Introduction

La recherche et la découverte sont généralement considérées comme des moteurs pour l'apprentissage et paradoxalement le dispositif d'enquête (l'origine de ce mot provient en effet du début du. XIIe, enqueste; du latin populaire *inquæsita, du latin classique inquisita, ayant comme substantif inquirere qui signifie «chercher à découvrir») n'est au centre que d'un petit nombre de cours de statistique. La "littérature didactique" apparaît, en outre, relativement pauvre sur ce sujet comme si le processus puisait son importance dans son déroulement même.

Peut-être cette singulière mise en retrait s'enracine-t-elle dans la double nature de la statistique et/ou des statistiques ?

En effet, un certain nombre d'enseignants chargés d'un cours de statistique mettent l’accent sur la différence entre "la statistique" et "les statistiques"; ces dernières auraient comme objet de présenter des résultats, tandis que la statistique aurait le statut d'une science. Cette question a en particulier été abordée par Régnier (2002, 2006) qui considère qu’il y a là une caractérisation dont la didactique de la statistique doit se saisir.

Comme on peut le remarquer dans l'ouvrage "Éléments d'histoire des sciences"dirigé par Michel Serres, c'est dans le passage de la table des relevés des observations à la loi que se construit une science. Les exemples sont nombreux et les noms sont célèbres : Newton et la gravitation, Berthollet et Lavoisier et l'affinité en chimie, Galilée et le mouvement des planètes, Mendeleïev et le classement périodique des éléments, etc. (SERRES, 1989).

Ce constat est décomposé pour la statistique par Colin Ronan dans "Histoire mondiale des sciences" quand, d'une part il relève "On peut dire que les statistiques débutèrent au XVIIe siècle, lorsqu'une série de relevés de noyades ayant abouti à la mort fut effectuée à Londres, en 1662, par John Gaunt et William Petty"(RONAN, 1988, p.604), et que d'autre part il souligne que les travaux de Quételet, Poisson, Galton et Pearson fondèrent la statistique : "Nommé professeur de mathématiques au University College en 1884 il [Pearson] accepta en 1911 la chaire fondée par Galton et l'occupa avec distinction pendant les vingt-deux années qui suivirent, posant les solides fondations mathématiques de toute la science statistique du XXe siècle…" (RONAN, 1988, p.608).

Cette différence se retrouve dans les ouvrages d'histoire des mathématiques qui souvent ne citent que "Calcul de probabilités" ou parfois "statistique mathématique" dans leurs index.

Partant d’un autre point de vue, Adolphe Quételet écrit dans une lettre intitulée "La statistique est-elle un art ou une science" "…toutes les sciences d'observation, à leurs début, ont subit les mêmes phases ; c'était des arts, car elles se bornaient à grouper d'une manière plus ou moins heureuse des collections de faits appartenant à un même ordre des choses ; et c'est par le rapprochement et l'étude de ces faits qu'elles se sont élevées ensuite au rang où on les voit briller aujourd'hui." (Dans la Lettre au Duc de Saxe-Cobourg et Gotha, cité par Droesbeke J.-J. et Tassi Ph. in Histoire de la statistique, PUF, 1997, p. 5).

Et l'on voit encore cette double origine dans l'enseignement de la statistique : d'un côté les tenants d'une approche liée à l’histoire et à l'épistémologie de cette science et privilégiant les études de cas, le terrain, etc., de l'autre, les partisans d'une approche plus formelle faisant généralement précéder la statistique par le calcul des probabilités. On retrouve alors les mêmes principes pour la statistique et son enseignement que ceux énoncés par André Revuz pour les mathématiques dans "Est-il impossible d'enseigner les mathématiques ?" avec en particulier "ne pas massacrer les mathématiques au nom des applications, ne pas négliger ces applications au nom d'une pureté mal comprise" (REVUZ, 1980, p.142).

Nous n'interviendrons pas ici dans ce débat et nous nous placerons a priori du côté de ceux qui font d'abord faire des statistiques comme un élément à l'intérieur du cours de statistique. Notre projet a été plutôt de décrire et d’analyser des travaux d'enquêtes par questionnaire réalisés par des étudiants en situation professionnelle, leurs conditions de réalisations, leurs places dans les pratiques d’enseignement de la statistique. Il s’agissait de voir comment le travail d'enquête par questionnaire facilite la construction des connaissances de l'apprenant, donne du sens à ses apprentissages et augmente sa capacité à utiliser les outils statistiques dans un cadre professionnel et de quelle façon complémentaire la simulation vient améliorer la compréhension des phénomènes statistiques.

Notre propos sera ici centré sur l’apprentissage de la statistique par des étudiants dans un IUT, i.e. quels principes viennent étayer notre réflexion, quelles sont les méthodes que nous avons mises en place dans ce cadre et quels sont les résultats que nous avons obtenus ?

Afin d’essayer d’atteindre cet objectif nous avons structuré notre travail de la façon suivante :

En résumé ce travail de thèse essayera de montrer comment l’enquête par questionnaire et la simulation participent à la construction de l’esprit statistique dans un enseignement s’adressant à des étudiants d’un département d’IUT ?

Pour tenter de répondre à cette question, nous avons analysé les données construites à partir des observations sur le terrain pour mieux comprendre les avantages et les obstacles liés à cette ingénierie pédagogique, en ramenant notre propos dans le temps et dans l'espace des apprentissages : i.e. quelles sont les statistiques que l'on voudrait que soient capables de manipuler nos étudiants, avec quelle statistique, et dans quel dessein ?