait des propositions relatives aux questions de santé. Quant à Droit au logement, il s’est investit sur les questions de logement, etc. Donc c’était intéressant.

  • 5/ Pensiez-vous que la question des sans papiers devait être incluse dans la loi ?

Je pense effectivement que ça devait faire partie des problématiques qui devaient être traité lors de la loi contre les exclusions. On ne peut pas nier le problème de 300.000 personnes qui vivent sans papiers et qui participent au développement économique de la société…

  • 6/ Que signifie l’appel des Sans pour vous ?

(…) Ce terme est apparu dans la crise 1994-1995. Il s’agit au départ de chômeurs qui ont perdu leur travail et qui indemnisés et ceux qui voudraient accéder à l’emploi, mais qui n’ont pas d’offre d’emploi : ce sont les sans emploi. Le terme « Sans » est un terme générique qui définit tous ceux qui sont privés d’accès à un droit : sans papier, sans emploi y compris pour les étudiants qui n’avaient plus de place dans les universités.

C’est un générique qui a été utilisé à terme par les médias. Ce terme a été rendu visible à l’espace public par les médias et réapproprié par la société parce que les médias l’avait largement utilisé enfin de compte.

  • 7/ Quel message principal retenir de l’appel du centre beaubourg ?

Le principal message était de dire qu’on ne pouvait pas mettre de côté une partie de la population. Ensuite, nous voulions montrer qu’il y a une convergence d’unité s’agissant des pauvres. En effet, les plus pauvres, les plus démunis ont besoin d’un lien social avec la couche moyenne, notamment progressiste. C’est ça le message. Et donc ça a été un vrai débat. Par exemple, lorsque j’ai été reçu à l’Assemblée nationale pour dire que l’adoption d’une loi qui favorise l’accès aux droits prouvait que l’article 1 de la constitution sur l’égalité des droits n’était pas mis en œuvre parce que c’est un problème conceptuel. Pourquoi on invente une loi pour l’accès aux droits alors que théoriquement la constitution garantit l’égalité des droits à chacun ?

Et donc l’appel de Beaubourg était de dire qu’on ne demande pas l’accès aux droits. On demande que les droits soient mis en œuvre. Ce n’est pas du tout la même chose. C’est ça l’appel de beaubourg. Mettez les droits en œuvre et non pas l’accès aux droits. Il y a plein de droits qui sont inscrits dans la constitution, il va falloir mettre en œuvre…

  • 8/ Est-ce que votre appel a été pris en compte par les pouvoirs publics ?

Non. Mais après ils sont toujours très polis. Ils nous consultent pour nous entendre sur notre approche. C’est souvent très poli, mais sans plus quoi. On était reçu. Mais c’était des rapports de force assez désagréables et c’est la raison pour laquelle ils ont même perdu les élections parce qu’ils étaient incapables d’établir un dialogue social assez acceptable.

Et d’ailleurs, on a arrêté très rapidement les rencontres parce que c’était pas plus utile que d’envoyer un document écrit quoi. C’est peut être pas vrai pour les associations caritatives telles la Fnars, l’Uniopss ATD Quart-Monde etc qui ont un autre type de rapport avec l’institution publique. Elles sont en co-gestion avec les institutions. Elles sont en co-gestion en matière des politiques publiques. Ces associations sous-traitent les missions de l’Etat. Nous, on n’est pas dans la sous-traitance des missions de l’Etat.

  • 9/ Peut-on alors dire que vous êtes dans le contre pouvoir ?

Oui, nous, on fabrique des formes de contre-pouvoir qui permettent de faire entendre les voix des plus démunis.

Nous, on n’est pas dans la sous-traitance des missions de l’Etat. On est tout simplement dans le contre-pouvoir, c’est-à-dire que nous on fabrique des formes de contre pouvoirs qui permettent de faire entendre les voix de ceux qui ne sont pas entendus. Voilà.

  • 10/ Est-ce que vous ne pêchez pas un peu parce que vous avez une posture surdimensionnée ?

Notre posture semble souvent arrogante. C’est souvent difficile pour ceux qui pensent avoir la science infuse, c’est-à-dire ceux qui défendent la pensée unique. Ils pensent que comme ils ont la solution donc ils ont forcément raison et ils n’acceptent pas d’être interpellé par des mouvements de base qui leurs disent que nous ne voyons pas les choses comme eux ou qui leur disent qu’ils ne font pas correctement leur boulot. Donc évidemment nos rapports avec les pouvoirs publics ne sont pas les mêmes qu’avec les associations caritatives qui sont davantage des rapport de consensus.

Nous, on est plus dans dissensus qui permet d’avoir une bonne gouvernance. C’est dans les différences avec les pouvoirs publics que nous trouvons finalement les points de convergence. Y en a qui préfèrent aller au consensus direct. Eux, ils vont au minimum de l’acquis alors que nous, on est très exigeant. Nous n’avons pas la même stratégie que les associations caritatives. Et donc on est perçu comme des gens qui dérangent, comme des agitateurs.

  • 11/ Pourquoi demandiez-vous l’établissement d’une observatoire de lutte contre les inégalités ?

Parce que selon la constitution il y a l’égalité des droits et s’il y a des inégalités donc la constitution n’est pas appliquée. Et donc il faut mettre en œuvre une politique qui supprime les inégalités et non pas mettre une loi qui donne accès aux droits qui serviront à faire ceci ou cela. Nous, on ne veut pas la réduction des inégalités, on veut la fin des inégalités parce qu’elles ne sont mêmes constitutionnelles puisque la Constitution garantit l’égalité des droits à chaque personne vivant sur le territoire. Et s’il faut élaborer des lois qui favorisent l’accès aux droits fondamentaux, c’est que les responsables politiques n’ont pas appliqué la constitution comme il le faut.

Nous, on dit qu’il faut que les inégalités disparaissent…Nous, on fait la politique et eux ils font l’aménagement technocratique. Donc, il y a une différence de fond. Concrètement, on fait beaucoup plus de politique qu’eux. Voilà. On ne fait pas la même politique.

  • 12/ Votre revendication se fonde donc sur la Constitution ?

Nous [les responsables de groupes de cause « radicaux »], on demande la mise en place de l’observatoire de lutte contre les inégalités à cause de la constitution. En effet, l’article 1er proclame l’égalité des droits entre tous les citoyens. Ainsi, s’il y a inégalité, il faut le dénoncer et mettre en œuvre une politique qui supprime cette inégalité de droits. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu que les pouvoirs publics mettent en place un observatoire de lutte contre les inégalités. Car nous ne voulons pas d’une loi qui réduit les inégalités. Nous voulons plutôt d’une loi qui met fin aux inégalités parce qu’elles ne sont pas constitutionnelles.

  • 13/ Le rejet de l’observatoire de lutte contre les inégalités vous a-t-elle découragé ?

Alors, nous, on mis en place notre Observatoire qui s’appelle le Réseau Alerte contre les Inégalités : le RAI. Il a d’ailleurs donné naissance à celui du BIP 40 qui est le plus fréquenté en France d’ailleurs. Donc eux, ils ont leur observatoire et nous on a le nôtre.

Notre observatoire est orienté contre les inégalités tandis que leur observatoire sert plutôt à vérifier qu’ils réduisent les exclusions. Ce n’est pas la même chose.