Entretien avec Jacques Rigaudiat, conseiller social du Premier ministre Lionel Jospin

  • 1/ Pouvez-vous d’abord vous présenter ?

J’étais le Conseiller social du Premier ministre Lionel Jospin après avoir été celui de Michel Rocard entre 1988 et 1991.

  • 2/ Entretenez-vous des rapports avec les associations par exemple en dehors de vos fonctions ?

Oui, j’ai une tradition avec les leaders associatifs et syndicaux.

  • 3/ Notamment avec ATD Quart-Monde ?

Vous savez, je connais tout le monde dans ces milieux depuis très longtemps. J’avais connu le père Joseph Wrésinsky, fondateur d’ATD Quart-Monde, il y a 20 ans, mais j’ai pas d’affinité particulière avec ATD Quart-Monde.

  • 4/ Quel contenu donnez-vous au mot exclusion par exemple ?

Ce sont des réalités, des situations de détresse. Elle se caractérisent par des difficultés financières, des difficultés très fortes en matière d’accès au logement, d’accès à l’emploi. L’exclusion est le cumul de toutes ces difficultés. Il s’agit du chômage, de l’emploi, du logement et des ressources, etc.

  • 5/ Quel rôle a joué le cabinet de Lionel Jospin ?

Je pense que c’est le cabinet du Premier ministre Lionel Jospin qui a véritablement géré la genèse de cette loi parce que Martine Aubry n’avait pas l’autorité suffisante pour une loi qui est mise en œuvre avec près de vingt ministères. C’est l’autorité du Premier ministre qui a permis de faire cette loi.

Cette loi est passée par de très longues et nombreuses réunions interministérielles. Les arbitrages ministériels c’est moi qui les rendaient et ensuite j’en rendais compte au premier ministre.

  • 6/ Aviez-vous à l’esprit de présenter un projet de loi mieux que celui de vos prédécesseurs ?

Il y avait quelque chose qu’il fallait faire absolument. Et, on l’a fait. On ne s’est pas mis en contre raison avec l’échec de nos prédécesseurs même si on l’avait en tête. Autant que je sache leur échec, c’est parce qu’ils n’ont pas voulu mettre le moindre moyen financier.

  • 7/ A l’adoption de la loi, croyiez-vous que l’exclusion allait reculer ?

Non, ce sont des moyens réparateurs des personnes en situation d’exclusion. On leur facilitait la vie. Ça leur permettait d’accéder plus facilement à un compte bancaire, à des soins de qualité (…). C’était une action palliatrice plutôt que réparatrice.

On pensait que la loi allait permettre aux personnes en situation d’exclusion de vivre moins mal. Jamais, on a eu l’impression en faisant cette loi d’agir sur les causes.

  • 8/ Pourquoi vous vous êtes pas attaqués aux causes de l’exclusion ?

Les causes de l’exclusion s’appelle l’emploi. Sous notre législature on a créé 2 millions d’emplois puis faire reculer le chômage ce qui était déjà un acte assez fort par rapport à cette situation là. Par ailleurs, on a mis en place la CMU pour permettre aux personnes exclues d’accéder aux soins de qualité dans de bonnes conditions financières. Cette loi ne s’attaquait pas aux causes mais à la difficulté des situations. Mais on a agi sur les causes tout aussi fortement que sur les situations difficiles.

  • 9/ Peut-on alors dire que cette loi est une avancée sociale ?

Je pense que cette loi a été saluée par les associations dans leur ensemble comme une loi qui a permis de consolider des situations extrêmement fragiles.

  • 10/ Certains ont traité cette loi de loi d’assistance ?

C’est leur problème à eux. Ils ont rencontré l’incompréhension des associations.

  • 11/ Selon Libération il y a eu dissension entre Bercy et le ministère des Affaires sociales ?

Sous quelque gouvernement que ce soit, pour que l’on dépense un sous, le ministre des finances s’y oppose. Evidemment quand vous mettez 51 milliards sur la table, ils ne sont pas contents. Mais le Premier ministre Lionel Jospin a rendu ces arbitrages.

  • 12/ La mobilisation des mouvements des chômeurs a-t-elle eu un impact sur le contenu de la loi ?

La mobilisation des chômeurs n’a rien avoir avec la loi contre les exclusions. Cette mobilisation a été liée à un acte de la direction de l’Unedic qui était présidé par la CFDT par Nicole Notat de fermer les fonds d’aide sociale. c’est quelque chose qui concernait les chômeurs et non les « exclus ». c’est pas tout à fait la même population ni les même organisations. L’Unedic est une organisation syndicale, les exclus ont des collectifs où les syndicats sont assez peu présents. Et, la mobilisation des organisations des chômeurs n’a absolument pas pesé, en rien à mon sens par rapport à cette préparation de la loi sur la lutte contre les exclusions.

  • 13/ Pourquoi ne considérez-vous pas les chômeurs comme des exclus alors qu’eux mêmes se considèrent comme tels ?

Les chômeurs sont des gens qui sont sans emploi. Etre exclu, c’est une situation différente. Beaucoup d’exclus sont des gens qui n’ont pas d’emploi depuis très longtemps. Ce sont des gens qui sont en difficulté de formation, de santé. Ce sont les gens d’Emmaüs, du Secours populaire, d’ATD Quart-Monde. Ce ne sont pas les mêmes types de population que les demandeurs d’emploi ou plus exactement, c’est une sous partie bien particulière de la population des demandeurs d’emploi.

14/ En recevant les organisations des chômeurs, Lionel Jospin ne légitime-t-il pas ces associations ?

Ce n’était absolument pas dans le cadre de la loi sur les exclusions que le Premier ministre les a reçu. Il les a reçu à la suite de la mobilisation de décembre 1997 et janvier 1998, ce qui constitue une première absolue. Et, d’ailleurs, cette réception a suscité la colère de certaines organisations syndicales qui ne veulent pas reconnaître la représentativité de ces organisations au niveau de l’Unedic et puis par rapport au problème de l’exclusion.

  • 15/ Quel a été alors l’impact du rapport rédigé par Marie Thérèse Join-Lambert sur la loi contre les exclusions ?

Le rapport que Marie Thérèse Join-Lambert a remis au Premier ministre Lionel Jospin ne concernait pas le sujet de l’exclusion. On n’a pas modifié les minimas sociaux à l’occasion de la loi sur l’exclusion. La loi contre les exclusions n’était pas le déboucher de ce rapport. On a modifié un certain nombre de choses, de règles, on a valorisé les minimas sociaux au vu du rapport mais cela n’a en rien donné corps au projet de loi de lutte contre les exclusions.

  • 16/ Les autorités ministérielles recevaient beaucoup les associations du collectif Alerte ?

Je dirai que le but du jeu était de recevoir les associations pour écouter leurs propositions, leurs questions et essayer d’apporter des réponses. Il me semble que les associations ont dans l’ensemble plutôt salué cette loi. Le but n’était pas de les convaincre, mais de les écouter pour savoir quels étaient les problèmes qui s’opposaient à eux et de quelle manière on voulait y apporter des droits de réponses le plus complètement possible.

  • 17/ Il me semble que les syndicats étaient relativement mis à l’égard ?

La loi contre les exclusions ne concerne pas le code du travail. C’est pas un sujet qui concernait directement les syndicats. Ce n’est pas une réforme du code du travail par exemple. Ce n’est pas du tout le cas. Ce n’est pas leur champ de compétence propre. Les informer oui, leur demander ce qu’ils en pensent certainement et en tenir compte mais on n’est pas dans un processus comme dans le droit du travail où ils sont dans leur domaine imminent et où se pose le problème de la légitimité du contrat de travail. Ce n’est pas le cas de figure.