Entretien avec le sénateur Seillier, rapporteur su sénat du projet de loi contre les exclusions

  • 1/ Pouvez-vous d’abord vous présenter à nous ?

Je suis le sénateur Seillier. J’ai été le rapporteur de cette loi au Sénat.

  • 2/ Pensez-vous qu’ATD Quart-Monde est un acteur associatif majeur de la loi contre les exclusions ?

Moi j’aime bien ATD Quart-Monde parce qu’il donne la parole aux plus démunis. Il organise souvent les universités populaire. Ils ont donné la parole à ceux qui ont quelque chose à nous apprendre. Il dispose également de réseaux sur le terrain.

  • 3/ Pensez vous que cette loi a constitué une avancée sociale importante ?

Je pense que cette loi a constitué une avancée sociale importante. Certainement parce qu’elle a été précédée d’un projet de loi qui avait été présenté par Xavier Emmanuelli, fondateur du Samu social et de Médecins sans Frontière qui s’appelait le projet de loi de renforcement de la cohésion sociale. Il y a eu la dissolution de l’Assemblée nationale puis Martine Aubry l’a reprise en l’appelant projet de lutte contre les exclusions. Mais il n’y a pas eu de rupture entre les deux en dehors des titres.

  • 4/ Quelle est la particularité de cette loi selon vous ?

La particularité de ce projet de loi est qu’il a une approche globale, c’est-à-dire qu’il regarde tous les secteurs qui contribuent de près ou de loin aux situations d’exclusion : santé, logement, emploi, culture, rémunération, surendettement, etc. C’est une démarche qui consiste à prendre le problème dans toutes ces facettes et non seulement par une seule approche.

  • 5/ Peut-on dire que la loi contre les exclusion a mis en place une approche « révolutionnaire » de la lutte contre les exclusions ?

C’est surtout une approche novatrice. Cette loi marque le progrès parce qu’on s’est rendu compte dans les années 1980 qu’il y avait un véritable problème avec la nouvelle pauvreté. C’est ce qui avait justifié l’adoption du Revenu minimum d’insertion en 1988. Mais on s’est rendu compte qu’il y avait d’autres raisons qui faisaient que les gens n’arrivaient pas à s’en sortir parce qu’ils n’avaient pas de logement, de santé… C’est pourquoi, il y a vraiment eu une avancée importante avec cette loi contre les exclusions à travers une approche globale de la loi.

  • 6/ Pensez-vous que cette démarche est efficace ?

On a une approche qui est une approche globale de lutte contre les exclusions. Si c’est pour les satisfecit en disant on a fait mieux qu’avant ça ne m’intéresse pas du tout. Ce qui me semble important c’est l’efficacité et en termes d’efficacité on a là une démarche qui devient un peu plus efficace mais elle n’est pas encore abouti.

  • 7/ A l’adoption de la loi aviez-vous le sentiment que l’exclusion allait reculer ?

Je savais que cette loi présentait un avantage mais qu’elle n’était pas capable de faire reculer l’exclusion. En tout cas, je pensais qu’elle n’était pas en mesure de permettre d’éviter la croissance d’exclus comme les autres années. Certes, la loi n’est pas suffisante pour enrayer l’exclusion mais si ce dispositif n’existait pas la situation serait certainement pire encore.

  • 8/ Donc vous êtes relativement satisfait de cette loi ?

J’ai toujours dit que dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion on ne peut jamais être satisfait. Tant qu’il y a des gens qui sont en situation d’exclusion et de pauvreté, on ne peut pas être satisfait. On ne peut jamais dire qu’on a vécu le drame que cela représente.

  • 9/ S’en prendre au système économique en vigueur ?

Oui, si vous voulez c’est assez vrai. Je suis Président du Comite nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et on a développé la question majeure qui n’est pas abordée dans cette loi qui est la prévention. J’ai dit à plusieurs reprises y compris devant les représentants de l’Etat que la prévention passe par une interrogation des modifications de notre système de développement. C’est en fait l’organisation économique et politique.

  • 10/ Donc s’il n’y a pas remise en cause du système politique et économique la problématique de l’exclusion sera toujours récurrente ?

En partie oui. Tout à fait.

  • 11/ A quoi sert le groupe de travail sur la lutte contre les exclusions que vous avez créé au sein du Sénat ?

C’est une démarche qui consiste à faire prendre conscience à un plus grand nombre de collègues de la réalité et des caractéristiques de l’exclusion. Il s’agit pour les sénateurs de connaître un peu mieux les exclusions sociales. Chacun dans sa ville et dans ses territoires prennent acte de la problématique de misère de la pauvreté d’exclusion sociale. ce qui est important c’est que chacun comprenne les mécanismes qui conduisent à ces situation, c’est-à-dire de voir que les personnes qui sont en situation d’exclusion n’en sont pas généralement responsable.

Ce groupe d’étude à pour objet la sensibilisation pour un grand nombre de collègues pour les rendre attentifs au problème de l’exclusion.

  • 12/ Peut-on la qualifier de loi humaniste ?

Incontestablement, puisque dans ces premiers articles, il affirme l’égale dignité de tous les êtres humains, c’est une définition qui me semble caractéristique du principe de l’humanisme. Egalement lorsque la loi parle de mobilisation nationale pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion, c’est-à-dire qui concerne tout le monde.

  • 13/ Aviez-vous Subi la pression des associations ?

J’ai pas eu le sentiment d’avoir subi des pressions abusives et exagérées. J’ai fait un calendrier de rencontres avec les associations. Il est bien évident que chaque association, chacune ayant ses caractéristiques, elle mettaient en avant surtout ce qui lui importait, ce qui semble juste. Par exemple, quand j’ai rencontre les associations d’insertion sociale par l’activité économique, elles avaient une problématique qui était différente de celles des associations caritatives tel le restaurant du cœur par exemple. Les associations de santé avaient aussi leurs approches, donc les approches divergeaient d’une association à une autre. On ne peut pas parler dans le domaine de lobbying. Ce qui m’intéressait c’était d’avoir une connaissance précise de chaque caractéristique, secteur logement, rémunération, surendettement, la famille, la santé, l’éducation, la culture, chaque association oeuvrant dans son domaine particulier, me permettait d’avoir une meilleure connaissance.

  • 14/ La politisation de la thématique « exclusion » découle-t-elle de la mobilisation des associations ?

Incontestablement, les associations ont joué pour une part sûrement importante. Je trouve que cette question n’est pas suffisamment politisée. C’est même le problème majeur de la politique : c’est de faire en sorte que les gens soient en marge de la société. car il s’agit de faire en sorte que la société soit en harmonie, qu’elle soit cohérente. Or, par rapport à ça, je trouve que les politiques ne s’en intéressent pas suffisamment. Mais c’est vrai que les associations sont pour beaucoup dans la connaissance et la diffusion de la problématique.

  • 15/ Etes-vous sympathisant de certaines associations de lutte contre les exclusions ?

Oui, je suis sympathisant de certaines associations de lutte contre les exclusions. Mais je me sens plus proche de certaines que d’autres.

  • 16/ Pourquoi n’aviez-vous pas auditionné les syndicats par exemple ?

Parce que les syndicats n’avaient pas à l’époque une expertise dans le domaine. Fondamentalement, on pour mission de défendre ceux qui travaillent. C’est même le principe de constitution et de fonctionnement de tout syndicat. Et ce n’est que ces dernières années que les syndicats se sentent concernés compte tenu de l’ampleur de la pauvreté de la situation d’exclusion et des mécanismes d’exclusion à l’intérieur de l’entreprise et donc ils considèrent qu’ils ne peuvent pas s’en désintéresser. Les syndicats sont membres du CNLE depuis juillet 2005 seulement. Ils sont très présents maintenant et je dirai que c’est un phénomène nouveau ces dernières années.

  • 17/ Pourquoi une préférence pour les associations caritatives par exemple ?

Parce que la réflexion sur la lutte contre les exclusions sur la cause de l’exclusion est beaucoup plus développées auprès des associations caritatives. J’aime une qui est ATD Quart-Monde. Mais, il y a aussi l’association de Jean Baptiste Foucault, Nouvelle Solidarité fac au chômage. Il y a tout un contenu sur les causes de l’exclusion qui est beaucoup plus développée dans celle dont vous parlez plutôt que dans les associations dites radicales. Mais en fait, elles ne sont pas tenues à l’écart, mais, il m’est arrivé de recevoir les associations que vous qualifiez de « radicale ». Elles expriment un degré plus primaire de refus, c’est-à-dire qu’elle disent que « nous on ne veut pas ou rien savoir ». Mais comment on fait alors pour en sortir ? C’est ça la question qui est importante, comment on fait pour changer les choses. Là, je suis catégorique, les gens qui sont en situation de pauvreté et d’exclusion, nous ne sommes pas dans une problématique qui est susceptible d’être changé du fait d’un rapport de force favorable dans une société marchande comme les nôtres par un rapport de force qui serait tout d’un coups qui sont exclus des pauvres par rapports aux gens qui sont dans la société marchande. Et Jean-baptiste Foucault l’a bien démontré dans ses livres, on n’est pas du tout dans un rapport de force comme si on était dans un rapport de force entre classes, entre patrons et employés où un accuse l’autre d’avoir des avantages déséquilibres. Dans l’entreprise, le salariés peut inverser un rapport de force, ne serait-ce que par la grève etc, par contre les gens qui sont en situation d’exclusion ne peuvent pas inverser la situation de force.

  • 18/ Autrement dit les associations radicales mènent un combat qui est un peu perdu d’avance ?

Les associations radicales ont le droit de contester parce que la situation est intolérable. Mais cela ne suffit pas, il n’y pas de grève des pauvres. J’ai une grande attention pour ces associations, mais moi ce que je cherche pour convaincre ceux qui ont le pouvoir, il faut qu’ils organisent le travail autrement par la répartition des richesses autrement et ça, je pense que l’implication des syndicats est une nouveauté majeure de ces dernières années. Désormais ceux qui ont un emploi s’occupent de ceux qui n’en ont pas. Et ça pour moi c’est un grande espoir.

  • 19/ Mais la mobilisation des associations militantes a quant même un impact sur les décideurs politiques ?

Mais elle a un impact de prise de conscience pour certain, d’agacement pour d’autres et de rejet chez certains. Je suis incapable de faire un bilan complet. J’observe simplement que la société aujourd’hui est plus enclin à rejeter les gens en situation d’exclusion et de pauvreté qu’en 1998. C’est plus dur aujourd’hui qu’il y a huit ans. La cassure est plus forte et notamment avec ce qu’on appelle les travailleurs pauvres. Ils ont un emploi, ils sont à la marge mais ils ne comprennent pas parfois pourquoi tous les mécanismes qui sont mis en place pour favoriser l’insertion des gens qui sont en situation pire que la leur et ça devient plus difficile à expliquer.

  • 20/ Est-ce à dire alors que la loi de 1998 est un échec ?

Ah non. Si, la loi de 1998 n’existait pas ce serait absolument catastrophique. Mais je peux vous dire qu’il n’y a aucune loi qui pourra régler la question définitivement quelque part surtout aujourd’hui avec le développement de la mondialisation. On a trouvé dans le mécanisme actuellement du libre-échangisme mondial fait que l’ajustement économique se fait par la mobilité des travailleurs. Ce qui fait que le système actuel verrouille les niveaux d’endettement, de croissance et de déficit public et donc du coup pour trouver la variable d’ajustement, il n’y a qu’une solution, c’est la mobilité géographique et on commence à dire aux gens mais aller travailler ailleurs

  • 21/ Quelle place vous accordez à cette association dans le cadre de l’émergence de cette loi ?

J’accorde à ATD une place considérable. Toutes les lois contre la pauvreté et l’exclusion ont été adoptée après la publication d’un rapport du Conseil économique et social de Joseph Wrésinsky puis il y a eu le rapport de Geneviève de gaulle. Ce sont des rapports du CES. On ne peut pas dire que ce sont des rapports d’ATD Quart-monde puisqu’ils sont publiés au nom du CES, mais comme par hasard les rapporteurs étaient les membres d’ATD Quart-Monde.

ATD Quart-Monde est au centre des lois contre les exclusions. Le RMI c’est la même chose. Il a été adopté après le rapport de Joseph Wrésinsky.

  • 22/ Peut-on dire que la loi contre les exclusions est une loi d’assistance ?

Vous savez c’était très partagé, Geneviève de Gaulle Anthonioz a poussé un cri de colère contre ça à l’Assemblée nationale en réaction contre ça ce qui m’a beaucoup choqué. Ici au sénat, quand on a fait la première lecture de cette loi, il y a eu abstention des communistes et vote unanime de tout le reste. C’est mon meilleur souvenir de ma vie de parlementaire. En tant que rapporteur, j’ai obtenu un vote quasiment unanime juste l’abstention du vote communiste.

  • 22/ Pourquoi le vote du sénat était plus consensuel que celui de l’assemblée nationale ?

Je n’en sais rien peut être parce qu’il y a plus d’élus locaux au sénat qu’à l’Assemblée nationale. Il y a beaucoup de gens qui sont maires, conseillers généraux. Ce sont les gens sui sont sur le terrain. Ils sont moins politisés au sens politiques politiciennes.

  • 23/ Cette loi avait donc pour finalité de rendre chaque citoyen autonome ?

Dans les intentions et dans les mécanismes c’est ce qu’on a cherché à faire et dans mon discours au sénat j’avais prononcé une phrase qui a été reprise dans une revue juridique. La phrase que j’avais prononcé en tant que rapporteur était de dire qu’il « faut que ceux qui sont en situation d’exclusion deviennent les acteurs de leur propre libération ». et je trouve qu’ATD a des actes qui sont en correspondance avec cette ambition. ATD Quart-Monde permet aux personnes qui sont en situation d’exclusion de s’exprimer et d’être entendues. C’est aux exclus de nous dire ce qu’on peut faire pour eux, c’est pas à nous de penser à leur place.