Entretien avec un journaliste : M. Tonino, journaliste à Libération

Je suis journaliste à Libération depuis 1986. Au cours de ces vingt années j'ai occupé divers postes au sein du journal: j'ai été en charge des questions relatives à l'emploi, puis du suivi de la ville de Paris. Enfin depuis une dizaine d'années je m'occupe de logement, d'urbanisme et d'exclusion sociale.

Je n'ai aucune activité militante. Cela ne me semble pas très compatible avec mon métier de journaliste.

Libération s'intéresse aux faits de société. L'émergence d'une exclusion qui laisse à la marge des centaines de milliers de personnes (privées d'emploi, parfois de logement, sans perfectives personnelles...) ne peut que susciter un débat public. Sauf à être dans le déni.

Absolument pas. Dans les journaux (y compris Libération) on traite de la vie des entreprises,  des questions relatives à l'Education nationale, de religion, de la sécurité sociale.... On évoque régulièrement les mécontentements des médecins libéraux, des patrons de bars tabac ou des fonctionnaires... Pourquoi serait-il dès lors illégitime de parler des démunis ? Ces citoyens constituent-il une catégorie  à part dont il ne faudrait pas parler. Pourquoi des articles mettant en exergue leur difficultés seraient-il considéré  comme du journalisme «engagé» ? Considérez-vous que les confrères qui rédigent des articles sur la question de l'Impôt sur la fortune sont «engagés» ?

Libération parle de tout le monde y compris des démunis.

Dans un pays libre la presse joue un rôle décrypteur, porte sur la place publique des faits de société, assume une fonction de contre-pouvoir. A ce titre elle contribue à faire vivre le débat démocratique. La presse n'est pas un groupe de pression. Libération comme le Figaro  n'ont rien en commun avec des lobby qui défendent leurs seuls intérêts particuliers.

Le verbe «mobiliser» me semble impropre. Nous considérons qu'un journal ne ferait pas son travail s'il ne s'intéressait pas au sort de 3,6 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté (selon l'INSEE, mais 6,8 millions selon Eurostat). Ou encore aux 86 500 personnes qui n'ont pas de domicile fixe et aux 900 000 personnes qui ne disposent pas d'un logement pérenne.

La vocation d'un journal est d'informer les citoyens. Le dossier des démunis en fait partie.

Je pense que les associations ont joué un rôle de premier plan pour sensibiliser les pouvoirs publics sur les questions de l'exclusion. Il convient par ailleurs de ne pas sous estimer les élus. Les maires sont au contact des habitants. Et aucun d'entre eux sait qu'une partie de la population de leur commune à des difficulté à boucler ses fins de mois, à trouver un emploi faute de qualification, à payer son loyer... Sans oublier la jeunesse qui peine à accéder à l'autonomie faute d'un emploi stable ou de moyens suffisants pour accéder à un logement autonome.

La presse n'a fait que de porter sur la place publique un fait de société. Mais en l'analysant, en le décryptant, en le mettant en perspective.

(lire la réponse 10).

Les questions relatives à la lutte contre les exclusions renvoient souvent à des dossiers techniques: cadre juridique et financement du logement social, législation sur les minima sociaux... Je dirais qu'il est nécessaire à un journaliste d'avoir une expertise pour traiter de façon pertinente le thème de l'exclusion.

A vous de juger.

J'ai douté de la pertinence du volet logement de cette loi. Pour lutter efficacement contre la crise du logement, il faut construire des HLM accessibles aux revenus modestes. Un texte ne saurait apporter de réponses pertinentes si l'offre locative sociale fait défaut.

Il n'y a aucun pacte !

Je vous rappelle un fait: 3,6 millions de personnes vivent en France en dessous du seuil de pauvreté. Sans compter les mal logés, les pas logés du tout... Un journal qui considérerait qu'il s'agit d'épiphénomènes sans intérêt n'aurait pas de raison d'être. Nous avons vocation à parler des réalités quotidiennes.

Bien à Vous.