Entretiens avec certains Conseillers de ministres

Entretien avec François Landais.

  • 1/ Pouvez-vous vous présenter à nous ?

Je suis François Landais. Je travaille actuellement à la direction de la sécurité sociale. J’étais au cabinet de Martine Aubry.

  • 2/ Quelle représentation aviez-vous à l’esprit lors de l’élaboration de cette loi ?

La position du gouvernement était de faire une loi de lutte contre les exclusions, mais en même temps à la suite d’un débat qui était déjà ancien, il était considéré qu’en matière de lutte contre l’exclusion, l’important n’était pas tant le fait de créer des dispositions législatives nouvelles ou de nouveaux droits, mais principalement d’assurer l’accès aux droits dont peuvent prétendre tout le monde. Donc là, le gouvernement rejoignait les préoccupations des associations qui souhaitaient qu’on ne fasse pas de loin spécifique pour les gens en difficulté avec des droits particuliers qui auraient été vraisemblablement des droits inférieurs à ceux des citoyens ordinaires mais qu’au contraire on veille à ce que l’ensemble des personnes en difficulté ait accès aux droits généraux.

  • 3/ Au-delà du dispositif juridique, la question de mobilisation des moyens financiers se posait aussi avec acuité ?

Le problème d’une grande loi ne se posait pas en soi. Le problème principal c’est celui des moyens qu’on allait mettre en œuvre pour faire en sorte que l’accès de personnes les plus démunies à tous les droits existant soient effectivement satisfaisant. Ce qui posait d’abord le problème de moyen ; ensuite de procédure pour garantir que le phénomène d’exclusion recule.

Dans le cadre de cette loi, ce qui était affiché très tôt, c’était la volonté pour assurer cet accès aux droits de tout le monde que la loi et le programme ne se concentrent pas sur les gens les plus en plus en difficulté ou ceux qui étaient les plus marginalisés, mais prennent aussi en compte les situations intermédiaires des personnes qui étaient en train de basculer des l’exclusion. C’est la raison pour laquelle il y a une partie prévention

  • 4/ Les autorités publiques ont-elles prêtées une oreille attentive aux propositions des associations ?

Les propositions des associations faisaient partie des matériaux de base des propositions retenues par le gouvernement. Mais après il y a une dynamique de travail administratif, législatif qui est fait et là, il est logique que le travail soit fait par les services concernés pour faire ce travail, mais les propositions et le pouvoir des associations étaient très largement partie prenante de la position même du gouvernement.

  • 5/ La fait que vous mentionniez l’exclusion au pluriel rend compte de la diversité de situation que traduit ce phénomène ?

On ne parlait pas d’exclusion au singulier, amis d’exclusion au pluriel. C’est passer ainsi de quelque chose d’abstrait à la diversité de situations, de domaines dans lesquels les gens se retrouvent mis en marge du fonctionnement de la société ou du droit commun. Et la volonté a toujours été de lutter contre les exclusions et de prévoir les mécanismes de prévention.

  • 6/ La mobilisation des associations de chômeurs a-t-elle enrichi le débat sur la lutte contre les exclusions ?

C’est devenu une revendication nationale [ le 13ème mois ] et ça a fait un plus dans le débat public que la question de ces personnes en situation d’exclusion au sens où ils ne bénéficiaient pas de la croissance, de la reprise de l’emploi et donc ça a simplement non pas conduit à modifier le contenu de la loi proprement dit, peut être sur certains points notamment sur des modifications en matière de chômage et d’allocation spécifique de chômage et encore là c’était déjà des choses qui étaient prévues.

  • 7/ La mobilisation des associations de chômeurs a-t-elle influé sur le calendrier d’élaboration de la loi ?

La mobilisation des groupes de cause « radicaux » a eu un impact sur l’accélération du calendrier d’élaboration de la loi sans doute aussi par le fait que des dispositions spécifiques ont été introduites concernant les chômeurs et leurs droits de représentation dans les institutions chargées de l’assurance chômage ou du service public.

L’idéal est que ce mouvement s’arrête, que chacun juge avec responsabilité que nous ferions mieux de nous réunir tous pour combattre le chômage.

  • 8/ Y a-t-il certains dispositifs qui méritaient de faire l’objet de loi spécifique ?

Il y a eu des débats un temps pour savoir si les dispositions sur l’accès au droit par exemple au sens de justice du terme feraient l’objet d’une loi spécifique préparée par la ministre de la justice ou si les éléments seront intégrés dans la loi exclusion. C’était plus des questions pratiques que des questions de fond (…). Un des éléments essentiels et qui, avec le recul est un des éléments les plus forts sur le plan des droits qui ont été ouverts, est la couverture universelle. Il a fait l’objet d’une loi séparée pour des raisons de calendrier d’élaboration. Donc ça ne révèle pas des divergences mais des enjeux techniques de préparation des textes.

  • 9/ Aviez-vous des interlocuteurs directs dans chaque cabinet ministériel impliqué dans le processus d’élaboration de la loi contre les exclusions ?

Il avait été demandé dès fin juillet [1997] à chaque ministre de désigner un membre de son cabinet comme correspondant.

  • 10/ Les Conseillers du premier ministre, quel était leur positionnement par rapport à vous ?

Matignon a suivi l’élaboration au niveau des conseillers du Premier ministre. Ils étaient dans toutes les réunions entre cabinets qui avaient lieu physiquement dans les bureaux du cabinet de Martine Aubry. Les conseillers de Matignon étaient présents pour poursuivre le travail et confirmer ce que le Premier ministre avait dit, c’est-à-dire qu’il confiait à Aubry la charge d’assurer la coordination de la préparation du projet de loi. 

  • 11/ L’insertion des « exclus » par l’accès aux droits fondamentaux constitue l’axe essentiel de cette loi contre les exclusions ?

Il y a une évidence qui est que s’il y a des gens qui ne disposent pas de droits fondamentaux que les autres y compris dans le domaine social, ils sont en situation difficile et qu’en tout état de cause un des objectifs de la loi et c’était très fortement demandé par les associations et le gouvernement n’avait aucune réserve sur ce point […], il était indispensable de remettre tout le monde dans le bénéfice des droits sociaux généraux. C’est dans le premier article de la loi et c’est une tendance très forte. Ça, c’est un élément essentiel de cette loi contre les exclusions.

  • 12/ La prévention est au cœur du dispositif de la loi contre les exclusion

La question de la prévention, elle est très difficile. C’est dans la méthode générale qui a été retenue, c’est un élément essentiel. Dans les mesures prises, c’est moins évident. Pour les quelque mesures qui sont prises, c’est pour anticiper l’exclusion, je pense en particulier dans le domaine du logement, multiplier toutes les possibilités de recours de discussion, négociation, avant par exemple d’aboutir à l’expulsion qui met la personne à la rue. On fait de la prévention, une situation très grave, en même temps dans la loi. Y a pas beaucoup de mesures qui sont des mesures clairement de prévention. Y a des démarches préventives.

  • 13/ Le cabinet de Martine Aubry a-t-il consulté aussi des experts pour mieux cerner ce phénomène ?

(…) L’exclusion n’est pas une évidence. C’est quelque chose de très complexe. Elle a des aspects très multiples. Pour en parler, il faut que des gens qui sont experts prennent du temps pour réfléchir, travailler, produire des études, des statistiques. Ils travaillent de telle manière qu’il y ait des informations qui permettent de faire le point sur l’exclusion. Est-ce que ça s’améliore ? Est-ce que ça se dégrade ? Est-ce que les formes de l’exclusion dominante se modifient ? Quelles sont les trajectoires des gens ? Des processus d’exclusion ? Ça, c’est important qu’il y ait une institution publique.

  • 14/ Que pensez-vous de la proposition faite par les groupes radicaux. Ces derniers souhaitaient que les pouvoirs publics augmentent les impôts pour lutter contre les exclusions ?

Le positionnement de ces groupes de cause révèle tout simplement leur point de vue politique. Ce n’est pas le boulot de l’administration. Y a des institutions qui ont déjà sur ces questions des responsabilités : le Conseil Economique et Social, les députés, les sénateurs. C’est à eux de dire comment ils devraient répartir les impôts… Il existe un centre des revenus et des coûts.

  • 15/ Pourquoi les cabinets ministériels accordaient plus d’importance aux membres du collectif Alerte qu’à l’autre baptisé Contre la précarisation et l’exclusion ?

En l’occurrence les associations qui avaient depuis longtemps travaillé sur les questions de lutte contre l’exclusion et d’accès aux droits étaient essentiellement les associations regroupées au sein du collectif alerte, ça faisait des années qu’elles avaient rapproché leurs points de vue parce que au départ les points de vue de différentes associations n’étaient pas du tout unifiés et d’autre part les associations du collectif Alerte sont des associations éminemment importantes par leur nombre de militants, leur ancienneté, le nombre de personnes prises en charge (…). Le collectif Alerte pesait relativement lourd dans cette affaire mais d’autres associations ont été aussi pris en compte.

Il était tout à fait naturel que Alerte soit au cœur du débat avec le gouvernement. Mais en fait des contacts existaient et ont existé pendant la préparation du programme et de la loi contre les exclusions avec l’ensemble des composantes associatives (…). Le collectif Alerte pesait relativement lourd dans cette affaire mais d’autres associations ont été pris en compte.